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Sur les réseaux sociaux, les blagues racistes peuvent vous causer des ennuis judiciaires

Stagiaire Le Vif

Luc Trullemans, Anne-Sophie Leclère, #unbonjuif. Le point commun entre ces trois affaires : elles ont toute eu internet comme vecteur de diffusion. Certains oublient que web n’est pas une zone de non-droit.

De nos jours, beaucoup considèrent internet comme un espace où la liberté d’expression est absolue. Ils se trompent lourdement. Ainsi la loi du 30 juillet 1981 en son article 444 réprime tout propos ou images à caractère raciste proférées par écrit « imprimé ou non ». Du coup cela s’applique aussi aux réseaux sociaux. De plus, toujours selon la loi le simple fait de partager une image raciste peut vous exposer à des sanctions.

Voici ce que dit la loi : « Le coupable sera puni d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de vingt-six francs à deux cents francs(x6), lorsque les imputations auront été faites: soit (…)dans un lieu non public, mais ouvert à un certain nombre de personnes ayant le droit de s’y assembler ou de le fréquenter; (…) soit par des écrits imprimés ou non, des images ou des emblèmes affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public; soit enfin par des écrits non rendus publics, mais adresses ou communiqués à plusieurs personnes. »

Mais c’était juste pour rire, je ne savais pas que ça blesserait…

Trouver des personnes proférant ouvertement des insultes racistes sur un réseau social, est chose rare. Par contre, propager des blagues racistes ou partager des images « drôles » stigmatisant une population « allochtone », l’est beaucoup moins. Là les règles sont un peu plus complexes.

S’il y a bien un adage qui dit : « on peut rire de tout, encore faut-il que ce soit drôle », il semblerait qu’au prétoire, personne n’y fait référence. Pour les spécialistes interrogés, le critère à prendre en compte n’est pas le degré d’hilarité, mais l’intentionnalité de provoquer celle-ci. « Lorsqu’une personne lance de façon répétitive des ‘blagues’ envers le(s) même(s) communauté(s), on peut justement supposer que son intention n’est plus de faire rire et là, une procédure judiciaire est opportune. » Précise Patrick Charlier, directeur adjoint du centre interfédéral pour l’égalité des chances.

Au tribunal, le juge doit prendre l’affaire de façon très minutieuse. « Il doit d’abord vérifier si les éléments constitutifs de l’infraction sont établis et notamment qu’elle était la volonté de l’auteur et si une intention spécifique est requise. » Explique Françoise Mainil, juge au tribunal de Mons. Pour une infraction comme l’injure raciale où le dommage est moral (par opposition à matériel et physique), le juge pourrait supposer que l’auteur de l’acte sache que le geste qu’il pose est objectivement immoral. On ne peut donc pas acquitter quelqu’un au seul motif qu’il ignorait que le racisme, même en plaisanterie, est interdit. Toujours selon le magistrat de Mons, « il suffit donc que la victime ait ressenti cet acte comme une atteinte à son intégrité, peu importe que l’auteur l’ait voulu dans ce sens ou par simple amusement…’juste pour rire' ». Ça, c’est évidemment pour les cas les plus flagrants…et les plus rares.

Cependant, pour contrebalancer ce principe de droit, il faut tenir compte du contexte, prévient Me Van Crombreucq, avocat au barreau de Bruxelles : « Il faut contextualiser l’affaire. Sur un groupe (Facebook) humoristique, une blague anti-arabes au milieu d’une blague anti-blondes ou anti-obèses, sera plus facile à défendre que la même blague postée sur votre page personnelle. »

Il est vrai que lorsque l’on surfe sur les groupes Facebook dédiés aux blagues borderline, on peut voir énormément de blagues racistes (principalement contre les Arabes et les personnes noires de peau). Là, plus qu’ailleurs, il sera difficile de condamner quelqu’un pour incitation à la haine raciale, puisque la page annonce d’emblée verser dans l’humour irrévérencieux en tout genre. De plus, s’il est prouvé que cette personne publie des blagues qui visent aussi d’autres personnes, il sera difficile pour un juge de conclure à une incitation à la haine dans ce contexte. Par contre les administrateurs doivent veiller à être particulièrement attentifs à ce que cette blague ne devienne pas le terrain d’expression pour des ‘cerveaux malades’ qui en profiteraient pour véhiculer des messages de haine en commentant la publication.

Responsabilité des réseaux sociaux ? Il bien sûr difficile de rendre les réseaux sociaux responsables de tout ce qui s’y écrit. « Le problème c’est que tout le monde les utilise donc ils (les réseaux sociaux) n’ont pas les moyens de contrôler en temps réel tout ce qui s’y dit ou propage. Il faut aussi tenir compte de la nature du réseau social. Par exemple Facebook est une plateforme de connexion comme l’est Belgacom. Si vous utilisez le téléphone pour envoyer des menaces à quelqu’un, vous n’attaqueriez pas Belgacom pour avoir permis cela n’est-ce pas ? » Souligne Me Van Crombreucq,

En revanche, en cas de décision judiciaire, le réseau social peut être enjoint à retirer les publications litigieuses.

De plus, comme ça été le cas l’an passé en France avec #unbonjuif, le réseau social peut fournir l’identité des contrevenants s’il y a enquête judiciaire, comme le ferait un opérateur téléphonique en pareil cas.

Le contexte… toujours le contexte Au final il s’agira toujours pour un juge de procéder au cas par cas. « Il n’y a rien qui peut de façon évidente être considéré comme raciste ou xénophobe », assure Luc Hennart, président du tribunal de première instance de Bruxelles. « Il faut se méfier des règles générales. Les juges procèdent au cas par cas et ne statuent que sur les cas qui leur sont soumis » poursuit le magistrat.

Pour faire simple, une petite blague de mauvais goût a peu de chance de vous conduire chez le juge si vous êtes droit dans vos bottes. Par contre un vrai raciste pourra difficilement se cacher derrière une blague du même ordre puisqu’il sera forcément rattrapé par d’anciens propos peu glorieux à l’égard des étrangers. Car il est vrai que sur internet, il est (très) difficile d’effacer ses traces.

En définitive, le mieux pour tout le monde, c’est de se rappeler que le but d’une blague, c’est bien de faire rire, pas autre chose. Si ce but n’est pas atteint, il faut se poser les bonnes questions avant de se retrouver au tribunal.

Eric L. (st.)

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