Carte blanche

Amis confinés, foutez-vous la paix!

« Le soir, à 20h, on devrait aussi un peu tous s’applaudir », souligne la psychologue Françoise Leroux, parce que « c’est galère pour tout le monde, ce confinement ».

Chez nous, en nous réveillant le second dimanche du confinement, on a décidé qu’il n’y aurait dorénavant plus de règles ce jour-là de la semaine. J’étais au bout de ma vie.

Tellement épuisée que j’avais super envie que les enfants aient réunion Baladins et louveteaux, pour pouvoir aller bruncher avec mon homme dans un de ces endroits plein de bruit et où on allait être hyper serrés mais tellement heureux d’avoir la chance d’y avoir trouvé une table pour deux. En fait, j’avais besoin d’une pause, d’un break, d’un peu de temps pour faire autre chose qu’entendre leurs « Maman, regarde! » ou plutôt leurs « Mamaaaaaan????? »

Ce dimanche-là, donc, les enfants étaient ravis, ils ont maté la télé toute la journée, ces bêtes séries Netflix avec des rires insupportables toutes les deux phrases. Le soir, ils avaient des yeux de toxicomanes, aussi épuisés que s’ils avaient fait 124 km à vélo.

A vrai dire, je ne me souviens même plus vraiment de ce que j’ai fait ce jour-là… Mais je crois que c’est normal. Vous vous souvenez à quelle vitesse passe un jour de congé ? Ou un jour de week-end, avant d’avoir des enfants ? Ben c’est pareil. J’ai bu un thé dans mon lit, passé des heures à visionner des vidéos sur le covid et ses conséquences, liker des trucs sur Facebook, essayer de trouver des infos qui allaient me rassurer sur les risques pour nos parents, et répondre aux whatsApp de mes copines… Et finalement, c’était pas si mal.

Je crois donc que bientôt le mercredi sera aussi une journée sans règles chez nous.

Ce confinement, c’est juste l’enfer, en fait. Et pourtant j’ai beaucoup de chance: j’ai de l’espace, et même un petit bout de jardin. J’arrive plus ou moins à clôturer mes fins de mois sans encombre et je vis avec un partenaire que j’aime avec qui la relation est fluide. Ce ralentissement forcé est même une chance de nous voir un peu plus que dans le tumulte quotidien.

Mais, bon sang, chez moi, aucun enfant ne veut être seul dans sa bulle, dans sa pièce, avec ses Playmobils, ses Barbies ou son casque et un MP3 rempli d’histoires racontées par Marlène Jobert du matin au soir, à 7 et 8 ans. Ils veulent jouer à Mindcraft et regarder des vidéos de bricolage sur mon smarphone, à coté de moi. Pardon : SUR moi. Même mon chat est collant. Normal, il n’a pas l’habitude de me voir autant, et il en profite… Et même si j’étais ravie les premiers jours de retrouver mon conjoint, là c’est bon le H24 : pour moi, on peut déjà revenir à notre vie d’avant.

Vous savez, je n’ai jamais aimé m’occuper de mes enfants à longueur de journée, que ce soit à la maison, toute l’année ou en congé.

C’est pour ça que j’adore les stages pendant les vacances scolaires, la piscine et les mouvements de jeunesse : c’est pour en être débarrassée de temps en temps, profiter de mon homme et voir mes copines, ou parce que je prefère travailler (psychologue c’est un métier formidable), ou juste pour glander toute seule à rien faire, chez moi ou en ville.

Et donc je voudrais juste recadrer un peu les choses pour ceux qui se sentent nuls. Et peut-être surtout pour celles qui ne se sentent pas à la hauteur, parce qu’elles n’arrivent pas à appliquer les bons conseils des spécialistes en ces temps de confinement. C’est juste normal. En vrai, personne n’y arrive vraiment.

Ou alors c’est parce qu’on a terriblement les moyens d’y parvenir. Du fric, du temps, plein de matos à disposition, des tablettes, de grands jardins, des enfants calmes et autonomes ou des enfants insipides et vraiment très mous (ça existe aussi), des ados équilibrés sans peau grasse, ni hormones. Parce qu’on a un partenaire toujours content, qui assume sa part de charge mentale et des tâches ménagères. Bref, rien à voir avec la vraie vie en fait.

C’est galère pour tout le monde ce confinement. Chacun a perdu des habitudes et du confort, et pour certains c’est pire que pour d’autres. Et on le sait, ça va être la cata là où il y avait déjà beaucoup de tension, peu d’espace, là où le moindre centime comptait, là où la violence ou la souffrance mentale pré-existaient déjà.

Alors les bons conseils de ralentir, de prendre un bain, d’écouter le silence, de faire un journal de confinement, de méditer ou de rire aux éclats… C’est une blague, en fait ? Surtout quand on n’a pas de fric et qu’on angoisse, pas de baignoire, qu’on stresse pour nos proches qui sont fragiles ou qui prennent des risques sans masque…

Et en famille… En profiter pour faire des bricolages, du jardinage, du rangement de la chambre ou du tri des jouets ? Mais quel enfant est d’accord de se défaire du moindre jouet trouvé dans un oeuf Kinder il y a 4 ans ? Quel gamin veut faire une recette de cuisine (et quel parent aime cuisiner avec des gamins excités dans les pattes et qui risquent à chaque instant de renverser le bol et foutre tout par terre ?)…

Toutes ces tâches qui vident l’esprit, même si elles sont chiantes, resteront moins pénibles si on les fait seule plutôt que sous forme d’un tuto youtube en mode « j’autonomise enfin cet enfant ! » Oui, cet enfant, le vôtre, celui qui est tout perdu de ne plus voir ses copains de classe, qui voit juste sa maison et les mêmes têtes déconfites du matin au soir, au lieu de centaines d’autres en temps normal, différentes tous les jours.

Donc, le seul truc que j’ai envie de dire, c’est : ON SE FOUT LA PAIX ! On fait ce qu’on peut. Juste ce qu’on peut, pas plus. On va devoir encore tenir longtemps, Ce n’est pas le moment de se lancer des défis surhumains. C’est le moment de se laisser tranquille et d’être gentil et extrêmement bienveillant avec soi-même. Quitte à donner son C4 à notre coach intérieur.

Eventuellement à l’heure du bilan, on constatera que des choses ont changé, et tant mieux si c’est le cas.

Si pas, on s’en fichera. On sera surtout content que ce soit fini et qu’on a tenu bon. Et qu’on se supporte encore.

Parce que c’est ça, le défi des prochaines semaines : vivre plus ou moins ensemble, plus ou moins côte à côte, et faire en sorte de ne pas (se) détester au point de (se) faire du mal ou d’atteindre l’overdose et de ne plus aimer l’autre.

On n’est pas responsable des émotions et des pensées qui naissent à l’intérieur de nous. On ne les contrôle pas.

On gère son frigo, son agenda, son compte en banque et ses lessives. Pas ses émotions. Par contre, on fait ce qu’on peut avec nos états d’âme, nos inquiétudes, nos peurs, nos angoisses de pas y arriver, de finir par craquer, nos craintes de pas être à la hauteur des attentes des autres et de celles qu’on s’impose du coup à nous-même.

Mine de rien, le chemin va être long. Et, même après le confinement, un peu comme après s’être assis en tailleur et avoir des fourmis dans les jambes, se relever sera douloureux. Et si on y va trop vite, on pourrait même se faire mal…

Après, on aura besoin de temps pour récupérer de l’énergie. Cette énergie qui nous a permis de passer à travers les émotions et les pensées nouvelles que cette crise aura fait apparaître en nous.

C’est pour ça que, si je peux à mon tour donner mon petit conseil de crise, de grâce, foutez-vous la paix, faites ce que vous avez envie de faire, à bas les « je dois » et les « il faudrait », concentrez-vous chacun sur ce qui vous permet de tenir, et au diable la culpabilité !

Le soir, à 20h, on devrait aussi un peu tous s’applaudir, en fait.

Françoise Leroux, psychologue

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