Annelies Verlinden © HATIM KAGHAT

Annelies Verlinden : « Non, l’État de droit n’est pas sur une montagne russe »

Tex Van berlaer
Tex Van berlaer Collaborateur Knack.be

La toute nouvelle loi sur les pandémie d’Annelies Verlinden (CD&V) doit offrir un cadre juridique pour gérer cette pandémie et les futures pandémies. Entre-temps, la ministre de l’Intérieur essaie de rester aussi  » normale  » que possible.  » Je préfère la naïveté au cynisme. « 

Elle aurait préféré ne pas s’exprimer durant ses cent premiers jours au poste de ministre de l’Intérieur, mais la seconde vague de coronavirus en a décidé autrement. Avec les lockdownparties et les skieurs qui reviennent des sports d’hiver, Annelies Verlinden a les mains pleines. Au moment de l’interview, visiblement inquiète, la politicienne termine une réunion Zoom sur la très contagieuse variante britannique.

En pleine crise sanitaire et au moment où le CD&V traverse un creux électoral, votre président, Joachim Coens vous appelle. Vous réagissez comment ?

Annelies Verlinden: If you can dream it, you can do it. Rester sur la touche, et crier, c’est facile. On peut dire que le monde et le climat sont fichus. Que la confiance dans la politique a disparu. Que nous ne réussissons pas à faire fonctionner ce pays. Je veux croire qu’il est possible de faire mieux. C’est la seule réponse au fatalisme. Peut-être que cela témoigne d’une certaine naïveté, mais je préfère la naïveté au cynisme. La Belgique va au-devant de choix importants – la pandémie n’a fait que grandir ses besoins. Si on vous donne la chance de participer à ces choix importants, on ne peut pas douter longtemps.

Le gouvernement De Croo est critiqué pour sa gestion de cette crise: on impose des mesures sévères à coup d’arrêtés ministériels, on consulte à peine le parlement.

Ces critiques ne me posent pas de problème. Aujourd’hui, on utilise en effet une série de lois existantes : la loi sur la fonction de la police, la loi sur la protection civile, la loi sur la sécurité civile… À cet égard, une cinquantaine de dossiers sont déjà en cours auprès du Conseil d’état, et celui-ci a chaque fois jugé qu’aujourd’hui le cadre juridique pour maîtriser la crise suffit. Seule l’interdiction de cultes collectifs a été jugée trop poussée. J’ai déjà pris onze arrêtés ministériels. Ces derniers sont pris après l’avis des experts et du Risk Assessment Group. En outre, ils passent par le Comité de concertation avec les Régions, et un conseil de ministres. Je ne les suce pas de mon pouce.

Annelies Verlinden
Annelies Verlinden© HATIM KAGHAT

Pourquoi estimiez-vous qu’il fallait une loi supplémentaire sur la pandémie ?

D’après les virologues et l’Organisation mondiale de la santé, cette pandémie pourrait ne pas être la dernière. Alors, il est intelligent d’avoir un cadre législatif spécifique. Mais même avec la loi sur les pandémies, nous allons devoir recueillir les avis des experts et nous concerter avec les Régions. C’est ce que je veux souligner très clairement : l’objectif de la loi n’est pas d’éroder la répartition des compétences.

La loi sur la pandémie englobera-t-elle une série de mesures possibles ?

Il y aura en effet une série de mesures, comparable aux limites que nous connaissons aujourd’hui – de la fermeture des magasins à la limitation des déplacements à l’instauration d’un périmètre. Cependant, cette liste n’est pas limitative, car on ne sait pas à l’avance ce qui est le plus indiqué dans quelle phase d’une pandémie.

Outre la motivation et la limitation dans le temps, la proportionnalité sera importante: le gouvernement doit faire comprendre qu’une mesure doit être proportionnelle à son objectif. Nous ne savons pas quelles pandémies arriveront vers nous. Si un jour, nous sommes confrontés à une maladie encore plus mortelle que le covid-19, nous devrons peut-être prendre des mesures d’un tout autre ordre. Je ne veux pas être défaitiste, mais personne ne nous pardonnerait si nous n’anticipions tous les scénarios possibles.

Les visites domiciliaires sont-elles également sur la liste ?

Non, on en décide en fonction du maintien des règles. Personne ne pourra décider en vertu de la loi sur la pandémie que la police peut se rendre chez tout le monde pour compter le nombre d’assiettes sur la table.

Ne donnez-vous pas carte blanche aux futurs responsables politiques en ne limitant pas les mesures ?

La loi sur la pandémie est un cadre directeur. Ce n’est pas le but de mettre fin aux libertés et droits fondamentaux. Certains y sont favorables, mais je ne suis pas partisane. Les droits fondamentaux doivent continuer à primer. Aucun futur ministre de l’Intérieur pourra faire des choses qui vont à l’encontre de ces droits.

Le débat sur les infractions à nos libertés est mené sur le fil du rasoir. Le mot « état-policier » est déjà tombé.

Je suis évidemment les discussions sur la pente glissante de l’état-policier. Mais si l’atteinte à un droit n’est pas proportionnelle, les tribunaux nous rappelleront à l’ordre sur-le-champ. Lorsque nous avons instauré le couvre-feu en novembre, nous l’avons fait de manière limitée dans le temps et à un moment où la choses se présentaient très mal. Et les chiffes nous ont donné raison.

Que dit la loi sur la pandémie sur le rôle des gouverneurs et des bourgmestres ?

Ils vont rester importants. Ils doivent implémenter et suivre les mesures. En cas de nécessité, ils pourront prendre des mesures plus strictes, par exemple s’il y a plus de contaminations en ville qu’à la campagne. En principe, il n’est pas possible d’être moins sévère que les mesures fédérales.

À Willebroek, le bourgmestre Eddy Bevers (N-VA) a avancé le couvre-feu de son propre chef. Prévoyez-vous des verrous pour devancer les sheriffs locaux ?

La ministre de l’Intérieur devra toujours reconnaître l’autonomie locale. L’objectif du couvre-feu anticipé à Willebroek était de combattre les nuisances. Le collège a d’ailleurs rapidement jugé que cette mesure était trop poussée.

Je comprends les critiques que nous donnons des idées aux gens, mais la loi sur la pandémie ne sera vraiment pas un feu vert pour instaurer n’importe quelle mesure. L’état de droit n’est pas sur une montagne russe.

Avant Noël, la gouverneure d’Anvers Cathy Berx, une collègue de parti, a annoncé vouloir compter les boîtes à pizza. Est-ce bien intelligent de donner tant de pouvoir aux non-élus ?

Cathy Berx a dit quelque chose, mais cela ne signifie pas qu’elle l’a fait pour autant. Ces derniers mois les médias sont doués pour amplifier les choses. Nous ne pouvons pas avoir de petites baronnies où les gouverneurs peuvent décider n’importe quoi sans qu’on leur demande des comptes.

Le déploiement possible de drones est également mal tombé dans l’opinion publique.

Les drones sont utilisés depuis dix ans pour le travail de la police, sans aucune plainte relative à la vie privée. Les gens trouveraient étrange que nous n’utilisions pas les nouvelles technologies quand celles-ci contribuent à la sécurité et au sentiment de sécurité. Mais aujourd’hui, on aurait dit que les drones pourraient compter les boîtes à pizzas, ce qui n’est évidemment pas arrivé.

Mais ils sont intervenus, non? Le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open VLD) s’est réuni avec le Collègue de procureurs-généraux.

Au fond, la règle existante a simplement été confirmée : nous pouvons déployer des drones dans l’espace public, par exemple pour éviter les foules, mais pas pour constater pro-activement des délits individuels.

Beaucoup de bruit pour rien, non ?

Évidemment, c’est bien que les gens se braquent s’ils ont un sentiment de big brother. Mais cela ne signifie pas pour autant que ce sentiment correspond à la réalité.

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