Carte blanche

La souris, le patient, et le faux expert. Décryptage d’une mystification

Le Vif-l’Express publie sur son site web ce 25 avril une interview du Dr André Ménache prétendant démontrer l’inutilité de la recherche préclinique sur animaux voire de la recherche scientifique sur animaux en général. Il s’agit là d’une mystification et d’une tentative de désinformation du public qui se doit d’être signalée.

Le Dr. Ménache est présenté comme Vétérinaire renommé, conseiller scientifique spécialisé en sciences éthiques et législation animales. Le Dr. Ménache est bien titulaire d’un diplôme de médecin vétérinaire mais il n’a jamais fait de recherches. Il a uniquement produit durant sa carrière des articles critiquant l’expérimentation animale (19 articles repris dans Pubmed, voir https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed?term=M%C3%A9nache%20A%5BAuthor%5D).. Il représente en fait le « bras armé », auto-proclamé « scientifique » de diverses associations dont le but est de faire interdire la recherche sur animal.

Mais ceci n’est peut-être que secondaire. Le problème principal est que toute l’argumentation présentée dans l’article qui lui est consacré repose sur des données fausses et contre-vérités. Soulignons-en quelques-unes ici.

1) « La Wallonie souhaite mettre fin aux expériences sur animaux. »

Il n’en est rien d’après les prises de positions récentes du Ministre Carlo di Antonio qui coordonne le bien être animal, prises de positions émises suite à des interpellations, tant des Universités que de l’Académie Royale de Médecine de Belgique, à propos du Code wallon du Bien-être animal. Monsieur Ménache détient-il d’autres informations ? Ne s’agirait-il pas d’une « fake news » ? Par ailleurs, l’expérimentation recourant aux animaux de laboratoires est pratiquée en Wallonie dans des conditions strictement contrôlées comme dans l’essentiel des nations qui poursuivent des programmes de recherches importants.

2) « Il existe des techniques alternatives à l’expérimentation animale. »

C’est certainement vrai pour une série de questions limitées. Et ces méthodes alternatives sont utilisées dès que c’est réalisable scientifiquement mais il reste scientifiquement impossible d’évaluer l’impact du traitement potentiel d’une maladie sur des cultures de cellules ou via un modèle mathématique. On ne peut modéliser que ce que l’on connaît dans le détail et c’est loin d’être le cas pour la biologie des vertébrés, y compris l’homme.

3) « La recherche ne conduit pas au développement de traitements en médecine ou médecine vétérinaire. »

Il s’agit ici d’une tentative de révisionnisme historique pur et simple. La grande majorité des progrès en médecine ont été obtenus via expérimentation animale. L’augmentation de la durée de vie (en bonne santé) au cours des 50 dernières années atteste de ces progrès et leur lien avec la recherche sur animaux n’est que trop évident. Il a été décrit de façon détaillée dans un article publié récemment dans la Revue des Questions Scientifiques (Muraille E. 2017. L’expérimentation animale en question vol 188(2) : 129-156) qui ne peut être repris ici faute de place. Citons simplement à titre d’exemple le lien entre microbes et infection, la démonstration de l’efficacité de la pénicilline, le développement des techniques permettant de prévenir le rejet de greffes, le traitement du diabète par l’insuline, etc… .

4) « Les données obtenues chez l’animal ne peuvent être extrapolées à l’homme. »

Il existe bien entendu des cas spécifiques où une observation chez l’animal ne peut être extrapolée à l’homme mais il s’agit d’exceptions qui sont sans cesse reprises en boucle par les opposants à cette recherche tout en ignorant volontairement les milliers de contre-exemples où l’étude de l’animal a permis de comprendre ce qui se passe chez l’homme. Tout le contraire d’une attitude scientifique qui consiste à exposer le pro et l’anti, à analyser et conclure.

Par ailleurs il ne s’agit pas uniquement de défendre ici la recherche préclinique mais également la recherche fondamentale sur le fonctionnement du vivant. Cette recherche est en effet la base conceptuelle de tout développement clinique ultérieur et il est impossible de prédire d’où viendront les découvertes fondamentales qui révolutionneront la médecine de demain. La recherche fondamentale peut par ailleurs modifier profondément notre société. Un exemple ? La recherche fondamentale a permis de découvrir il y a quelques années le caractère hautement sensible et la grande intelligence des Céphalopodes. Qui aurait prédit cela ? Depuis, cette espèce est reprise dans la liste des animaux dont il faut particulièrement se préoccuper en termes de sensibilité douloureuse dans les protocoles expérimentaux.

5) « Les chercheurs auront plus rapidement de l’argent s’ils mentionnent qu’ils utilisent des animaux. »

Il n’a jamais été démontré qu’une demande de crédits impliquant des animaux d’expérience est plus facilement ou plus rapidement (?) financée qu’une demande qui n’en implique pas. Il s’agit là d’un pur fantasme qui ne repose sur aucune réalité objective. Il est malhonnête et injurieux de laisser croire au grand public que les chercheurs pourraient choisir les méthodologies (en l’occurrence, le recours à l’expérimentation animale) de leurs projets de recherche sur la base d’un avantage financier. Ce sont en général des personnes curieuses, désirant comprendre le fonctionnement du vivant avec le but d’en faire bénéficier la médecine humaine ou vétérinaire. La recherche sur animaux est actuellement encadrée de façon stricte en Wallonie comme dans toute l’Union Européenne (voir l’article de Marc Vandenheede publié dans le Vif) et elle se fait en respectant les animaux et en leur offrant des conditions de vie qui sont souvent supérieures à celles d’êtres humains vivant dans des pays défavorisés. Cette législation et les contrôles qui y sont associés induisent de nombreuses contraintes pratiques, des charges administratives et des coûts financiers importants que les chercheurs seraient certainement heureux d’éviter s’il existait une alternative à l’expérimentation animale.

Les propos du Dr André Ménache ne reposent donc sur aucune réalité objective et doivent absolument être corrigés de manière à ne pas fournir au public une vision complètement biaisée de ce qu’est la recherche sur animal en 2018, de ses objectifs et de ses promesses. Répéter une affirmation durant 40 ans, la diffuser et même réussir à en convaincre quelques millions d’individus n’en fera pas pour autant une vérité scientifique. Vox populi vox dei n’est pas d’application en science. Concernant le refus de la Commission Européenne de supprimer la Directive 2010/63 protégeant les animaux d’expérience que souhaitait Mr Ménache en 2015 suite à la fameuse initiative citoyenne ‘Stop Vivisection’, … force est simplement de constater, en lisant les comptes rendus disponibles, que ses arguments simplistes n’ont pas suffi à convaincre les représentants européens …. Invoquer le complot ou l’incompétence des parlementaires européens semble simpliste.

Mais il y a plus grave encore que les contre-vérités, dans la presse, d’André Ménache et consort. De nombreuses associations anti -expérimentation animale réalisent dans les écoles des animations pour propager leurs messages. Si on en croit le site de GAIA, la fameuse vidéo de leur « enquête » à l’animalerie de la VUB ferait partie des animations et serait régulièrement projetée devant des enfants . 35.000 élèves auraient déjà vu ces animations … Ce formatage aura forcément une influence sur l’intérêt des futurs étudiants pour la biologie et la science en général. En 2007, la diffusion d’un atlas créationniste dans les universités avait fait scandale et mobilisé la communauté scientifique. Aujourd’hui, nous laissons des associations expliquer à des enfants que la méthodologie scientifique actuelle ne vaut rien et que la recherche fondamentale est une sorte de curiosité gratuite, malsaine et cruelle, ce qui n’a plus rien à voir avec une sensibilisation au respect et à la protection de l’animal … Il serait peut-être temps de réagir et d’encadrer ces démarches.

Nous intervenons dans ce sens.

Julie Bakker, Directeur de recherches FNRS, ULiège

Jacques Balthazart, Chargé de cours honoraire, ULiège

Frédéric Baron, Professeur, ULiège

Yves Beguin, professeur ordinaire, ULiège

Lucien Bettendorff, Maître de Recherches FNRS, ULiège

Cédric Blanpain, Professeur Ordinaire, ULB

Fabrice Bureau, professeur ordinaire, ULiège

Jo Caers, Professeur, ULiège

Patrice Cani, Maître de Recherche FNRS, UCL

Didier Cataldo, Professeur ordinaire, ULiège

Charlotte Cornil, Maître de Recherches FNRS, ULiège

Cécile Clercx, Professeur ordinaire, ULiège

Rudy Cloots, Professeur, Vice-Recteur Recherche, ULiège

Alain Colige, Maître de Recherches FNRS, ULiège

Georges Daube, Professeur ordinaire, ULiège

Olivier De Backer, Professeur Ordinaire, UNamur

Alban de Kerchove d’Exaerde, Directeur de Recherche FNRS, ULB

Daniel Desmecht, Professeur Ordinaire, ULiège

Christophe Desmet, Chercheur Qualifié FNRS, ULiège

Xavier De Tiège, Chargé de Cours, ULB Erasme

Olivier Detry, Professeur CHU, ULiège

Pierre Drion, Professeur Ordinaire, ULiège

Decio L. Eizirik, Professeur Ordinaire, ULB

Jean Michel Foidart, Secrétaire perpétuel de l’Académie Royale de Médecine de Belgique

Françoise Gofflot, Professeur, UCL

Luc Grobet, Professeur, ULiège

Julien Hanson, Chercheur Qualifié FNRS, ULiège

Roland Hustinx, Professeur CHU, ULiège

François Jouret, Chef de Clinique, ULiège

Jean François Kaux, chargé de cours, ULiège

Mikhaïl Kissine, Chargé de Cours, ULB

Bernard Lakaye, Chercheur Qualifié FNRS, ULiège

Patrick Laurent, Chercheur Qualifié, ULB

Frédéric Lemaigre, Professeur Ordinaire, UCL

Oberdan Léo, Professeur, ULB

Pierre Leprince, Chercheur Qualifié FNRS, ULiège

Brigitte Malgrange, Directrice de recherches FNRS, ULiège

Christophe Moreno, Professeur Erasme, ULB

André Moens, Professeur, UCL

Muriel Moser, Directrice de recherches FNRS, Doyenne Sciences, ULB

Eric Muraille, Maître de recherche FNRS, ULB.

Laurent Nguyen, Maître de Recherches FNRS, ULiège

Marc Parmentier, Professeur Ordinaire, Prix Francqui, ULB

Philippe Peigneux, Professeur Ordinaire, ULB

Jacques Piette, Directeur de Recherches FNRS, ULiège

Daniel Portetelle, Professeur ordinaire honoraire, ULiège

Régis Radermecker, Chargé de cours, ULiège

Bernard Rentier, Professeur ordinaire, Recteur Honoraire, ULiège

Laurence Ris, Professeur, UMons

René Rehzohazy, Professeur Ordinaire, UCL

Bernard Rogister, professeur ordinaire, ULiège

Claude Saegerman, professeur ordinaire, ULiège

Marco Schetgen, Professeur, Doyen Médecine, ULB

Serge Schiffmannn, Professeur Ordinaire, Vice-Recteur Recherche, ULB

Stéphane Schurmans, professeur ordinaire, ULiège

Vincent Seutin, professeur ordinaire, ULiège

Ezio Tirelli, Professeur ordinaire, ULiège

Fadel Tissir, Directeur de Recherche FNRS, UCL

Pierre Vanderhaeghen, Professeur Ordinaire, Prix Francqui, ULB

Wim Vanduffel, Professeur, Harvard U & KUL

Alain Vanderplasschen, professeur ordinaire, ULiège

Gilbert Vassart, Professeur Emerite, Prix Francqui, ULB

Rufin Vogels, Professeur, KUL

Marianne Voz, Chercheuse Qualifiée FNRS, ULiège

José Wavreille, professeur invité, ULiège

Valérie Wittamer, Chercheuse Qualifiée FNRS, ULB

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