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La femme et l’avenir du singe

Quand les hommes observent les primates, ils véhiculent des préjugés machistes, révèle un livre. Voila pourquoi les grandes stars de la discipline appartiennent au sexe dit faible.

King Kong bien sûr. Mais aussi les gorilles et Dian Fossey, incarnée à l’écran par Sigourney Weaver. Ou encore le chimpanzé de Max mon amour, de Nagisa Oshima, avec Charlotte Rampling. Dans l’imaginaire collectif, femmes et singes entretiennent une histoire singulière, qui fascine autant qu’elle inquiète la gent masculine. Tel est le point de départ d’une réflexion passionnante de Chris Herzfeld, auteur d’une « Petite Histoire des grands singes » (Ed. du Seuil).

Philosophe, primatologue mais aussi artiste, cette scientifique belge soulève avec acuité une question inédite: pourquoi les femmes ont-elles été à l’origine de la plupart des observations sur les primates, au détriment de leurs collègues du sexe dit fort?
Plus dévouées, elles poseraient moins de problèmes
L’explication est assez prosaïque: pour étudier correctement les « presque humains », il faut passer du temps sur le terrain. Beaucoup de temps. Or, aux prémices de la primatologie, dans les années 1960, les carrières se faisaient avant tout dans les universités, loin de la jungle. Pas question pour ces messieurs de s’enterrer à l’autre bout du monde. Mieux valait envoyer des collègues féminines – moins ambitieuses qu’eux, pensaient-ils – défier l’oubli…

De fait, les trois « figures » de la recherche en primatologie demeurent aujourd’hui encore Dian Fossey (dix-huit ans avec les gorilles de montagne au Rwanda), Jane Goodall (quinze ans en Tanzanie) et Biruté Galdikas (en Indonésie depuis vingt-neuf ans!).
Mais une autre idée était à l’oeuvre. Les femmes, plus dévouées, plus patientes et passionnées que leurs homologues virils, poseraient, pensait-on, moins de problèmes. En outre, aucun risque de voir les grands singes entrer en rivalité avec elles, à la différence de leurs collègues masculins. N’étaient-elles pas mieux à même, en outre, de décrypter la communication non verbale grâce à leurs compétences spécifiques et quasi innées de mères potentielles?

Des qualités qui ont fait naître des préjugés sexistes

Repérant le filon, la célèbre revue National Geographic exploita au maximum cette imagerie féminine. Dès le numéro d’août 1963, note Chris Herzfeld, le magazine mit en scène un bébé singe tendant la main à Jane Goodall. Une jolie femme blonde, Jane, « sorte de Grâce Kelly de la primatologie » propre à alimenter « les fantasmes occidentaux », commente la scientifique.
De leur côté, les hommes n’ont pas hésité pas à nourrir leurs observations sur le terrain de préjugés sexistes. Jusqu’à l’exemple, caricatural et pourtant repris par de nombreux spécialistes, de l’utilisation fréquente des morceaux de bois chez les grands singes: si c’est un mâle, il les manipule forcément pour en faire une arme. Si c’est une femelle, elle s’en sert, évidemment, « pour jouer à la poupée ». Aux premiers, la domination, la capacité à créer des outils et la fonction de protection du groupe ; aux secondes, l’éducation des petits, la sociabilité et la soumission.

Tant pis si, dans la réalité, les choses se révèlent plus subtiles. Chez les bonobos, par exemple, l’agressivité n’est pas, loin s’en faut, le seul fait des mâles. De même, chez les babouins, la hiérarchie fine à l’intérieur de la tribu est dans les faits assurée par les femelles. Ces observations-là, vérifiées à de nombreuses reprises par des primatologues femmes, n’ont pas été mises en avant dans les revues scientifiques, quasiment toutes dirigées par un (et non pas une) responsable. En matière de sciences, la femme n’est toujours pas un homme comme les autres.

Vincent Olivier, L’Express.fr

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