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A la recherche d’un gouvernement fédéral majoritaire, un an après les élections

Le Vif

Il y a un an, le 26 mai 2019, les électeurs étaient appelés aux urnes pour renouveler la Chambre des représentants, mais aussi les parlements régionaux et communautaires. Si les entités fédérées ont pu former leurs gouvernements, non sans quelques péripéties, l’échelon fédéral est toujours orphelin d’un exécutif majoritaire.

Le soir du 26 mai 2019, l’annonce des résultats résonne comme une onde de choc. La coalition suédoise dirigée par Charles Michel, en affaires courantes et minoritaire depuis près de six mois, essuie une cuisante défaite avec une perte totale de 22 sièges à la Chambre. Le MR et le CD&V perdent chacun 6 sièges, l’Open Vld limitant la casse avec un recul de 2 sièges. La chute de la N-VA est encore plus lourde (-8 sièges). Les nationalistes flamands ne profitent nullement de leur départ de l’exécutif fédéral sur fond de désaccord sur la signature à Marrakech du pacte non contraignant de l’ONU sur les migrations.

Au nord du pays, le succès annoncé du Vlaams Belang est bien plus important qu’attendu. Le parti d’extrême-droite, laminé 5 ans plus tôt, passe de 3 à 18 sièges à la Chambre et devient la deuxième formation politique du nord du pays. Le ton a changé. La campagne est hyperactive sur les réseaux sociaux et les cadres ont été rajeunis avec comme figures de proue le nouveau président Tom Van Grieken et le leader du groupe étudiant Schild & Vrienden Dries Van Langenhove. La victoire est tellement éclatante que le jeune Van Grieken sera reçu au Palais lors du premier tour de consultations. Malgré la tenue de pourparlers au niveau régional entre la N-VA et le Vlaams Belang, le cordon sanitaire résistera.

Au sud du pays, c’est du côté gauche de l’échiquier politique que la pression monte. Les communistes du PTB enregistrent un succès historique, passant de 2 à 12 sièges à la Chambre, soit neuf sièges francophones, mais aussi trois sièges acquis en Flandre. Le PS reste toutefois le premier parti. Les socialistes, qui sortent d’une cure d’opposition au fédéral, mais aussi au niveau wallon après le « coup » du cdH de Benoît Lutgen en 2017, enregistrent toutefois une perte de 3 sièges à la Chambre et un score historiquement bas. La vague verte, longtemps annoncée dans le contexte des manifestations du jeudi pour le climat, est loin de tout emporter sur son passage. Ecolo gagne certes 7 sièges mais ne dépasse pas le MR en Wallonie. Groen n’en gagne que deux.

La N-VA reste donc tête en Flandre, le PS côté francophone. L’équation semble claire pour beaucoup d’observateurs, ces deux partis doivent s’entendre et constituer la colonne vertébrale du futur gouvernement fédéral, malgré des programmes diamétralement opposés.

Prudent, le Palais nomme le 30 mai un duo d’informateurs composé du MR Didier Reynders et du sp.a Johan Vande Lanotte, deux « sages » issus des deux premières familles politiques du pays, soit les socialistes et les libéraux. Ceux-ci écarteront d’emblée le cdH, qui a lui-même opté pour l’opposition, ainsi que le Vlaams Belang et le PTB avec lesquels aucune coalition ne peut se constituer. Ecolo fait quant à lui savoir qu’il ne mènera pas la moindre discussion avec la N-VA. Quatre mois plus tard, le 7 octobre, le duo, prolongé à maintes reprises, remet son rapport final. Les gouvernements des entités fédérées sont constitués et, selon les informateurs, il est enfin possible de passer à une mission de préformation sous l’égide de la N-VA et d’un PS toujours hésitant à discuter avec les nationalistes flamands.

Le Palais suivra la recommandation des informateurs et nommera les anciens ministres-présidents flamand Geert Bourgeois (N-VA) et francophone Rudy Demotte (PS) préformateurs. Cette mission s’enlisera rapidement. Le 4 novembre, le duo rend son rapport final, indiquant que « les bases pour engager une phase de formation sont insuffisantes ». Retour à la case départ alors qu’entretemps, la libérale francophone Sophie Wilmès a repris les clés du 16 rue de la Loi à Charles Michel, parti pour la présidence du Conseil européen.

Paul Magnette entre alors en scène en tant que nouvel informateur. Le président du PS annonce changer de méthode et vouloir parler contenu plutôt que coalitions. Il tente alors la formule « arc-en-ciel » rassemblant les socialistes, les libéraux et les écologistes, sans la N-VA donc et, également, sans le CD&V. Cette coalition disposerait d’une majorité d’un seul siège (76) à la Chambre sans disposer de majorité dans le groupe linguistique néerlandophone. C’est un nouvel échec. L’Open Vld, auquel était proposé un poste de Premier ministre, a semblé prêt à tenter l’aventure de négociations sans la N-VA mais il a finalement fait savoir, après un Bureau politique, que le travail était encore insuffisant.

Après un nouveau tour de consultations royales, deux présidents de partis fraichement élus entrent en piste le 10 décembre : le MR Georges-Louis Bouchez et le CD&V Joachim Coens. Pendant plusieurs semaines, le nouveau duo d’informateurs s’attache à réduire le nombre de formules de coalition possibles à 2: soit une alliance rassemblant le PS et la N-VA, soit une forme de « Vivaldi » où se retrouveraient socialistes, libéraux, écologistes et chrétiens-démocrates. Mais l’équation reste insoluble. Les démocrates-chrétiens flamands continuent de répéter qu’il faut une coalition avec une majorité en Flandre, c’est-à-dire impliquant la N-VA. Les socialistes francophones, eux, rappellent encore et encore qu’une alliance avec les nationalistes flamands n’est pas envisageable. Nouvel échec.

Le Palais décide alors de donner la main à Koen Geens. Issu du CD&V, il se voit confier le 31 janvier une mission aux contours très larges et peu définis. Finies les appellations en « eur », le ministre de la Justice est appelé à « prendre toutes les initiatives nécessaires. » Très rapidement, son parti lui enjoint de tester à nouveau la piste PS-N-VA. Le 14 février, jour de la Saint-Valentin, Paul Magnette rappelle tout le désamour de son parti pour les nationalistes flamands, contraignant le chargé de mission à remettre sa démission prématurément. La colère est grande au nord, singulièrement au CD&V, où l’on estime la confiance rompue avec les socialistes. La coalition PS-N-VA, mais aussi la « Vivaldi » ont plus que du plomb dans l’aile.

Pour calmer les esprits, le Roi Philippe nomme le président de la Chambre Patrick Dewael et la présidente du Sénat Sabine Laruelle. Tous deux libéraux et donc censés embarquer dans l’une ou l’autre des formules de coalition, ils se voient aussi confier une mission sans titre, mais l’urgence de former une coalition, dans un contexte budgétaire difficile, se fait de plus en plus pressante.

C’est alors qu’un virus venu de Chine change la donne, ou presque. Tout le week-end des 14 et 15 mars, des discussions ont lieu en vue de former un gouvernement d’urgence dont l’objectif sera de gérer la pandémie. PS et N-VA se retrouvent autour d’une même table. Mais l’alliance s’avérera une nouvelle fois impossible. D’une part, la volonté du président de la N-VA d’endosser le costume de Premier ministre ne plaît guère. D’autre part, Paul Magnette, d’abord enclin à monter un gouvernement, doit se raviser sous la pression de sa base. Il annoncera le dimanche en télévision qu’il ne s’alliera pas aux nationalistes flamands. La formule PS-N-VA ne voit toujours pas le jour.

Un accord est finalement trouvé pour accorder la confiance et les pouvoirs spéciaux à l’équipe de Sophie Wilmès, toujours composée du MR, de l’Open Vld et du CD&V. La N-VA, qui accordera les pouvoirs spéciaux, ne votera pas la confiance. Le 17 mars, le gouvernement prête serment. Il obtiendra les pouvoirs spéciaux neuf jours plus tard pour une durée de trois mois. Mme Wilmès s’est d’emblée engagée à redemander la confiance dans les six mois.

L’union nationale ne sera toutefois que de courte durée. Dès la fin avril, plusieurs partis, dont les socialistes et la N-VA, se sont prononcés contre la prolongation des pouvoirs spéciaux.

Une reprise des discussions au mois de juin sous le signe du coronavirus

Les discussions en vue de former un gouvernement fédéral devraient reprendre au mois de juin. Un an après les élections et de longs mois sans parvenir à trouver un terrain d’entente, les partis politiques sont désormais confrontés à l’un des plus grands défis qu’ait connus la Belgique au cours des dernières décennies: la relance d’un pays frappé par le covid-19.

A la mi-mai, les deux présidents socialistes, Paul Magnette et Conner Rousseau, ont pris l’initiative de consulter les dix partis qui ont participé jusqu’à présent aux négociations et soutenu l’octroi des pouvoirs spéciaux au gouvernement Wilmès. Ces pouvoirs spéciaux expirent à la fin juin et ne devraient pas être prolongés, sauf regain de la pandémie. Le gouvernement Wilmès a reçu la confiance du parlement et n’est formellement plus en affaires courantes. Rien ne justifie donc, à ce stade, une mission royale.

Les socialistes, première famille politique du pays, ont entrepris de rencontrer de manière informelle leurs homologues du MR, de l’Open Vld, d’Ecolo et de Groen, de la N-VA, du CD&V, du cdH et de DéFI. Les entretiens ont eu lieu, uniquement sous une forme bilatérale jusqu’à présent. Les discussions vont se poursuivre. Sous quelle forme? A ce stade, rien n’est encore décidé. Lorsqu’elle a reçu la confiance du parlement à la mi-mars, la Première ministre a annoncé qu’elle poserait à nouveau la question de la confiance six mois plus tard, soit en septembre. A moins que celle-ci soit anticipée, les partis ont quatre mois pour trouver un terrain d’entente sans qu’il soit question, toujours à ce stade, de désigner un chargé de mission royale.

La tâche ne sera toutefois pas plus facile qu’avant la crise du coronavirus. Les divergences demeurent entières et un fossé profond sépare toujours les deux premiers partis du pays: le PS et la N-VA. Quant à l’option d’un gouvernement sans la N-VA, elle implique toujours de convaincre le CD&V, qui ne veut pas d’un gouvernement minoritaire en Flandre, et d’être soutenue par le nouveau président de l’Open Vld, Egbert Lachaert, qui s’était montré critique à l’égard de la mission d’information de M. Magnette à la fin de l’année passée.

Certains n’excluent pas un retour aux urnes, une hypothèse déjà sérieusement avancée avant la crise sanitaire. A leurs yeux, le rapport de forces né du 26 mai est obsolète face aux décisions qui devront être prises pour redresser le pays, aussi bien pour relancer l’économie que pour assumer les conséquences sociales de la crise et assainir les finances publiques. Le scénario est toutefois risqué. L’organisation d’élections alors que la pandémie n’est pas jugulée pourrait se muer en casse-tête sanitaire. Et, au nord du pays, plane le spectre du Vlaams Belang dont une nouvelle victoire serait synonyme de chaos plus grand encore.

Le gouvernement Wilmès pourrait-il poursuivre sa tâche en restant minoritaire et en étant soutenu par des majorités diverses en fonction des projets à mettre en oeuvre? L’intéressée n’en veut pas. Elle a plaidé à plusieurs reprises pour un gouvernement de plein exercice, disposant d’une majorité parlementaire. Les libéraux redoutent entre autres l’accumulation de propositions visant à dépenser toujours plus alors que le gouvernement se cantonnerait au mauvais rôle de celui qui doit éviter le dérapage complet des finances publiques.

Tôt ou tard, sonnera aussi l’heure des comptes et des bilans. Au fur et à mesure que se réduit l’urgence sanitaire, des voix se font entendre clairement ou à demi-mots pour réclamer une commission d’enquête parlementaire sur la gestion de la crise du coronavirus, ou à tout le moins une commission spéciale.

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