© Antonin Weber

Apprendre à relativiser: les 100 conseils de Giles Daoust, un entrepreneur qui vit à 100 à l’heure (portrait)

Fort de son expérience d’entrepreneur qui cumule les casquettes, le CEO de la société d’intérim distille ses conseils à ceux qui veulent travailler ni plus ni moins mais mieux.

« Ce livre, c’est vraiment la confession d’un workaholic » nous lance en riant, Giles Daoust, CEO de l’entreprise familiale fondée il y a près de septante ans par son grand-père. Cela fait cinq ans qu’il la dirige seul, non sans avoir au préalable créé sa boîte de production Title Media à la fin de ses études – et qu’il dirige toujours -, non sans être le « réalisateur » de l’Ommegang à Bruxelles et publier régulièrement des chroniques à destination du monde de l’entreprise. C’est dire que Giles « un l, oui c’est rare » est un homme qui travaille beaucoup. En général, quand sa journée se termine chez Daoust, il démarre la seconde avec Title Media dont tous les collaborateurs vivent à Los Angeles, à neuf heures de décalage horaire. Sur la gestion du timing, notre quadra semble en connaître un rayon. C’est d’ailleurs l’objet de son dernier petit livre, 100 conseils pour les (jeunes) entrepreneurs qui veulent travailler mieux (1), et qu’il a choisi d’offrir à tous ceux qui le lui demandent.

L’idée lui en est venue non pas à l’arrivée de la quarantaine mais bien parce le tournant se produisait au même moment que ses vingt ans d’entrepreneuriat. Car Giles Daoust en est fier, il est un « jeune-vieil-entrepreneur ». Workaholic, il assume aussi, revendique même de l’être. Pas question ici de slow life ou d’arracher des pages de son agenda pour mieux profiter de la vie mais plutôt de la façon d’organiser sa vie professionnelle pour ne rien devoir sacrifier de ses passions. Parce que « être entrepreneur, c’est pour beaucoup une passion qui s’est transformée en profession » et qui – plaisir oblige – fait qu’on finit par y passer sa vie. « Avant, je disais oui à tout, je ne refusais aucun projet ni aucune proposition, je courais dans tous les sens pour être sûr de ne rater aucune opportunité et je menais mille projets en parallèle. Résultat: à force d’être omniprésent, je ratais pas mal de choses quand même! » nous explique-t-il un après-midi, dans son grand bureau.

Son plus gros risque: rejoindre l’entreprise familiale en 2010, tout en gardant mon entreprise Title Media. Si je ratais, c’était double peine, non seulement je foutais le bébé de ma famille par terre mais le mien également. Six ans après mon arrivée, nous avons gagné le prix de l’entreprise de l’année, cette reconnaissance m’a profondément rassuré. »

Qui trop embrasse mal étreint, pourrait-on dire. Il confirme et poursuit: « Aujourd’hui, on valorise énormément la culture de la start-up, on dit aux jeunes qu’ils peuvent tout faire, qu’il faut être omniscient et omniprésent, ce qui, de mon expérience, n’est franchement pas la solution. Je redoute un peu l’effet « super décollage » et l’atterrissage forcé deux ans plus tard, contraint de fermer sa boîte, alors qu’en s’y étant pris autrement, elle aurait eu de très belles années à vivre. Mon livre s’adresse à eux aussi. » Sa réflexion l’amène à rebondir sur l’un de ses précieux conseils: « Apprendre à ne pas se laisser bouffer par l’incoming incessant des mails, des posts et des réseaux sociaux« . Lui-même a retiré d’ailleurs toutes les applis « sociales » de son téléphone et, « hors urgence ou crise comme la Covid », Daoust ne consulte pas plus de quatre fois ses emails par jour. « Si vous saviez le nombre de personnes qui me disent qu’ils ne commencent leur vrai travail qu’après 17 heures, après avoir répondu à toutes les sollicitations de l’extérieur ou de leurs collaborateurs… »

Il nous raconte tout cela dans son bureau du cinquième étage, une sorte de nid d’aigle qui surplombe l’avenue de la Toison d’Or, à Bruxelles, où chaque vitre de la façade est marquée d’une lettre de son entreprise. Autour de lui, des piles de dossiers, des affiches de King Kong du San Francisco Theater dans des cadres dorés, une litho de Geluck offerte par son équipe et trois écrans d’ordinateur. Quelles sont donc ses recommandations pour être un meilleur entrepreneur, un meilleur chef d’équipe, un meilleur travailleur? D’emblée, et il le regrette le premier, il indique que ce livre de conseils s’adresse avant tout à ceux qui « ont une vraie marge de manoeuvre dans leur job », dans l’organisation de l’agenda comme dans les prises de décisions. Néanmoins, il assure que, même dans la vie privée, ses conseils peuvent aider.

Son mantra: celui qui un jour veut apprendre à voler, celui-là doit d’abord apprendre à se tenir debout et à marcher et à courir, à grimper et à danser – ce n’est pas du premier coup d’aile que l’on conquiert l’envol. » – Friedrich Nietzsche

La règle des 80-20

Son premier conseil, et celui qui reste – malgré tout – son préféré est « d’apprendre à relativiser ». Déjà en se disant que des milliards de gens ont moins de chance que vous mais aussi que des milliards de personnes ont des problèmes similaires aux vôtres. Ensuite, parce que lorsque l’on est stressé ou que l’on prend les choses trop à coeur, le risque est grand de perdre complètement ses moyens. « Typiquement, on finit par mal dormir la nuit et le lendemain, on prend une très mauvaise décision », précise-t-il, avant d’ajouter que la clé est sans doute de repasser une seconde nuit dessus, et, surtout, de garder la distance nécessaire pour éviter de « plonger dans le syndrome de celui qui se noie dans les mille points qu’il estime devoir gérer lui-même tous les jours ».

Apprendre à relativiser: les 100 conseils de Giles Daoust, un entrepreneur qui vit à 100 à l'heure (portrait)
© Antonin Weber

« Et j’en viens à mon second conseil, l’indispensable règle des 80-20. » Giles Daoust, qui confie être un grand amateur de biographies, explique n’avoir jamais oublié cette phrase de Jeff Bezos, le patron d’ Amazon, qui expliquait dormir huit heures chaque nuit et ne pas prendre plus de cent décisions par an concernant son entreprise. « Bezos disait « pourquoi je me noierais dans dix mille détails qui mettraient à mal non seulement mon attention mais mettraient en péril les cent grandes décisions que je suis le seul à pouvoir prendre? » Cela m’a beaucoup parlé. Au lieu de vouloir tout contrôler, il faut laisser les autres faire ce qu’ils savent le mieux faire et se concentrer sur les choses qu’on est le seul à pouvoir gérer. D’autant – et c’est là qu’intervient la règle des 80/20 – que seuls 20% des décisions auront un impact significatif sur l’avenir de l’entreprise, donc pourquoi ne pas déléguer les autres à ceux qu’on a engagés, parce que justement on les trouvait compétents? »

Corollaire naturel de cette fameuse règle, et qui d’une certaine manière rejoint l’importance de relativiser, aucune action ou décision n’apportera jamais un résultat de 100%. Giles Daoust reconnaît volontiers que sur les cent conseils qu’il distille à travers son livre, il lui est impossible de se les appliquer tous chaque jour. « Si l’on atteint déjà les 80% du résultat que l’on escomptait, c’est en soi une véritable réussite, rien ne correspond jamais à 100% de ce que l’on s’imaginait et c’est tant mieux. Etre patron, chef d’équipe ou dirigeant, ce n’est pas un one man show et il faut être capable de freiner son ego dont le réflexe premier est toujours de dire « ‘moi je ne l’aurais pas fait comme ça ». » A l’écouter, nous comprenons que l’ego est en soi un paradoxe, s’il en faut pour décider d’une direction ou d’un cap à franchir, il ne faut pas tomber dans l’écueil de l’ego maniaque, le type qui s’accroche à sa vision du 100% du résultat et qui finit par tout « micro-manager » ou à carrément contourner tous ses collaborateurs. ». Du coup, passons sans attendre à son troisième commandement: être humble ou comment s’assurer de mettre son ego – toxique – de côté.

Sa plus grosse claque: un an après avoir lancé ma boîte de production, j’organise un concours de scénario avec, à la clé, la production du film du lauréat. Malgré le fait que j’avais déjà réussi à produire des projets avec succès, je ne suis jamais parvenu à trouver le financement que je voulais pour le gagnant. Une belle leçon d’ego, j’avais 23 ans. »

Mauvais scénario

« Lorsque j’engage quelqu’un, je lui demande toujours quel a été son plus gros échec dans sa vie professionnelle. Et devinez quoi, la moitié d’entre eux sont incapables de me répondre », nous explique-t-il alors. Pourtant, Daoust l’assure, nous en avons tous rencontré dans notre vie. Lui, sa plus grosse baffe, c’était à 23 ans, avec Title Media, la boîte de production de films qu’il lançait alors qu’il était en dernière année à Solvay. Tout se passait très bien jusqu’au jour où il lance un concours de scénarios et qu’à l’arrivée, il ne parvient pas à faire produire le film du grand gagnant, un épisode qui pourrait paraître anecdotique mais que Giles Daoust reconnaît avoir eu du mal à vivre.

« Un vrai temps d’arrêt pour moi. Jusque-là, j’avais plutôt tout réussi et là, bam, je me retrouve à devoir me remettre. Quand on est jeune et que ça marche, on a tendance à se positionner dans un rôle « je sais tout », une forme d’arrogance en découle, pour s’imposer, on a tendance à bomber le torse. Pour moi, cet échec fut une très belle leçon d’ego qui me rappelait cruellement que non, je ne savais pas tout. » Depuis, Title Media s’en est très bien sortie et c’est avec fierté que son papa explique avoir, à ce jour, produit ou coproduit plus de quarante films de genre, essentiellement des thrillers. En tout cas, depuis ce jour aussi, il ne manque donc pas d’interroger les candidats travailleurs chez Daoust sur leur plus gros échec et s’ils ne savent pas répondre ou qu’ils essaient de les cacher « sous le paillasson », ou, pis, d’en rejeter la faute sur les autres ou l’ancien patron, c’est simple, il ne les engage pas.

Le dernier conseil qu’il donnerait, et non des moindres, serait sans hésiter « The One Thing », une théorie qu’il a découverte dans le livre éponyme de Gary Keller et qui consiste à déterminer « la chose » la plus importante pour soi. « Chaque jour, chaque semaine, chaque mois ou même chaque année, il y a toujours une chose qui surpasse toutes les autres et c’est sur celle-là qu’il faut diriger prioritairement ses efforts et son attention. C’est une chose qui, si on la réussit, va compenser toutes celles que l’on a ratées ou qu’on a dû mettre de côté. » Et le CEO l’assure, cette semaine, son  » one thing était de réussir cette interview ».

(1) Gratuit. Envoyer un courriel à books@daoust.be

Ses 5 dates clés

  • 2001: « En 2e licence à Solvay, je fais un Erasmus à Londres et j’ai l’idée de créer une boîte de production de films, je consacre tous mes travaux d’unif à ce projet et je remporte l’année suivante la Start Academy, organisée par ma faculté. »
  • 2004: « Je lis dans un journal l’extrait du mémoire d’une copine de classe, je la félicite et lui propose d’aller boire un verre. Elle deviendra ma femme, elle que je n’avais jamais fréquentée durant nos cinq ans d’études. »
  • 2010: « Je rejoins mon père dans l’entreprise familiale, un sacré challenge qu’être « le fils de » et de prendre le risque de tout planter. »
  • 2016: « Daoust remporte le prix de l’entreprise de l’année, la transmission est réussie, j’ai gagné ma place. De 150 travailleurs, nous sommes aujourd’hui 450. »
  • 2020: « L’Ommegang – que je réalise chaque année – est reconnu par l’Unesco, je suis fier que nous ayons réussi à moderniser l’événement sans l’avoir dénaturé. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire