Meryame Kitir, ministre de la Coopération au développement chargée des Grandes villes. " Un modèle? Cela n'a jamais été mon but. " © YEYSEYS

De l’usine ford à la politique

Âgée de 40 ans, Meryame Kitir arpente les couloirs de la Chambre depuis un certain temps déjà, mais sa nomination au poste de ministre de la Coopération au développement chargée des Grandes villes fut une surprise, y compris pour elle. L’ouvrière de Ford devenue ministre: une histoire qui ressemble à un conte de fées.

Elle a perdu sa mère alors qu’elle n’avait que 2 ans et son père à l’âge de 18 ans. Ce dernier avait quitté son Maroc natal pour venir à Eisden comme ouvrier à la mine afin de nourrir ses onze enfants. La famille Kitir habitait dans une cité, une maison appartenant à la mine. Meryame ainsi que ses frères et soeurs allaient à l’école de la mine. Dans la cité, tout dépendait de la mine, même l’équipe de foot.

Meryame Kitir: « Après mes études secondaires, je suis partie habiter seule. Le 25 mai 1999, je suis rentrée avec un contrat première embauche à durée déterminée dans le département de peinture de Ford Genk. Dans le même temps, je suivais des cours du soir et m’intéressais notamment au conseil d’entreprise. Je désirais comprendre le fonctionnement de l’usine Ford, ce qui y était décidé. Dès que j’avais une question, je m’adressais à mon délégué syndical. Et puis ça s’est enchaîné. Lors des élections sociales, j’ai été élue sur la liste ABVV/FGTB. »

LE PORTE-VOIX DES TRAVAILLEURS

Ce mandat a eu un impact important sur la carrière de Meryame Kitir. « Du jour au lendemain, je suis devenue le porte-voix de mes collègues travailleurs et me suis retrouvée à table avec les autres syndicats et la direction. J’y ai appris comment me comporter avec les gens, à quel point il est important d’écouter et de lire entre les lignes. Mais aussi la façon dont il faut pouvoir concéder des choses lors de négociations afin d’atteindre un objectif. Au total, j’ai travaillé 14 ans à Ford Genk. Nous étions une grande famille, nous partagions la même passion et les mêmes souffrances, évoluant tous dans la même direction. Cette volonté de se soutenir et de s’aider, dans l’usine et dans la vie, était exemplaire. Mon implication a été appréciée et récompensée: lors des élections sociales de 2012, j’ai obtenu plus de voix que tous les autres candidats réunis, ce qui a boosté ma confiance. Mais j’avais aussi beaucoup plus de pression sur les épaules. Surtout quand les choses se sont gâtées pour l’entreprise. En 2013, 3.000 travailleurs ont perdu leur emploi. Et en 2015, l’usine a tout simplement fermé ses portes. J’avais face à moi des collègues qui, pendant 20 ou 30 ans, avaient tout donné à Ford et qui se retrouvaient sans rien du jour au lendemain. Ils se sentaient trahis. Leur monde s’écroulait. La plupart avaient une famille avec des enfants scolarisés et une maison qu’ils n’avaient pas fini de payer. L’impuissance se lisait sur leurs visages. Ces moments sont à tout jamais gravés dans ma mémoire. Avoir un emploi, c’est bien plus qu’avoir un revenu. Cela donne un sens à la vie. »

Avoir un emploi, c’est bien plus qu’avoir un revenu. Cela donne un sens à la vie.

LE DISCOURS À LA CHAMBRE

Tout le monde se souvient du discours mémorable de Meryame Kitir à la Chambre. Il a fait le tour du monde. « Après l’annonce de la fermeture, j’avais essayé de conserver mon calme, mais intérieurement je bouillonnais. Cette colère, elle est ressortie lors de mon intervention à la Chambre. Tout venait directement du coeur et exprimait ce que j’avais vécu auprès des travailleurs de Ford. Quand je suis devenue parlementaire, j’ai continué à travailler un jour par semaine comme ouvrière dans l’entreprise. Afin de pouvoir parler en leur nom, il faut savoir ce qu’est leur vie, ce que sont leurs problèmes, dont souvent ils n’osent pas parler de crainte de ne pas être pris au sérieux. Entre l’univers des usines et le monde politique, il y a parfois un gouffre énorme. Mais je suis la preuve vivante que ce gouffre peut être comblé. Sachez aussi que j’ai le plus grand respect pour la capacité à rebondir démontrée par les travailleurs de Ford après la fermeture. La majorité d’entre eux se sont directement mis à la recherche d’un nouvel emploi et ont suivi des formations, ce qui n’est jamais facile quand il faut gérer un ménage et des enfants. »

Un discours mémorable à la Chambre, le 25 octobre 2012.
Un discours mémorable à la Chambre, le 25 octobre 2012.© BELGA IMAGE

LES UNS AVEC LES AUTRES, PAS CONTRE

Son implication en tant que déléguée syndicale n’avait pas échappé à Steve Stevaert. Il intégra Meryame Kitir dans l’équipe des jeunes militants socialistes destinée à insuffler une énergie nouvelle au parti. Lors des élections de 2007, Meryame Kitir, l’ouvrière de Ford, était élue à la Chambre. Son slogan ‘van de fabriek in de politiek’ (‘de l’usine à la politique’) avait fait mouche. « Un monde nouveau s’est ouvert à moi et il m’a fallu un peu de temps pour trouver ma place à Bruxelles. J’ai déménagé à Genk et ai déposé ma candidature pour les élections communales de 2018. Lorsque j’ai dû faire un choix, en raison de l’interdiction de cumul, entre un poste d’échevine et un mandat parlementaire à Bruxelles, j’ai choisi Genk. À la demande de la direction du parti, je suis finalement restée à la Chambre. Et aujourd’hui, je suis la seule ministre limbourgeoise au gouvernement fédéral. Le fait que je sois cheffe de groupe a certainement joué en ma faveur mais, finalement, c’est toujours le président qui décide. Conner Rousseau amène un nouveau dynamisme en politique. Avec sa droiture et son audace, il a montré aux autres partis que la politique doit emprunter une voie nouvelle dans notre pays: être les uns avec les autres plutôt que contre les autres. C’est pour moi un grand honneur d’être aujourd’hui ministre de la Coopération au développement chargée des Grandes villes. Et comme il se doit, je me suis investie dès le premier jour à 100% dans cette mission, comme à l’époque chez Ford Genk. »

Pour beaucoup, Meryame Kitir est un modèle. Une ouvrière d’origine marocaine qui devient ministre fédérale, voilà de quoi frapper les esprits. « Je n’en ai jamais eu conscience et cela n’a jamais été mon but. Ma bataille se joue pour un monde meilleur et plus juste, dans lequel il n’y a pas de place pour la discrimination, quelle qu’elle soit. Et si certains veulent me suivre dans cette voie, je ferai tout pour les conseiller et les aider. »

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