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Adoption homoparentale : « Cette loi ne fonctionne pas ! »

Le Vif

Neuf ans après l’officialisation de la loi sur l’adoption par les couples de même sexe en Belgique, l’heure est au bilan. Et celui-ci est assez mitigé. Au Sud du pays, seuls dix-huit couples homosexuels ont pu adopter un enfant. Un chiffre qui pose question quant à la mise en oeuvre de cette loi.

« La loi est là, mais, dans les faits, ça ne fonctionne pas ! » Voilà ce que martèlent, depuis neuf années, les associations de défense des homosexuels en Belgique francophone. Le 28 juin 2006, notre pays rejoignait les quelques états pionniers permettant l’adoption aux couples de même sexe. Neuf ans plus tard, 19 couples homosexuels (18 couples d’hommes, 1 couple de femmes) ont eu la possibilité d’adopter un enfant en Fédération Wallonie-Bruxelles, dont sept l’année dernière, et une petite trentaine en Flandre.

Pour l’association Arc-en-Ciel Wallonie, ces chiffres s’expliquent notamment par le fait que les couples gays n’ont pas accès à l’adoption internationale car les pays avec lesquels travaille la Fédération Wallonie-Bruxelles n’acceptent pas de confier leurs jeunes ressortissants à des couples de même sexe. « Maintenant, cela fait près de dix ans que l’on enfonce le clou », regrette Verlaine Berger, porte-parole de l’association. « Que l’on demande des partenariats avec d’autres pays. Certains, comme l’Afrique du Sud ou le Brésil, acceptent les candidats homos. Et la réponse que l’on reçoit est que ce n’est pas la priorité ! »

L’Afrique du Sud fait effectivement partie des pays ouverts sur la question de l’homosexualité. En réalité, il existe un partenariat concernant l’adoption entre les autorités sud-africaines et la Belgique. Mais, selon le cabinet du ministre Rachid Madrane, chargé de cette matière, à l’heure actuelle, aucun dossier de couple homosexuel n’est en cours de procédure avec ce pays. Dans les faits, les couples non-mixtes se retrouvent au bas de la liste, bien après les ressortissants d’Afrique du Sud ou encore les « familles classiques » étrangères qui souhaitent adopter un enfant. « Notre marge de manoeuvre est très réduite », confie Aude Lavry, attachée de presse du ministre. « La plupart des pays avec lesquels nous travaillons interdisent l’adoption par un couple de même sexe. Il s’agit d’une réalité sur laquelle nous avons très peu d’impact… »

Pour de nombreuses associations, il s’agit plutôt d’un manque de courage, ou de volonté politique. Elles attendent de nos autorités qu’un travail de fond soit effectué auprès des pays d’origine des enfants, afin de leur expliquer la façon dont les choses se déroulent chez nous concernant les couples de même sexe. Elles citent également les Etats-Unis comme un pays qui est en demande de candidats adoptants et avec lequel aucun partenariat n’est actuellement développé.

Seule possibilité actuelle : l’adoption d’un enfant belge

A l’heure actuelle, les homosexuels aspirant à la parentalité doivent donc se cantonner à l’adoption d’un enfant belge. Mais, ici encore, nous sommes loin d’une voie royale. Pour effectuer les différentes démarches, les candidats à l’adoption doivent s’inscrire auprès d’un Organisme d’Adoption Agréé. Et ces derniers sont loin de faire la part belle aux couples de même sexe. « L’ONE Adoption semble mettre les couples homos sur un pied d’égalité. Par contre, la plupart des autres organismes les refusent. Généralement, ils se retranchent derrière une question d’éthique par rapport à leur association. Ils ne refusent pas en invoquant clairement la raison de la tendance sexuelle, mais avancent d’autres raisons fallacieuses pour stopper le processus », confie Verlaine Berger.

Des accusations que réfute le cabinet du ministre Madrane. Ce dernier évoque des dossiers en attente dans les trois organismes chargés de l’adoption d’enfants belges. « Il n’y a pas de discrimination à ce niveau, mais il faut savoir qu’il y a très peu d’enfants « adoptables » en Belgique. Au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles, on tourne actuellement autour de 34 enfants par an en moyenne. L’offre est donc bien inférieure à la demande… » Depuis 2007, 248 enfants belges ont été confiés à une famille adoptive de notre côté du pays. Un peu moins de 6% de ces dossiers concernent donc des couples « non-mixtes ».

Les organisations de terrain l’admettent, le projet d’adoption d’un couple homosexuel leur pose toujours davantage question que celui d’un couple classique. « C’est une problématique qui ne peut pas se traiter à la légère et il est certain qu’il faut un peu de temps avant que ce type de projet puisse fonctionner de manière aussi naturelle que pour un couple de sexe différent », confie Bernard Mathieu, responsable de l’ONE Adoption.

Un second organisme chargé de l’adoption interne est l’asbl Service d’adoption Thérèse Wante. Cette structure a régulièrement été pointée du doigt par les associations pour son manque d’ouverture envers les couples de même sexe. Pourtant, ses responsables assurent qu’ils n’ont jamais été contre l’adoption homoparentale. Aujourd’hui, deux couples d’hommes se trouvent sur leur liste d’attente. Mais l’association admet qu’il lui a fallu du temps pour prendre en compte la nouvelle législation. « Nos équipes ont pris le temps de réfléchir. Nous voulions être au clair quant aux différents éléments à analyser. Dans le cadre d’un projet d’adoption par un couple de même sexe, il y a, d’une part, tout ce qui reste vrai pour tous les couples : l’ouverture, le fait d’être prêt à affronter certaines difficultés… Et, d’autre part, certaines questions par rapport à la gestion de la parentalité, de la prise en charge de l’enfant, de l’entourage, mais aussi de l’acceptation par la famille. Nous avons pris le temps d’examiner toute une série de points car nous ne voulions pas nous lancer tête baissée dans l’exécution de cette loi », confie Michèle van Egten, responsable de l’association. « Il faut savoir aussi que nous avons eu peu de demandes. Par ailleurs, dans les questions d’adoption, l’opinion publique pense souvent au parcours difficile des candidats adoptant, et il est vrai que la procédure est longue. Mais on ne réfléchit pas toujours à la responsabilité que représente le fait de confier un enfant pour la vie à un couple. Ce n’est pas une décision qui peut se prendre à la légère… »

Le choix des mères de naissance

Bernard Mathieu met en lumière une autre facette de l’adoption par les couples de même sexe. Lorsqu’une mère prend la lourde décision de confier son enfant à une autre famille, une longue réflexion s’engage alors entre elle et l’organisme d’adoption. Leur but est de trouver une famille adoptante qui ne soit pas en contradiction avec les valeurs de la mère biologique. Si cette dernière refuse que son enfant soit confié à un couple gay, alors son avis sera pris en compte. « L’objectif est de ne pas placer la mère de naissance dans une situation d’angoisse par rapport à l’avenir de son enfant. Ce n’est déjà pas évident pour elle. Donc, la plupart du temps, quand il y a vraiment une réticence majeure, on essaye d’en tenir compte », explique le responsable de l’ONE adoption.

Davantage d’ouverture en Flandre

Aujourd’hui, selon l’autorité centrale fédérale en charge de l’adoption, 26 enfants ont été confiés à des couples de même sexe au Nord du pays (juin 2015). Une disparité par rapport à la Wallonie et à Bruxelles qui peut s’expliquer par le nombre d’habitants, mais pas seulement.

Les associations homoparentales traduisent cet écart par une plus grande ouverture d’esprit au Nord du pays. Avant 2006, plusieurs enfants avaient déjà été confiés à des candidats homosexuels qui se présentaient officiellement comme célibataires. Une réalité que connaissaient les organisations flamandes chargées d’adoption. Cette expérience a sans doute permis à la « machine de l’adoption » flamande de s’adapter plus rapidement à la nouvelle réalité légale. Une autre raison évoquée est la différence culturelle qui sépare les deux parties du pays. « Les Flamands sont culturellement plus ouverts à ce genre de choses. Ils reçoivent aussi l’influence des Pays-Bas où ce type de situations était déjà légale avant 2006 », estime Luis Amorim, membre du conseil d’administration d’une association militant pour l’homoparentalité en Europe. « La Wallonie regarde peut-être plus en direction de la France, qui est toujours très conservatrice sur ce genre de questions… »

« On a du bol, mais qu’est-ce qu’on s’est battues ! »

Stéphanie et Catherine (*) font partie des exceptions. Elles sont passées entre les mailles du filet et ont pu adopter, en 2009, une petite fille. Rares sont les couples de femmes qui entament un processus d’adoption, optant généralement pour le recours à la procréation médicalement assistée. Mais, elles, préféraient accueillir un enfant qui avait besoin d’une famille. Aujourd’hui, Clara (*) a cinq ans et demi et semble parfaitement heureuse dans ce foyer quelque peu particulier. Dans les yeux de ses mamans, on peut lire l’amour qu’elles portent à cette enfant, mais aussi la fierté du chemin parcouru. « On a eu un bol pas possible, mais on s’est aussi beaucoup battues pour y arriver », commente Stéphanie. Dès que la loi a été rendue officielle, ce couple a entamé les démarches de rigueur. « Lors des premières séances d’informations, on a vite compris que tout était encore pensé pour les couples hétéro. On était d’ailleurs les seules dans notre cas. Et, très vite, on a essayé de nous décourager, en nous disant que nous n’y arriverions pas… » Les deux femmes ont tout de même tenu bon, jusqu’à arriver à l’étape des entretiens dans un organisme d’adoption agréé. Elles ont été dirigées vers l’association Thérèse Wante. « Lors de la première séance d’information collective, aucun obstacle n’a été soulevé quant à notre sexualité. Nous avions donc bon espoir. Mais, lorsque nous avons voulu nous inscrire aux séances suivantes, ils nous ont répondu que leur équipe était en pleine réflexion par rapport à l’adoption non-mixte et qu’ils ne pouvaient donc pas nous recevoir. Après nous avoir donné plusieurs arguments pour se justifier, ils ont ajouté qu’à compétence égale, ils choisiraient un couple hétéro… »

Dépitées, ces deux femmes se sont alors redirigées vers l’ONE Adoption. Après maintes discussions, l’organisme s’est finalement engagé à les inscrire sur une liste d’attente. Deux années s’étaient déjà écoulées depuis le début de leurs démarches, mais elles n’étaient pas au bout de leurs peines. Durant un an et demi, ces candidates à l’adoption sont restées sans nouvelle. « On avait presque perdu espoir. Et puis, un jour, un coup de fil : on a un enfant pour vous ! Fin 2009, elle est arrivée et, depuis, c’est le bonheur… »

(*) prénoms d’emprunt

Emilie Stainier

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