"Pas de retour à l'anormal." Manifestation Still Standing for Culture, le 20 février dernier, à Liège. © BELGA IMAGE

À la veille du Codeco, la culture prépare la rébellion

Nicolas Naizy Journaliste

À la veille d’un Codeco qui se penche sur un éventuel déconfinement de la culture, les acteurs des secteurs culturel et événementiel mettent la pression maximale sur le gouvernement fédéral. Et si on ne peut pas rouvrir, on accueillera du public quand même, prévient-on.

Un plan est sur la table du Codeco qui devra se prononcer ce vendredi 23 avril sur une éventuelle reprise des activités culturelles. Établi par une plateforme regroupant des fédérations sectorielles de la culture et de l’événementiel (les festivals notamment), le plan prévoit une réouverture des lieux culturels qui pourraient accueillir de nouveau du public. En gros, les auteurs de ce plan proposent d’autoriser dès le 8 mai des activités se tenant à l’extérieur devant un public de 200 personnes et des représentations en intérieur avec une jauge de 100. Le hic, c’est que cette proposition est bien plus ambitieuse que le plan plein air qu’esquissait le Premier ministre Alexander De Croo lors du dernier Codeco du 14 avril et qui prévoyait la reprise d’activités en extérieur avec maximum 50 spectateurs.

À l’approche de la réunion de ce vendredi, la ministre de la Culture Bénédicte Linard, interrogée mardi par Le Soir, douchait les espoirs des acteurs culturels qui espéraient ainsi contribuer de manière constructive au débat. Ils avaient déjà fait savoir leur déception la semaine dernière et répétaient le ras-le-bol de secteurs qui souffrent artistiquement et économiquement et qui ont l’impression de n’avoir jamais été pris en compte. « La culture n’est pas une variable d’ajustement« , répètent-ils depuis des mois alors que supermarchés et autres grands commerces peuvent accueillir la clientèle dans des conditions moins strictes que ne l’étaient celles imposées aux lieux culturels durant le déconfinement entre juillet et octobre 2020. Ce qu’ils réclament: de la cohérence et de la perspective pour la reprise prochaine d’une vie culturelle et sociale « malgré le virus », pour reprendre les mots d’une carte blanche récente écrite par un trio d’experts. Davantage que le désespoir, c’est la rébellion qui gronde…

Bénédicte Linard, ministre de la Culture (Ecolo)
Bénédicte Linard, ministre de la Culture (Ecolo)© BELGA PHOTO LAURIE DIEFFEMBACQ

Les arts vivants en tête de contestation

Premier rebelle affiché: le KVS, le théâtre royal flamand de Bruxelles qui a annoncé reprendre les spectacles en intérieur dès ce 26 avril avec les représentations (déjà toutes complètes) de son Jonathan avec maximum 50 personnes dans la salle selon un protocole sanitaire strict qui avait déjà été établi lors du premier déconfinement culturel. Son directeur, Michael De Kock, entend ainsi par ce coup de poker hautement politique envoyer un signal fort au gouvernement et a reçu pour l’occasion la bénédiction de la Ville de Bruxelles. Hors-la-loi donc mais adoubé par une autorité, communale certes.

Les conclusions décevantes pour la culture du Codeco du 14 avril ont fait sauter la soupape qui retenait d’autres institutions culturelles bouillonnant déjà d’impatience et de colère. Le directeur du Théâtre Les Tanneurs, Alexandre Caputo, envoyait le 16 avril aux différents membres du Codeco une invitation au spectacle Silent Disco de Gurshad Shaheman qui se jouera envers et contre tout du 4 au 12 mai. « Ce sera l’occasion d’entendre la parole de ces jeunes bouleversant.e.s et à vif, mais également de constater la qualité de nos installations et notre mise en place des protocoles sanitaires« , leur écrivait-il.

Les Halles de Schaerbeek ont annoncé, toujours dans le Soir, rouvrir du 1er au 8 mai pour une semaine de cabaret-débat ouverte à 200 personnes par soir sur les 2.000 que pourrait accueillir leur grande salle. Un dispositif aussi interdit actuellement.

Du côté du Public à Saint-Josse-ten-Noode, on se tient prêt pour le 8 mai. Mais on préfère rester dans les clous de la loi et de ce que permettrait un plan plein air en aménageant le parking privé extérieur en un espace de style cabaret pouvant accueillir 50 personnes – soit des petites tables éparpillées devant une scène – et accueillir ainsi des spectacles adultes et jeune public, petits concerts, lectures… Un dispositif prévu pour être également pérennisé cet été. À l’intérieur du théâtre, c’est en partenariat avec Filigranes que l’un des restaurants du lieu deviendra une librairie qui pourra aussi accueillir lectures, rencontres et concerts comme cela peut déjà se faire dans les espaces d’animation des librairies, bien ouvertes elles, pour autant que le public soit limité et que l' »activité » ne dépasse pas les 30 minutes. Un pied de nez que l’on peut interpréter comme un contournement des règles plutôt que leur infraction.

Le théâtre de la Monnaie
Le théâtre de la Monnaie© Belga

Une semaine d’actions

La fronde s’étend en donc, les occupations récentes du Théâtre National ou encore de la Monnaie en témoignent. La plateforme Still Standing for Culture qui organise les journées d’actions du secteur culturel depuis plusieurs semaines entend une fois de plus hausser le ton du 1er au 8 mai, avec la Fête du Travail en principal rendez-vous. Dans toute la Fédération Wallonie-Bruxelles aura lieu une série de manifestations (spectacles, lectures, concerts, débats…) destinées à faire comprendre au monde politique que les restrictions maintenues jusqu’alors n’ont plus de sens. Outre les théâtres, les différents secteurs font acte d’unité: centres culturels, salles de concert, cinémas… Parmi ces derniers, certaines salles indépendantes organiseront des projections en intérieur ouvertes au public, toujours dans le respect de normes imposées l’année dernière. « Ces lieux ouvriront parce qu’ils ne veulent plus attendre « que la situation épidémiologique le permette », alors que la situation épidémiologique permet de nombreux contacts sociaux lorsqu’il s’agit d’activités plus mercantiles« , précise le communiqué de l’action. Sans détailler le détail du programme, la plateforme attend de pied ferme la réunion du Codeco de ce vendredi et se tient prête à réagir en conséquence.

Sur la question des événements-tests les différents interlocuteurs disent soit que les expériences menées à l’étranger doivent être prises en considération, soit que les protocoles mis en place lors de la réouverture en 2020 en assurent déjà d’un accueil sûr des publics. Les événements ont montré que les salles de spectacle n’avaient pas été des lieux de propagation manifeste du virus. « Conditionner leur réouverture à de nouvelles mesures ou expériences, à des critères épidémiologiques ou aux avancées de la vaccination, c’est s’acharner à perpétuer une inégalité de traitement inacceptable« , argumente Still Standing for Culture.

D’autres se proposent encore de servir d’expériences telles que semblaient le souhaiter les autorités publiques. Prévu du 13 au 15 mai prochain, le Festival d’art forain et d’arts de la rue Namur en mai s’est déclaré volontaire par la voix de son directeur Samuel Chapel pour servir de cobaye (tests PCR et port du masque à l’appui). Une manière d’apporter des réponses aux nombreuses questions que se posent les organisateurs des festivals d’été, toujours dans l’incertitude du maintien de leurs activités (certaines grosses machines comme Rock Werchter et Graspop, prévues en juin, sont déjà annulées). « Le printemps culturel est enfin arrivé!« , claironne la désobéissance culturelle en marche.

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