Jean-Marie Dermagne

Après l’impéritie sanitaire, l’imbécilité écologique ? (carte blanche)

Jean-Marie Dermagne Avocat, ancien bâtonnier - Porte-parole du Syndicat des avocats pour la démocratie (SAD)

Quand le coronavirus aura été oublié, comme le sont les pestes moyenâgeuses, restera, comme angoisse durable, le sort de la planète qui se joue avec la déglingue du climat et le massacre des espèces.

Et s’il demeure des « climatosceptiques », ou des égoïstes invétérés que l’avenir planétaire indiffère, subsistera, il faut l’espérer, le souci d’une organisation intelligente du travail. Pour l’institution qui m’est chère, la justice, comme partout ailleurs, le bon sens me parait commander désormais que tout ce qui peut être réalisé à distance le soit. La priorité sanitaire exige d’éviter à tout prix la dispersion virale. De manière plus pérenne, l’impératif écologique, associé à la simple logique, requiert de supprimer les déplacements superflus et tout ce qui peut générer pertes de temps et gaspillages. Cela ressemble à une évidence mais toute institution répugne au changement…

Au sein des cours et tribunaux, sous réserve de quelques adaptations adoptées dans l’urgence au printemps, tout fonctionne encore comme au 19ème siècle, voire avant : tout doit faire l’objet d’écrits imprimés suivis d’explications orales. Même si les plaidoiries ont perdu leur caractère emphatique au profit d’une recherche d’éloquence simple et directe, les avocats y tiennent encore comme à la prunelle de leurs yeux. Pour éprouver le même plaisir que mes confrères, je témoigne que la plaidoirie a quelque chose de jouissif. Mais la lucidité commande, outre une certaine modestie, des choix ‘prophylactiques’. S’agissant des écrits, ils ont, en cessant d’être manuscrits, pris une ampleur éléphantesque avec, à la clé, une consommation de papier à faire pleurer de détresse ce qui reste de la forêt amazonienne ! En dépit des gaspillages et du temps perdu, on continue à exiger la présence des avocats et, parfois, des justiciables. Même si ce n’est que pour faire acter un accord (transmissible par voie électronique) ! Et peu de procès sont organisés à heure fixe, sur rendez-vous, les parties et leurs avocats devant faire antichambre, parfois des heures durant. Comme au moyen-âge !

Pour un procès pénal, préparer les comparutions impose des déplacements et engendre déjà des pertes de temps hallucinantes ; un même dossier est parfois photocopié à de multiples reprises et les services administratifs sont submergés d’appels téléphoniques. Tout cela aisément évitable via le numérique. Si s’expliquer devant son juge est le ‘baobab‘ des droits de la défense, pas mal d’accusés ou de prévenus ‘plaidant coupables’ préféreraient négocier leur « sort » avec le parquet, tant il est vrai un ‘tiens‘ rapidement obtenu vaut mieux que deux ‘tu l’auras‘ dans cinq ans… L’accord entre parquet et justiciable est licite. Mais il est très peu utilisé. Sauf pour la criminalité financière grave, ce qui l’a discrédité dans l’opinion du fait de son aspect discriminatoire. Pour économiser le temps et les moyens affectés à la tenue des audiences, quoi de plus simple, pour les parquets, que notifier, aux personnes qu’ils poursuivent, une note avec une synthèse de leur vision de l’affaire, les infractions qu’ils ont retenues et les peines qu’ils comptent requérir ? Si la personne concernée s’en satisfait, une transaction pénale intervient. A défaut, les avocats entrent en piste et négocient un allègement de la sanction envisagée ou une autre mesure. Seules les personnes en désaccord radical avec les vues du parquet auraient ‘les honneurs’ du tribunal. Mais en bénéficiant, vu le temps dégagé, d’une écoute plus attentive et de moyens de défense plus pointus pour faire reconnaitre leur innocence ou justifier l’indulgence du juge. Quant aux affaires civiles, si certaines appellent, aux yeux des parties ou du juge, des explications verbales, il peut s’avérer aisé, l’habitude aidant, de traiter la plupart par échanges électroniques.

Certes, je n’ignore pas qu’à la fracture sociale, se superpose désormais ce qu’il est convenu d’appeler la ‘fracture numérique’. Mais les économies budgétaires, que les réformes (modestes ou plus amples) souhaitées permettront d’engranger, pourront contribuer à la diminution, voire la suppression, de cette nouvelle source d’inégalité : le droit à l’intégration sociale doit, à l’avenir, inclure un ‘droit au numérique’. Si, comme tout le monde l’espère, l’épidémie actuelle finit par être jugulée, le climat autant que la rationalité élémentaire commanderont que « tout ne redevienne pas comme avant » ! Certes, il n’est pas exclu que cela entraîne des mutations de certaines professions. Mais qu’à cela ne tienne ! Le pire serait le statu quo et la sclérose. Ainsi, les avocats deviendront peut-être, soit des espèces de notaires ambulants, ce qui n’a rien de déshonorant, soit des porte-paroles attitrés; les greffiers cesseront d’être des secrétaires pour devenir des assesseurs juridiques ; le personnel administratif, au lieu de perdre son temps à des photocopies, pourra améliorer l’accueil et l’orientation des justiciables ; les notaires deviendront peut-être des officiers de l’état civil ou des fonctionnaires patrimoniaux ou encore des agents immobiliers ; s’agissant des huissiers, ils se mueront en syndics ou en agents officiels de recouvrement; quant aux juges, ils seront sans doute, à l’avenir, des contrôleurs de l’intelligence artificielle qui, même si elle inspire de grandes peurs, ne me semble pas plus dangereuse que l’imprévoyance sanitaire ou la sottise écologique …

Par Jean-Marie Dermagne, avocat, ancien bâtonnier

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