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Accueillir un migrant chez soi: ce que dit la loi

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Valérie Henrion est avocate spécialisée en droit des étrangers. Suite à l’inculpation de deux journalistes belges, elle nous explique la législation et les limites à ne pas franchir lors de l’accueil de migrants par des citoyens lambda.

Que stipule exactement la loi concernant l’accueil des migrants par des citoyens?

C’est la loi du 15 décembre 1980 qui régit l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. Elle régit tout le statut des étrangers, que ce soit l’asile, les demandes d’autorisation de séjour, et notamment les infractions relatives à l’immigration.

La loi belge pénalise la présence de la personne « sans-papiers » sur le territoire (article 75, L. 1980). Mais fort heureusement, l’aide offerte à ces personnes pour des raisons « principalement humanitaires » n’est pas poursuivie (articles 77 et 77bis, L. 1980). Il ne peut donc y avoir aucune intention criminelle ou retirer un avantage notamment financier dans l’aide apportée.

Soyons clairs. Le « délit de solidarité » n’existe pas.

Par conséquent, il n’est pas illégal d’héberger des sans-papiers ou des demandeurs d’asile, ni de leur louer un appartement à un loyer proportionné, ce qui évite les marchands de sommeil. Transporter un migrant dans sa voiture, lui acheter des vêtements, l’amener chez le médecin, l’aider dans ses démarches administratives et juridiques, et même lui acheter une carte SIM pour son téléphone n’est pas interdit par la loi, à partir du moment où la personne aidante n’en retire aucun avantage financier et n’agit pas dans un but criminel. L’hébergeur n’est pas non plus responsable ni condamnable en raison du statut de séjour de son invité ou de son locataire.

Pourtant, on constate que la politique migratoire actuelle tend insidieusement à considérer ces citoyens « aidants » comme étant en contravention avec la loi.

Il faut savoir que les articles 77 et 77bis de la loi de 1980 visent particulièrement le trafic des êtres humains comme celui organisé par les passeurs. Ces articles ne criminalisent pas l’aide humanitaire apportée aux personnes « sans-papiers » notamment par des citoyens et des organisations. Quand il y a intention humanitaire, elle doit s’entendre le plus largement possible.

La prise en charge est-elle différente pour des mineurs d’âge ?

Les mineurs étrangers non accompagnés (MENA) peuvent avoir accès à un accompagnement spécifique dans leurs démarches juridiques et administratives afin d’obtenir un titre de séjour en Belgique. Les mineurs peuvent être signalés au service des tutelles. Mais, pour l’hébergeur, ce n’est ni illégal ni répréhensible de ne pas le faire. Certains jeunes ne désirent en effet pas être signalés et ne veulent pas d’un statut plus particulier parce qu’ils veulent à tout prix aller en Angleterre pour des raisons qui leur sont propres. On ne peut pas forcer quelqu’un à introduire une demande d’asile en Belgique.

La demande d’autorisation de séjour propre aux MENA

Tout dépend de la situation, mais il est souvent dans l’intérêt du migrant mineur d’âge (moins de 18 ans) d’être signalé au service des tutelles qui dépend du SPF Justice. Il s’agit d’une formalité administrative qui peut se faire tant par un avocat que par un citoyen, un bénévole ou une association. Ce service désigne un tuteur agréé qui accompagne le mineur dans ses démarches juridiques et administratives, mais aussi dans sa scolarité. Il sera mis en contact avec un avocat qui l’aidera à entreprendre les démarches nécessaires pour obtenir un titre de séjour. Ce sont des procédures plus protectrices pour les mineurs d’âge pour veiller à ce qu’ils soient bien pris en charge au niveau également de leur hébergement.

La police peut-elle arriver sans prévenir chez des citoyens qui hébergent des migrants en vue de les arrêter ?

A ce jour, non. Le projet loi sur les visites domiciliaires viserait l’arrestation des personnes « sans-papiers » au domicile des personnes qui les hébergent. Il faut l’autorisation d’un juge d’instruction et les heures sont définies, de 5h à 21h.

Rappelons que ce projet de loi n’a pas encore été voté et n’est donc pas d’application. La société civile au sens large ayant vivement protesté contre l’esprit de ce projet.

Quelles sont les limites à ne pas franchir lorsqu’on aide un migrant ?

Il faut être prudent par rapport à tout ce qui touche à l’argent comme les transactions financières. Même pour retirer une certaine somme pour un migrant auprès d’une institution financière comme Western Union, il est préférable de passer par le compte-tiers d’un avocat afin de garder une trace officielle.

Mettons en avant les choses positives que les hébergeurs réalisent pour de nombreux migrants. Car en plus de mettre leur maison à leur disposition, ils les nourrissent, les aident en leur achetant des vêtements, en réglant des frais médicaux ou de transport et déboursent de l’argent alors que ces personnes ne sont pas de leur famille.

Ce qui doit surtout être souligné, c’est la part d’humanité exprimée par ces citoyens confrontés à la misère du monde chez nous. Il y a bien sûr des lignes rouges à ne pas franchir dans le cadre de cet accueil, mais on ne peut criminaliser l’accueil des migrants. Cela en deviendrait sournois.

Quand le gouvernement parle d’une politique migratoire « humaine et ferme », on voit surtout jusqu’à présent la fermeté, mais pas l’humanité. C’est un devoir d’accueillir décemment ces gens d’une vulnérabilité extrême. Il y a non-assistance à personne en danger quand des personnes en détresse ne sont pas secourues. Toute personne a le droit de vivre conformément à la dignité humaine.

L’affaire impliquant ces trois citoyennes peut-elle faire jurisprudence ?

Je ne connais pas le fond du dossier. Mais l’article 77 de la loi du 15.12.1980 est clair, si « l’aide est offerte pour des raisons principalement humanitaires », il ne peut y avoir de condamnation.

Pour plus d’infos: http://www.liguedh.be/destination-solidarite/

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