Sandrine GOEYVAERTS

Ah! La belge vie: l’extrait de Spa de Marcel

Sandrine GOEYVAERTS Sommelière, caviste, blogueuse et auteure de Jamais en carafe (à paraître)

Un terroir, c’est quoi ? Et si c’était, tout autant que ce qu’on produit, les souvenirs qui y sont rattachés, les moments passés, et ceux qui se profilent à l’horizon : la vie est belge, croyez-moi.

 » Vous me mettrez deux bouteilles s’il vous plaît, une pour ma mère et une pour mon oncle. Il a été opéré, il n’a plus trop d’appétit.  » Depuis que le monde est monde, les pharmaciens et les distillateurs se tirent la bourre à qui fera le meilleur usage des plantes et des alambics. On boit mais on se soigne. Le gin ? Censé guérir les maux d’estomac. Les apéros à la quinine ? Prémunir du palu. Et l’extrait de Spa ? Déjà, c’est bien de chez nous, ça compte !  » On ne va pas enrichir les gros, y a todi ben des p’tits assez ici.  » Et puis, c’est encore vendu en pharmacie… autant que chez les marchands de vin.  » Si si, un petit verre à jeun, tous les matins et depuis, je vous jure, il mange des carbonnades et même il en redemande.  »

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai vu cette quille sombre, à l’étiquette bleue et blanche trôner dans le vaisselier chez ma tante, s’offrir une petite sieste sur le buffet chez la voisine. Je l’ai vue déballée sur un lit d’hôpital, parce que  » pour se remettre, faudra ça « . On peut avoir des décos différentes, des dessus de table en crochet ou des nappes plastifiées à grosses fleurs, on peut s’engueuler sur le Standard ou Anderlecht, elle est toujours là, avec son étiquette datée.  » D’ailleurs, il est écrit fortifiant dessus, en toutes lettres, ce ne sont pas des mensonges.  » Plus de cent ans que ça dure : chaque famille a sa façon, ses habitudes. Jean le boit cul sec, dans un petit verre à goutte. Olga, allongé d’eau gazeuse, avec une rondelle de citron.

Ah! La belge vie: l'extrait de Spa de Marcel

Je ne sais pas s’il n’y a pas une part d’autosuggestion dans tout ça, si la légère amertume ne participe pas au fait qu’on la pense miraculeuse, cette boisson spiritueuse. Comme ça goûte un peu comme un médicament, si c’en était un ? Et puis,  » extrait « , ça fait sérieux. Plus sérieux qu’élixir, qui rime trop avec plaisir. A moins de dix balles, c’est accessible, bien plus que les cures ayurvédiques ou les extraits de ginseng couplés à des plantes rares et mystérieuses.  » Nous, on voit ce que ça fait, d’ailleurs ma belle-soeur en a pris juste après son retour de couches, et le lendemain, elle reloquetait toute la maison, en faisant ses poussières, même !  »

L’extrait de Spa, c’est un peu de concentré de belgitude, la certitude qu’on peut résister à tout, avec trois fois rien et deux bouts de ficelle. On sait bien, au fond, ce que c’est : un vin de liqueur, quelques plantes, puis du sucre. Rien de sorcier. Et justement, c’est là la magie, comme pour la recette des fricandelles. Tout le monde connaît la vérité, mais personne ne la dira. Trop risqué : ça pourrait bien ne plus marcher.

F.X. de Beukelaer, Extrait de Spa.

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