À quoi sert le nationalisme ?

Depuis la mise en place du gouvernement Michel, le communautaire a officiellement été mis au frigo jusqu’aux élections de 2019. Ceci étant dit, n’importe quel observateur, même distrait, de la politique belge sait à quel point les polémiques communautaires se trouvent en embuscade derrière tout sujet délicat ou négociation difficile entre le Nord et le Sud du pays, que ce soit au sein de la majorité fédérale ou entre les Régions.

Plusieurs dossiers récents touchant des matières très diverses en constituent de très bons exemples : le financement du RER autour de Bruxelles, la répartition des efforts financiers entre Régions dans le cadre de la COP 21, ou encore les quotas de médecins.

Néanmoins, pour certains experts ou figures de proue du Mouvement flamand, les demandes nationalistes et les revendications séparatistes seraient actuellement reléguées au second plan, ce qui constituerait un volte-face inacceptable de la N-VA.

Pour ma part, non seulement je n’y crois pas, le communautaire risquant de revenir au galop en 2019, mais, plus fondamentalement, j’ai le sentiment que l’idéologie nationaliste n’a jamais été aussi présente dans les débats publics, certainement depuis que le sécuritaire et la lutte contre le terrorisme font les gros titres de l’actualité.

En effet, les discours politiques basés sur le « eux contre nous » ne cessent de fleurir ces derniers mois en Belgique, comme en Europe. Le nationalisme n’est bien sûr pas l’unique idéologie responsable de ces prises de position populistes, voire parfois racistes, mais en mettant une nation, la sienne, au-dessus des autres et en privilégiant systématiquement ses intérêts, il est clair que l’on crée un terreau fertile à leur développement.

En d’autres termes, à force d’exalter le sentiment de supériorité d’une nation ou d’une communauté sur une autre, on ne fait que nourrir le repli sur soi, qu’intensifier le rejet de ceux qui seraient différents et que créer des amalgames entre individus et appartenance à une communauté. Ce sont de tels mécanismes qui peuvent aboutir à des réflexions telles que « les musulmans sont des terroristes », « les réfugiés des criminels », « les étrangers des voleurs » ou, à une échelle différente, « les Wallons sont des paresseux ou des profiteurs ». Car même si les querelles belgo-belges relèvent d’un degré de gravité distinct des problèmes de « vivre ensemble » que nous connaissons actuellement au niveau des religions ou de la crise des réfugiés, le nationalisme va, dans chacun des cas, renforcer l’agressivité d’un camp par rapport à l’autre et privilégier l’affrontement plutôt que la compréhension mutuelle.

La question de la pertinence du nationalisme pour répondre aux défis que connaît notre société se pose donc pleinement et la position défendue dans ce texte est claire : il n’apporte aucune solution efficace à nos concitoyens que ce soit en termes socio-économique ou de qualité de vie. En un mot comme en cent, à part flatter une partie importante de la population, le nationalisme ne sert à rien, si ce n’est à accroître les préjugés entre communautés différentes et à empêcher tout projet commun de société.

Historiquement, cela n’a pas toujours été le cas et le nationalisme a pris de nombreuses formes tout en évoluant au fil du temps. Sans entrer dans les détails, le sentiment national a permis d’engager, à ses origines en Europe, un processus d’unification territoriale, économique et linguistique aboutissant à la mise en place de l’État comme représentation de la communauté nationale, à la place du système féodal local.

A force d’exalter le sentiment de supériorité d’une nation ou d’une communauté sur une autre, on ne fait que nourrir le repli sur soi.

Par la suite, aux 19e et 20e siècles, de nombreux mouvements nationalistes sont menés par des peuples voulant se libérer de la tutelle étrangère qui leur est imposée, notamment dans le cadre de la décolonisation, et permettent la consécration du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (autodétermination). Toutes ces manifestations du nationalisme peuvent être considérées comme positives ou, à tout le moins, appréhendées avec bienveillance.

Le nationalisme remis en cause dans cette carte blanche est apparu plus récemment et a pris un tournant très conservateur et réactionnaire, ce qui le rend hostile à tout ce qui, à ses yeux, pourrait porter atteinte à l’essence de la nation. C’est le nationalisme porté, entre autres, par la N-VA en Belgique et, dans une forme plus extrême, par le Front National (FN) en France.

Dans le contexte belge, deux précisions me paraissent importantes en vue de compléter l’analyse. Tout d’abord, afin qu’il n’y ait aucun malentendu, le Mouvement flamand faisait partie, à la fin du 19e et au début du 20e siècle, de ces mouvements qui visaient, à juste titre, l’émancipation sociale et culturelle d’une partie de la population. Celle-ci s’apparentait en outre davantage à une lutte de classes qu’à une hostilité quelconque envers les Wallons. Aujourd’hui, une partie de ce Mouvement flamand s’est radicalisé et porte un discours proche de celui de la N-VA, mais cela n’a pas toujours été le cas et certainement pas à ses origines.

Deuxièmement, les séparatistes taxent souvent les fédéralistes de « nationalistes belges » visant à exalter un maximum la « patrie Belgique » et à centraliser nombre d’enjeux et de compétences. Rien n’est plus faux et, pour ma part, remplacer un nationalisme par un autre n’aurait aucun sens et je m’opposerais tout aussi fermement à un hypothétique nationalisme belge. C’est le défi majeur des fédéralistes : convaincre que notre identité est multiple (européenne, belge, flamande, wallonne et bruxelloise) et que c’est en collaborant toujours plus étroitement que nous serons efficaces, au bénéfice de l’ensemble de nos concitoyens. En appréhendant la diversité de manière positive, tout en respectant les particularités de chacun.

En guise de conclusion, je ne vois pas comment le nationalisme peut répondre aux enjeux socio-économiques, environnementaux ou de sécurité propre au 21e siècle. Comment une telle doctrine prônant le repli sur soi et la mise en avant systématique de sa propre communauté, sans se préoccuper de l’intérêt général, peut-elle prétendre résoudre des problèmes globaux dans une société de plus en plus interconnectée et métissée ? C’est incontestablement un mirage.

Malheureusement, ce mirage, porté par des porte-parole charismatiques abusant de raccourcis simplistes ou usant de mauvaise foi sans limites, a le potentiel de convaincre un nombre important de nos concitoyens. Il faudra argumenter sans relâche et démontrer que d’autres solutions sont possibles, que ce soit au niveau du communautaire belge, du projet européen ou du « vivre ensemble » de manière plus large. Ce sera le défi politique majeur des années à venir.

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