Angelo Tino

À l’horizon d’une nouvelle décennie, la pauvreté reste au premier plan de l’actualité

En Belgique, en 2018, « 16,4 % de la population […] était considérée comme à risque de pauvreté monétaire », c’est-à-dire « des personnes vivant dans un ménage » avec un « revenu total disponible […] inférieur à 1 187 euros par mois pour une personne isolée ». Sans oublier les « 4,9 % » qui étaient « en situation de privation matérielle sévère ».

« La Pauvreté se montra tout à coup, non pas hideuse, mais vêtue simplement, et presque douce à supporter ; sa voix n’avait rien d’effrayant, elle ne traînait après elle ni désespoir, ni spectres, ni haillons ; mais elle faisait perdre le souvenir et les habitudes de l’aisance, elle usait les ressorts de l’orgueil. Puis, vint la Misère dans toute son horreur, insouciante de ses guenilles et foulant aux pieds tous les sentiments humains »[1].

C’est le trajet qui mène un couple de personnages balzaciens à l’indigence. La descente progressive des jeunes et malheureux protagonistes de La Vendetta.

Les images produites par la littérature dévoilent souvent mieux la réalité que de longues explications. Dans ce cas-ci, l’état de prostration physique et morale faisant suite à la perte des moyens de subsistance est sous nos yeux. C’est une « Pauvreté » au début plus discrète, mais prête à dégrader les vies qu’elle touche, à les faire tomber dans une « Misère » que les autres peuvent ignorer seulement au prix d’un regard très distrait, voire hypocrite.

Si la misère peut représenter l’un des visages les plus cruels de la pauvreté, comment pourrait-on définir cette dernière aujourd’hui ? Ce « terme », pour le CNLE français, « est employé quotidiennement sans que sa définition ne fasse pour autant consensus ». Un « concept […] spécifique à une époque et à une société données«  et donc difficile à fixer de manière « satisfaisante ».

D’autre part, les exigences quotidiennes semblent changer d’un contexte à l’autre. Si quelqu’un est perçu – et se considère – comme un « pauvre » parce que sa garde-robe n’est pas pleine de marques branchées et son smartphone n’est pas haut de gamme, quelqu’un d’autre se sentirait déjà mieux avec un logement et de quoi se nourrir. La perception de sa propre condition sociale et de celle des autres peuvent varier avec le temps, d’une région à l’autre ou dans la même ville et au même instant. Tout est relatif ? Sauf, peut-être, un état de privation que n’importe qui vivrait comme une souffrance.

L’OCDE définit le « taux de pauvreté » comme « la proportion de personnes dont le revenu est inférieur » à un certain « seuil » se situant « à la moitié du revenu médian de la population totale ». Mais c’est clair que dans « deux pays affichant le même taux de pauvreté », les conditions de vie « des plus démunis » peuvent présenter des différences considérables.

Un point de référence moins variable est fourni par le seuil international de pauvreté, placé par la Banque mondiale « à 1,90 dollar par jour » depuis « octobre 2015 ». Moins que 60 dollars par mois, en dessous desquels l’on serait « dans l’extrême pauvreté ». Un chiffre qui, ça va sans dire, ne permet pas partout d’accéder à un cadre de vie quelque peu moins sombre.

Un article de Gabriela Gublin Guerrero sur « BSI Economics » montre qu’il y a « différentes définitions et approches pour mesurer la pauvreté », qui s’avère « difficilement quantifiable » car elle est multidimensionnelle, pouvant « se manifester […] par la faiblesse ou l’absence d’un revenu, par un logement précaire, par une mauvaise santé, par une éducation insuffisante, par la sous-alimentation ou un environnement dégradé ». Des « facteurs » qui tendent à varier selon la « région » et le « groupe de personnes » et auxquels peuvent s’ajouter, par exemple, « l’absence de liberté, l’impossibilité de participer à une communauté ou le manque d’un sentiment d’appartenance à une société donnée ».

Ici la distinction entre pauvreté absolue et relative peut se révéler utile. Même si ces catégories apparaissent souvent trop concentrées sur « le revenu et la consommation », avec une perspective « étroite » pour des sociétés aux exigences complexes et changeantes. La première « mesure la pauvreté par rapport à la quantité d’argent nécessaire à satisfaire les besoins de base ». La deuxième « définit » un état de privation « par rapport aux conditions économiques des autres membres de la société ». En simplifiant, si le seuil de pauvreté relative est lié au niveau de vie de la population, celui de pauvreté absolue indiquera le revenu dont un individu ou une famille ont besoin pour pouvoir se nourrir, s’habiller et se loger.

Pas d’idée plus claire sur le sens de ce mot d’usage si commun ? Quelques données peuvent aider, comme des images littéraires, à comprendre ce qui se passe autour de nous.

Selon l’estimation fournie par les Nations Unies, « en 2018 », les « personnes » souffrant « de la faim dans le monde » ont dépassé les « 820 millions ». Un chiffre qui, depuis trois ans, ne semble pas prêt à baisser. Pour être plus précis, « 821,6 millions » d’individus « n’ont pas eu assez à manger […], contre 811 millions l’année précédente ». C’est-à-dire, « 1 personne sur 9 ». Mais le « rapport de cette année sur l’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde » nous dit aussi que « le surpoids et l’obésité continuent d’augmenter dans toutes les régions, en particulier chez les enfants d’âge scolaire et les adultes ».

En résumé, beaucoup de personnes ont peu ou rien à manger et d’autres se nourrissent trop et mal. Une vieille histoire ? Un symptôme en plus d’une distribution – voire concentration – des ressources de moins en moins équitable ? Les deux peut-être. En tout cas, « plus de 2 milliards de personnes, principalement dans les pays à revenu faible ou intermédiaire », n’auraient « pas régulièrement accès à une alimentation saine, nutritive et en quantité suffisante » et seraient « en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave ». Les individus « en situation d’insécurité alimentaire modérée ne sont pas » certains « de pouvoir se procurer à manger et » doivent « réduire la qualité et/ou la quantité des aliments » consommés.

Des limites à la possibilité de bien se nourrir s’avèrent un indicateur efficace – quoique pas le seul – d’un état de pauvreté et même de misère. Et si quelqu’un pensait que les questions liées à la nutrition n’affectent que les pays aux économies les moins fortes, voici une occasion de changer d’avis, car le « problème d’accès non régulier à la nourriture » concernerait « aussi […] 8 pour cent de la population d’Amérique du Nord et d’Europe ».

D’autre part, la situation dans l’Union européenne n’apparaît pas rose depuis un bon moment déjà. « 87 millions de personnes » – à savoir « 17,3 % » de la population – étaient « sous le seuil de pauvreté en 2015 » et un peu moins de la « moitié […] des […] sans emploi entre 16 et 64 ans […] étaient à risque de pauvreté après transferts sociaux en 2016″.Un « risque de pauvreté monétaire » qui atteint ceux « qui vivent dans un » contexte familial « avec un revenu disponible équivalent » inférieur à « 60 % du revenu disponible équivalent médian national après transferts sociaux ».

Ces données montrent bien l’état de précarité dans lequel de nombreux habitants de l’Union vivent, même si le seuil (en termes de montants) et le taux de pauvreté changent d’un coin à l’autre d’un continent aux conditions économiques bien variables.

En Belgique, en 2018, « 16,4 % de la population […] était considérée comme à risque de pauvreté monétaire », c’est-à-dire « des personnes vivant dans un ménage » avec un « revenu total disponible […] inférieur à 1 187 euros par mois pour une personne isolée ». Sans oublier les « 4,9 % » qui étaient « en situation de privation matérielle sévère« .

Dans les dix-neuf communes de la Capitale, au cours des premiers mois de 2019, environ 39 600 habitants bénéficiaient d’un revenu d’intégration sociale (la population recensée dépassait 1 200 000 unités au début de janvier). Une quantité non négligeable de personnes ayant besoin de faire appel à l’aide publique.

En outre, il y a le cas des personnes affectées par un problème de logement. Lors d’un « dénombrement effectué la nuit du 5 novembre 2018″, il y avait »4 187″ individus sans abris et mal logés dans la « Région de Bruxelles-Capitale ». Une problématique que « Le Plat Pays » – pour reprendre les mots de Jacques Brel – partage avec le reste de l’UE, où au printemps 2019 « au moins 700 000 personnes » étaient « sans abri […], soit 70 % de plus » que « dix ans » auparavant.

À l’approche de la deadline de la stratégie Europe 2020 – promouvant « une croissance intelligente, durable et inclusive » – les symptômes de la crise économique et sociale qui traversent ce continent, comme d’autres, semblent loin de disparaître.

Cela pendant que la situation globale continue à montrer que la perspective économique neo-liberal ne garantit pas au marché les outils adéquats pour permettre à tout le monde de jouir d’une existence digne, libre de la pauvreté et de la misère.

Il faudra voir si les dirigeants politiques et ceux des institutions publiques auront les capacités et la volonté nécessaires à trouver des solutions innovantes et mettre les personnes au centre des différents agendas. Un défi qui, au seuil des années 2020, concerne toutes les régions du monde et, clairement, n’exempte pas l’Union européenne et sa nouvelle Commission.

Angelo Tino (Twitter, blog) a étudié à la Faculté des Sciences Politiques de l’Université de Rome « La Sapienza » et à l’Institut d’Études Européennes de l’Université Libre de Bruxelles. Ses expériences professionnelles incluent la communication, les affaires européennes et un intérêt pour différents sujets d’actualité.

[1] Honoré de Balzac, La Vendetta, dans La Vendetta suivi de La Bourse, Librio, Paris 2013, p. 60.

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