Malgré l'instauration du suffrage universel, au scrutin de novembre 1919, sur deux millions d'électeurs inscrits, on ne compte que 12 000 femmes...

16 novembre 1919 : La mère de toutes les élections

Bien sûr, on s’attendait à des modifications profondes. Il semblait probable que les catholiques perdent leur majorité absolue. Le triomphe des socialistes était attendu. On prédisait aussi la percée de l’un ou l’autre parti nouveau – qu’il soit le fait de militants flamands ou carrément d’antipolitiques. Personne, pourtant, n’avait imaginé pareil séisme.

Les élections du 16 novembre 1919 bouleversent la composition du Parlement. A peine 51 des 99 députés sortants sont réélus ! Parmi les nouveaux venus, une flambée d’ouvriers, de leaders syndicaux, de flamingants… Le visage politique de la Belgique est neuf ; le pays serait-il devenu ingouvernable ?

Jusqu’alors, la Belgique politique vivait encore au xixe siècle. Catholiques et libéraux se partageaient gentiment le pouvoir – ils le monopolisaient aussi. C’était l’ère du capitalisme sauvage et de la bourgeoisie dominante. Le règne des plus nantis et des mieux instruits. Le temps des hommes. A la gloire des francophones. Le suffrage universel ? On en parlait depuis longtemps. C’était surtout une revendication du Parti ouvrier belge. Mais ce dernier pesait peu sur l’échiquier politique : avant la Première Guerre mondiale, il n’avait jamais mis les pieds dans un gouvernement. Pour l’heure, chaque homme disposait bel et bien d’une voix. Mais les plus riches et les plus diplômés pouvaient voter plusieurs fois. Et les femmes ? On n’en parlait même pas !

Arrive la guerre. Et ses lendemains. Offrir moins de poids aux soldats revenus du front qu’aux rentiers qui se sont planqués est moralement compliqué. Le suffrage universel est donc enfin accordé. Mais toujours seulement à l’exclusion des femmes, à l’exception de celles qui ont perdu un mari dans les combats ou se sont montrées héroïques. Au scrutin de novembre 1919, un peu plus de deux millions d’électeurs sont inscrits. Parmi eux, 12 000 femmes…

La campagne se révèle plutôt calme. Parce que les partis sentent qu’aucun ne sera assez fort pour gouverner seul ? Peut-être. Mais aussi parce chaque formation est divisée par des tensions internes. Du côté des libéraux, progressistes et doctrinaires peinent à se mettre d’accord. Chez les catholiques, c’est surtout la question flamande qui divise. Et si les socialistes semblent les plus unis, ils ne sont pas tous partants pour monter dans un gouvernement.

Que faire à présent ? Faute de mieux, on essaie de maintenir en place l’union sacrée née de la guerre. Mais tout s’avère compliqué : la négociation d’un programme, la répartition des portefeuilles… Le 16 décembre, la tripartite se présente devant la Chambre. Le Premier ministre Delacroix lit un vague programme. En néerlandais, le député De Greve demande que le texte soit aussi lu dans sa langue. Delacroix, pour sa part, estime que c’est inopportun. Il se contente de transmettre le texte écrit. L’incident est clos. Mais la Belgique politique est définitivement entrée dans une époque nouvelle. L’ère des revendications flamandes. Le règne des coalitions. Le temps de la démocratie. C’était en novembre 1919. C’était il y a un siècle.

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