"Les bonnes années appartiennent clairement au passé." © PG

Nuages noirs au-dessus des garages: reprendre ou être repris, telle est la question

Il y a encore cinq ans, notre pays comptait quelque 3.600 distributeurs et garagistes représentant officiellement une marque. Aujourd’hui, ils sont beaucoup moins nombreux. Chaque jour, de nouveaux établissements disparaissent en raison de la faiblesse des marges et des coûts élevés. Une grande incertitude règne, par ailleurs, quant à l’avenir. Le secteur est en pleine évolution. Dans le secteur automobile, les jours des petites entreprises familiales sont comptés.

Dans les années 1970 et 1980, on trouvait un garage représentant une marque ou un garagiste indépendant dans chaque village. Aujourd’hui, ce secteur est décimé. Et le bout du tunnel n’est pas encore en vue.

Carl Veys préfère ne pas citer de chiffres, la situation évoluant chaque jour. L’ancien président de Traxio, la fédération qui défend dans notre pays les intérêts des entreprises indépendantes de commerce et de réparation automobile, a revendu en 2017, au groupe Decancq, son garage Audi situé à Deerlijk :  » J’ai longtemps hésité. Mais, après coup, j’ai su que j’avais pris la bonne décision. Afin de pouvoir répondre aux standards de plus en plus stricts des marques, il faut disposer d’un avantage d’échelle. Mais pour cela, il faut réaliser de lourds investissements qui dépassent les capacités financières de nombreuses entreprises familiales. Chez nos voisins, cette consolidation est déjà réalisée depuis quelques années. Elle s’est faite par la reprise d’autres établissements de la même marque. En Belgique, le Groupe D’Ieteren (importateur d’Audi, Seat, Skoda et Volkswagen) a lancé le mouvement en 2014, en mettant en place des ‘market areas’. Sur une période de cinq ans, le nombre de concessions devait passer de 171 à 27. Et le processus devait être le plus rapide possible. Cela a entraîné une réaction en chaîne dans le secteur et incité des groupes automobiles étrangers et des sociétés d’investissement à débarquer sur le marché belge via d’autres marques. Ce fut le cas notamment avec les rachats de divers garages BMW et Mercedes par les groupes suédois Bilia et Hedin. Le groupe néerlandais Van Mossel est également arrivé sur notre marché.  »

Coûts élevés, rentabilité réduite

Des rumeurs alarmantes circulent quant à la santé financière de votre secteur. La situation est-elle vraiment inquiétante ?

« En 2016, la rentabilité dans notre secteur s’élevait encore à 2,3%. En 2017, elle s’est réduite à 1,6%. Et pour 2018 comme pour 2019, le chiffre a encore baissé. » (Carl Veys)© GF

Perdre une marque, retrouver la liberté

Karel Daniels a opté pour la troisième voie après la reprise de sa concession Seat fin 2016 par un autre établissement dans le cadre de cette politique de ‘market area’ menée par l’importateur :  » J’ai opté pour une souffrance brève en acceptant cette reprise. Je savais qu’une procédure judiciaire allait me coûter de l’argent. En tant que petite PME, vous n’avez pas l’ombre d’une chance face au plus grand groupe automobile du pays.

« Je ne dois plus être le jouet de l’importateur et subir des insomnies en raison d’objectifs pour le moins irréalistes. » (Karel Daniels) © PG

La perte de ma concession m’a fait plus mal encore que je ne l’avais imaginé. C’était comme si je perdais un enfant. Comme je suis encore trop jeune pour vivre comme un rentier, je travaille désormais comme garagiste indépendant. D’un côté, j’ai perdu ma marque. De l’autre, j’ai retrouvé ma liberté. Je ne dois plus être le jouet de l’importateur et subir des insomnies en raison d’objectifs pour le moins irréalistes. Ce qui me permet de garder la tête au-dessus de l’eau, c’est que la majorité de mes clients viennent encore pour les entretiens. En parallèle, j’achète et je vends à petite échelle des occasions, de quoi avoir une source de revenus complémentaire et rester au contact du secteur. Quand je pèse le pour et le contre, je ne suis pas mécontent de la situation.  »

Le client est notre patron

Évoquées déjà à diverses reprises, les notions de consolidation et de croissance d’échelle sont considérées comme des solutions miracles pour gagner de l’argent dans le secteur de l’automobile. À cet égard, le succès de Peter Guelinckx (38 ans) est assez exemplaire. En 2008, Peter n’a que 26 ans quand il est engagé par une concession Audi-VW à Saint-Trond. Très rapidement, il devient l’un des meilleurs vendeurs du pays. Lorsque son patron évoque un projet de reprises de concessions Audi et VW dans le Limbourg, Peter Guelinckx fait son entrée dans le capital de l’entreprise de la famille Delorge en vendant sa maison et en empruntant de l’argent aux banques.

Ce jeune entrepreneur dans l’âme poursuit sur sa lancée, rachetant toutes les parts du groupe Delorge, prenant la tête de la ‘market area’ de D’Ieteren dans le Limbourg. Depuis 2014, les reprises se succèdent à un rythme élevé. En 2017 et 2018, sa nouvelle holding A&M Invest (Automotive & Mobility Invest) reprend également plusieurs distributeurs BMW et Jaguar Land Rover et, pour la première fois également, en dehors de la province du Limbourg.

« Les voitures sont de plus en plus chères mais leur valeur résiduelle augmente également. Nous devons nous concentrer sur les montants à financer. » (Peter Guelinckx) © PG

 » En 2014, nous avons vendu 3.800 voitures neuves. À la fin de cette année, nous devrions atteindre un volume de 19.000 ou 20.000 unités. Nous visons, à terme, les 30.000 « , explique Peter Guelinckx.  » Un tel volume est nécessaire pour concrétiser notre ambition de devenir le partenaire de mobilité à vie de nos clients, quels que soient leurs besoins. Cela peut aller de l’achat d’une voiture neuve à la location à court ou long terme en passant par l’autopartage, l’assurance, etc. Le client est notre patron. C’est lui qui détermine la direction dans laquelle nous irons ! Nos mille collaborateurs sont tous extrêmement orientés vers la clientèle. Dans tous les domaines, nous plaçons la barre très haut et nous voulons être les meilleurs. Nos meilleurs ambassadeurs sont des collaborateurs motivés et des clients contents. La meilleure publicité est le bouche-à-oreille. Nous pouvons ainsi davantage investir dans l’expérience et le contact personnel avec la clientèle. Avant, les clients venaient au garage tous les 5.000 km pour un entretien. Aujourd’hui, c’est tous les 30.000 km. Un candidat-acheteur ne vient plus qu’une seule fois dans un showroom, avec entre les mains la copie de la configuration de la voiture de ses rêves. Le vendeur n’a plus de seconde chance et doit donc se montrer particulièrement compétent et efficace. Chaque mot, chaque geste est important. Dans notre Academy, nous apprenons à nos collaborateurs comment se comporter avec le client et comment gagner et conserver sa confiance. Cela se passe autant au niveau Sales qu’After Sales. Savoir ce que désire le client est essentiel, à tous les niveaux. Lorsque le vendeur a la confiance du client, il peut agir de manière proactive et, par exemple, le convaincre avec de bons arguments de remplacer sa voiture un ou deux ans plus tôt que prévu par une neuve. Cette approche porte ses fruits et nous permet d’atteindre également nos objectifs, même en ce début d’année difficile.  »

Comment se situent les différentes marques du groupe les unes par rapport aux autres, et comment gardez-vous une vue globale sur votre activité ?

Peter Guelinckx :  » Le holding A&M Invest est constitué de trois piliers : les marques du groupe Delorge, BMW et Jaguar Land Rover. D’un côté, nous proposons des marques grands volumes comme Seat, Skoda et VW. Et de l’autre, des marques premium complémentaires avec Audi, BMW, Jaguar et Land Rover. Un conducteur qui a possédé toute sa vie un Range Rover ou une Jaguar ne passera pas facilement à une Audi ou une BMW. Entre les marques, nous avons construit un Mur de Berlin. Les membres du personnel des établissements du groupe Delorge ne parlent pas avec les collaborateurs BMW ou JLR. Et vice-versa. Même les fêtes du personnel sont organisées à des dates et en des lieux différents.

Entre nos marques premium, la concurrence est féroce. Dans les faits, le contact avec les managers et les collaborateurs de nos différentes marques repose sur moi et mon bras droit, Tom Lambert, qui est notre COO. Les activités qui ne sont pas directement liées aux marques, comme la comptabilité, l’IT, les ressources humaines et le marketing sont prises en charge par des spécialistes au niveau du holding. Tout ce qui distingue les marques reste au niveau des marques. Comme notre groupe possède dans le Limbourg un monopole de fait pour les marques du Groupe Volkswagen, nous mettons en place des accords pour les remises sur les voitures neuves et la valeur de revente des occasions. Entre les établissements, la concurrence se situe au niveau du service au client.  »

L’électromobilité est en marche

Comment voyez-vous l’évolution du secteur automobile et de votre groupe ?

Peter Guelinckx :  » Si je continue à investir, c’est parce que je suis pleinement confiant en l’avenir. Les besoins en termes de mobilité ne cesseront de croître. Il n’y a aucun doute là-dessus. Le débat porte seulement sur la manière de répondre à ces besoins. Beaucoup de choses dépendent de l’âge et du lieu de vie des personnes. Celui qui vit en ville ou y étudie peut utiliser facilement le vélo ou les transports en commun et n’a pas absolument besoin du permis ou de sa propre voiture. C’est différent quand cette personne doit se déplacer pour se rendre au travail. La voiture devient alors nécessaire. Nous constatons aussi que la population continue à utiliser la voiture jusqu’à un âge plus avancé. Tout le monde veut conserver sa mobilité le plus longtemps possible.

Nuages noirs au-dessus des garages: reprendre ou être repris, telle est la question
© PG

Lentement mais sûrement, l’électromobilité se développe. Les constructeurs tablent sur un ratio d’un véhicule sur cinq d’ici 2025. La voiture à essence ou diesel n’est donc pas encore prête à disparaître. Les moteurs Diesel de dernière génération sont bien plus respectueux de l’environnement que les quatre millions de voitures Euro1 à Euro6 en circulation dans notre pays. C’est pour cette raison que je trouve déplacées les critiques de Groen sur la voiture-salaire.

L’autopartage est également en plein essor. Une estimation réaliste table sur 10% de parts de marché pour ces solutions en 2025. Je prévois également une augmentation des formules tout-compris, de la location à court et long terme ainsi que des formules de financement avantageuses. Les voitures sont de plus en plus chères mais leur valeur résiduelle augmente également. Nous devons donc nous concentrer sur les montants à financer.

Entreprendre c’est aussi imaginer des formules originales. Ces conducteurs qui hésitent aujourd’hui entre l’essence, le diesel ou l’électrique, nous essayons de les convaincre en leur proposant de changer, sans frais après deux ou trois ans, et de passer alors à un modèle doté de la technologie la plus récente.

Comment je vois A&M Invest évoluer ? Chaque reprise que nous réalisons se fait dans le respect des propriétaires. Nous conservons même leur nom. Les établissements qui veulent rejoindre notre groupe sont accueillis à bras ouverts. Ils possèdent un ancrage local et ont l’esprit d’entreprise dans le sang. De chaque reprise, nous retirons un enseignement que nous mettons à profit dans nos formations ou nos processus de travail. Cet échange permanent de connaissances et d’expériences permet à chacun de rester à la pointe et nous permet de placer la barre encore plus haut. Un autre facteur se révèle important pour le développement de A&M Invest : j’ai 50% de participations dans la holding immobilière de mon épouse. L’immobilier est un marché stable. Et ça, les banques le savent parfaitement.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire