Gaïd Prigent et Camille Delvoye, d'Infirmiers de rue : "Il y a un véritable travail de socialisation à faire." © DR

À Liège, le gros défi de la mendicité

Le Vif

En recrudescence à Liège, les sans-abris sont régulièrement pris à partie par les commerçants et les riverains du centre qui en appellent aux pouvoirs publics pour trouver une solution. Un appel catégorique à régler un problème pourtant équivoque.

Côté pile, Liège est en pleine renaissance. Pour les habitants comme pour les touristes de passage qui sont chaque jour plus nombreux à visiter la Cité ardente, difficile de passer à côté des nombreux changements. De la gare Calatrava au musée Curtius en passant par le musée de la Boverie ou la passerelle La Belle liégeoise, il flotte en bord de Meuse un doux parfum de fierté principautaire que l’on pensait depuis longtemps évaporé. Et le meilleur serait à venir. Dans les prochaines années, le chantier du tram et la piétonisation du centre qui l’accompagne devraient en effet modifier en profondeur le rapport à la ville…

Côté face pourtant, c’est comme si la Cité ardente avançait à deux vitesses. Chez les commerçants, la grogne s’intensifie. Mendicité, sans-abrisme et toxicomanie : ils ne se privent pas pour monter au créneau et dénoncer la recrudescence des incivilités, à l’instar des commerces de la place Cathédrale, qui ont récemment exprimé leur ras-le-bol dans la presse. Déchets au sol et détritus en tous genres, la situation n’a que trop duré pour les intéressés.

Un constat partagé par Jean-Luc Vasseur, le président du Commerce liégeois. Pour ce dernier, les sans-abris qui occupent le centre-ville sont laissés à leur sort. Une solution préjudiciable pour les personnes fragilisées et qui rejaillit négativement sur l’image de marque de Liège. Et Jean-Luc Vasseur de dénoncer une culture de l’hypocrisie, enjoignant plutôt à aller de l’avant :  » Prenons le problème à bras-le-corps et trouvons des solutions pour le résoudre. Nous avons besoin de lois – qui n’existent pas à l’heure actuelle ; elles sont indispensables pour concrétiser ces solutions.  »

Cache-misère

Même constat pour une série de riverains qui, las d’attendre, ont décidé de prendre les devants en installant au bas de leur immeuble des dispositifs antisquatteurs, visant à éviter la présence inopportune de dormeurs au pied de leur immeuble. Des aménagements privés qui ne nécessitent aucun permis d’urbanisme, mais qui ont pourtant été publiquement vilipendés par de nombreux citoyens. Un débat symptomatique d’un mal-être plus profond.

Cette détresse, Christian Beaupère, chef de corps de la police de Liège, en est bien conscient :  » Sous des prétextes tout à fait honorables de liberté individuelle, certaines personnes sont livrées à elles-mêmes sur la voie publique. On a essayé de multiplier les pistes, par exemple l’internement pour celles qui relèvent du psychiatrique, mais on n’a pas été entendus. C’est un public que, visiblement, on ne souhaite pas voir dans les hôpitaux psychiatriques. Et pourtant, cela peut avoir un effet incroyable, parce que parfois, certaines personnes ont simplement besoin d’un accompagnement et de médicaments.  »

Descente aux enfers

Si l’on s’en tient aux chiffres avancés par l’association Infirmiers de rue, présente depuis mai 2019 à Liège, la population de sans-abris à Liège avoisinerait aujourd’hui 500 personnes. Un chiffre en forte croissance entre 2008 et 2018 selon les observateurs du terrain, même s’il n’existe pas à Liège de comptage officiel en la matière. Pour Infirmiers de rue, le premier chiffre que l’on retient toutefois, c’est 26 : le nombre de morts des suites du vivre en rue en 2018. Un chiffre élevé au sein d’une population fragilisée, dont l’espérance de vie est inférieure de 25 à 30 ans à celle du reste de la population. Une précarité morbide contre laquelle s’insurge l’association.

Gérer un problème, ce n’est pas le solutionner.

Pour Pierre Ryckmans, médecin chez Infirmiers de rue, le phénomène est particulièrement critique dans la Cité ardente, le personnel soignant étant confronté à une double difficulté :  » A Liège, on vient de très loin. Avant nous, il n’y avait pas de service médical de rue, ce qui se traduit dans les faits par un état de santé particulièrement dégradé chez les personnes qui vivent en rue. Il faut y ajouter le problème de la toxicomanie active, particulièrement présente « .

Une problématique que ne résout pas l’ouverture d’une salle de consommation à moindre risque, même si elle a un impact sur la santé pour certains cas de consommation.  » Gérer un problème, ce n’est pas le solutionner.  » Et le docteur Ryckmans de rappeler que l’aide à apporter va bien au-delà des soins médicaux :  » Les soins à prodiguer sont médicaux, mais aussi psychologiques et sociaux. Il n’y a pas de solution simple. Pour lutter contre le sans-abrisme, il faut viser la réinsertion et travailler sur l’accès au logement. « .

Comme l’explique Gaïd Prigent, chargée de projet au sein de la cellule liégeoise, la mission d’Infirmiers de rue consiste à permettre l’accès à tous aux soins de santé, en ce compris aux plus démunis. Une urgence qui justifie l’ouverture récente d’une antenne au coeur de la ville. Mais celle-ci souligne que le problème est complexe et passe par une compréhension à 360° de la situation. A commencer par les premiers intéressés, souvent réticents face à l’aide qui leur est apportée.  » Pour certaines personnes qui se retrouvent à la rue, il est parfois plus facile de refuser l’aide et de se dire que c’est un choix personnel. Ça fait parfois moins mal et ça évite d’être rejeté par la suite. Il y a un véritable travail de socialisation à faire « , confie Gaïd Prigent.

Qui peut le plus peut le moins

Un objectif à long terme qui, pour l’association, est aussi la seule manière durable d’apporter une solution au problème.  » C’est long et ça coûte cher, mais on y croit. Plus l’aide qu’on apporte est régulière, plus la gravité des cas diminue et plus la réinsertion est simple. Inversement, nier le problème ne fait que le complexifier « , souligne Gaïd Prigent. Au quotidien, il demeure qu’il faut faire face à l’urgence et à la souffrance en parant au plus pressé, raison pour laquelle Infirmiers de rue travaille en priorité avec les cas les plus à risque.  » Car une fois que les personnes sont mortes, on ne peut plus rien faire pour elles « , rappelle Pierre Ryckmans de façon cinglante.  » On cherche aussi à se positionner en exemple « , explique à son tour Gaïd Prigent  » en montrant aux autres organisations qu’on peut sortir de la rue même les cas les plus difficiles. On essaie d’être un vecteur d’optimisme et de montrer qu’il y a des solutions.  »

Une confiance à toute épreuve qui, aux dires de l’organisation, porterait ses fruits.  » A Bruxelles, ils ont sorti 120 personnes de la rue et aujourd’hui, plus personne dans la capitale ne doute que ce soit possible. « 

Par Kathleen Wuyard et Clément Jadot.

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