Les milliards de la LIA sont sous sanctions de l'ONU depuis le soulèvement de 2011 contre Mouammar Kadhafi. © BELGAIMAGE

16 milliards de fonds libyens gelés en Belgique

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

On savait que les fonds libyens gelés en 2011 en Belgique s’élevaient à 12,8 milliards d’euros chez Euroclear Bank. Le Vif/L’Express révèle que ce montant a grimpé à plus de 16 milliards fin 2013, après être descendu sous la barre des 11 milliards en 2012. À combien ces fonds se chiffrent-ils aujourd’hui? Aucun contrôle parlementaire ne permet de le savoir.

En 2011, après la chute du régime Kadhafi en Libye et avant même la mort du « Guide », une incroyable chasse au trésor internationale a démarré. En jeu: environ 400 milliards de dollars, placés un peu partout dans le monde par le clan de Mouammar Kadhafi. Le Conseil de sécurité de l’ONU en a très rapidement décrété le gel pour que cette manne ne revienne pas dans les mains du clan déchu mais puisse, au contraire, aider le nouveau pouvoir en place à reconstruire le pays. D’où vient tout cet argent? Du pétrole, en grande partie. Dans les années 2000, la Libye a investi les recettes de ses hydrocarbures, via la Libyan Investment Authority (LIA), une holding chapeautant plusieurs fonds souverains.

Du Royaume-Uni à la France, en passant par l’Italie ou l’Allemagne, les actifs de la LIA et de ses filiales constituent une vraie tour de Babel: EDF, Danone, Fiat, le club de foot de la Juventus de Turin, Siemens, British Petroleum… Lors de la crise financière de 2008, la holding libyenne a notamment aidé à sauver deux banques européennes: la belge Fortis et la filiale luxembourgeoise de la banque islandaise Kaupthing. Mais combien l’Europe détenait-elle d’argent libyen, en 2011, dans les coffres de ses banques? Aucun inventaire n’existe. L’opacité est totale.

Réponses lapidaires au Parlement

En Belgique, le journal L’Echo a néanmoins révélé, en septembre 2011, que 14 milliards d’euros gelés se trouvaient alors dans quatre de nos institutions bancaires. Le ministre des Finances de l’époque, Didier Reynders (MR), l’a très vite confirmé. Il s’agissait de BNP Paribas Fortis (43 millions), ING (376 millions), KBC (869 millions) et, surtout, Euroclear Bank (12,8 milliards). Cette dernière, surnommée le « coffre-fort des banques », est une des deux chambres de compensation internationales (ICSD), lesquelles assurent le règlement/livraison de titres entre acheteurs et vendeurs sur les marchés transfrontaliers. Euroclear Bank, dont le siège se situe au coeur de Bruxelles, déploie des activités liées à ce système de compensation mais aussi des activités bancaires propres. Particularité: seules des institutions financières peuvent ouvrir un compte chez Euroclear pour des entités dont elles sont l’intermédiaire.

Que sont devenus ces milliards d’euros gelés en Belgique? Et les intérêts et dividendes qu’ils ont rapportés? Les quelques parlementaires qui ont essayé de le savoir, depuis 2011, en ont été pour leurs frais. Les réponses plus que lapidaires données par les ministres compétents, se retranchant derrière le secret imposé par un règlement européen, les ont laissés pantois et incapables d’exercer le moindre contrôle démocratique en la matière. Certains élus, entre autres MR, s’en sont d’ailleurs ouvertement agacés.

Le Vif/L’Express peut leur apporter désormais un début de réponse, grâce à des échanges de courriers entre le SPF Finances (Trésorerie) et Euroclear dont il a eu vent. Selon ces documents affichant l’état des fonds gelés, il apparaît que des 12,8 milliards qui se trouvaient chez Euroclear Bank en septembre 2011, 10 appartenaient à la LIA et 2,8 à la LAFICO (Libyan Arab Foreign Investment Company), un fonds souverain libyen créé dans les années 1980 et devenu une filiale de la LIA.

14,2 milliards de titres et 1,9 milliard de cash

En novembre 2013, on constate que la manne a gonflé de manière considérable pour s’établir à 14,2 milliards de titres et 1,9 milliard de cash sur les quatre comptes ouverts pour la LIA et la LAFICO par l’Arab Banking Corporation de Bahreïn et HSBC Securities Services Luxembourg. Soit 16,1 milliards d’euros au total donc, à la date du 30 novembre 2013.

Par ailleurs, Le Vif/L’Express a appris que chez KBC, il n’y avait plus d’actifs détenus par l’Etat de Libye en 2015, comme en atteste une lettre recommandée adressée à un bureau de huissiers de justice qui tentait d’exécuter une saisie à charge de l’Etat de Libye, de la LIA et de la LAFICO. Cet huissier agissait à la requête du liquidateur de l’ASBL Global Sustainable Development Trust (GSDT), créée par le Prince Laurent en 2007. Trop tard: les 869 millions d’euros gelés en mars 2011 chez KBC appartenaient essentiellement à la Banque centrale libyenne et avaient été dégelés dès décembre 2011.

Actuellement, la Libye est déchirée entre deux gouvernements, l’un basé à Tripoli et l’autre à l’est, qui ont nommé différents responsables dans diverses institutions, dont la LIA et la compagnie pétrolière nationale. Le chaos qui en résulte a également permis aux militants de l’Etat islamique de prendre pied dans certaines parties du pays. Les fonds libyens gelés à l’étranger ne devraient pas être débloqués tant que le pays ne parlera pas d’une même voix.

Thierry Denoël et David Leloup

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