ROBESPIERRE était en très mauvais état de santé. © DR

L’homme qui ressuscite les dead people

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Dans Quand la science explore l’histoire, Philippe Charlier, légiste et spécialiste de la pathographie, revisite, version Cold Case, les causes de la mort des grands noms de l’Histoire. Surnommé l’Indiana Jones des cimetières, plus rien n’échappe à son scalpel : empoisonnements, meurtres, filiations contestées…

Un crâne gît misérablement dans le coffre-fort d’une grande banque parisienne, dont le nom est gardé secret. La tête momifiée n’est pas celle de n’importe qui. Un roi parmi les plus célèbres, poignardé en 1610 : Henri IV. L’auguste chef attend, depuis trois ans, de quitter ce sous-sol et d’être inhumé. Mais son authentification, réalisée par le Dr Philippe Charlier, reste contestée, rendant impossible son déménagement.

Etrange dépôt pour une banque qu’une sépulture royale. De même que les pérégrinations de ce crâne pendant quatre siècles. Après son assassinat, Henri IV est enterré à la basilique-cathédrale de Saint-Denis, près de Paris, comme la plupart des monarques. Un siècle plus tard, quand survient la vague de Terreur de 1793, on décapite Louis XVI et Marie-Antoinette. Dans la foulée, on profane aussi les tombeaux des anciens Louis XIII, XIV et XV, la nécropole royale devenant pendant ces jours orgiaques l’objet de toutes les haines, mais également de toutes les convoitises. Doigts, dents, cheveux, chacun puise dans cette fosse une parcelle de butin. Est-ce à ce moment-là qu’Henri IV a perdu sa tête ? Personne ne le sait. Pourtant, plus de quatre cents plus tard, Philippe Charlier, médecin légiste et paléopathologiste, va l’autopsier et l’authentifier comme étant celle du roi assassiné.

Philippe Charlier examinant les deux grandes orbites vides d'Agnès Sorel.
Philippe Charlier examinant les deux grandes orbites vides d’Agnès Sorel.© Belga

Comment ce crâne lui est-il parvenu ? A chaque fois, les investigations du Dr Charlier commencent comme un polar au coeur de la cour de France. Depuis la Révolution, le crâne suit un mystérieux parcours et resurgit brusquement lors d’une vente aux enchères en 1919. Une tête momifiée est mise à prix et vendue trois francs français. L’acquéreur est brocanteur et va raconter à qui veut l’entendre que cette tête est celle d’Henri IV. Il l’expose même dans une vitrine de sa boutique-musée. Quand l’antiquaire meurt, sa soeur hérite de la relique, qu’elle planque sous son lit et ne sort que les jours de grand nettoyage. Finalement, en 1955, la vieille dame revend la momie à un couple, féru d’Histoire, qui la rend en 2008 à un historien, spécialiste d’Henri IV. C’est alors que le super-détective, à qui l’on confie l’expertise, entre en scène et que les morceaux seront recollés.

Quand Philippe Charlier reçoit un crâne ou un fragment de mâchoire, la première chose qu’il examine, ce sont la dentition et surtout le tartre. Il le gratte avec la méticulosité d’un tailleur de diamant, puis le fait dissoudre dans l’acide acétique pour en éliminer le calcaire. Il dépose alors les minuscules débris restants sous un microscope. Les découvertes sont parfois stupéfiantes : vestiges des derniers repas, cellules avec leur ADN renseignant sur le sexe, les bactéries et les virus… Puis, tout y passe : datation au carbone 14, reconstitutions faciales par ordinateur, analyses toxicologiques, fouille des archives, confrontation à d’autres reliques… Une brigade d’experts font passer une batterie de tests à la dépouille d’Henri IV avant de dresser un rapport sans appel. D’abord, une petite marque sombre en forme de champignon – une verrue -, au-dessus de la narine droite. Ensuite, un trou percé dans le lobe de l’oreille droite, suggérant le port continu d’une boucle d’oreille, pratique répandue à la cour. Ce n’est pas tout. Une blessure cicatrisée, dans la partie gauche du maxillaire supérieur, témoigne du coup de lame reçu en décembre 1594, lors d’une précédente tentative de meurtre. La datation au radiocarbone concorde elle aussi. De même, la reconstruction numérique de la boîte crânienne s’accorde avec les moulages réalisés juste après le décès d’Henri IV. Verdict final : pour Philippe Charlier, il y a trente indices concordants attestant qu’il s’agit bien d’Henri IV. « Si ce n’est pas Henri IV, c’est son frère jumeau. » Dossier suivant.

Agnès Sorel, favorite de Charles VII

Cela fait dix ans que ce médecin français détrousse les cadavres célèbres. A 36 ans, il a déjà bâti sa petite légende. Celle d’un Indiana Jones des cimetières qui fait parler les momies à l’aide des techniques les plus modernes. Son premier dead people est Agnès Sorel, favorite de Charles VII, roi timide et chétif. Philippe Charlier entre en possession du précieux pot en grès contenant les restes de la jeune femme en 2004. Objectif : établir si elle a été empoisonnée, comme certains témoins de sa mort l’ont prétendu. Ayant rejoint, enceinte, en février 1450, son roi assiégeant Rouen pour chasser les derniers Anglais du royaume, elle meurt en deux jours d’une dysenterie.

Dès qu’il a plongé dans les deux grandes orbites vides d’Agnès Sorel, Philippe Charlier en est tombé amoureux – au point d’avoir ramené chez lui quelques mèches de cheveux, qui trônent sur la table du salon. Revêtu d’une blouse stérile et de gants pour éviter toute contamination, il prélève des mèches et un minuscule éclat d’os du crâne pour les envoyer dans un laboratoire pratiquant l’analyse génétique. Les résultats confirment le sexe féminin. Le reste, il l’emmène à son labo et commence à déshabiller la belle : des cheveux encore, des dents, des débris d’os, de la peau, des fragments de muscles desséchés et même des poils pubiens. L’analyse au carbone 14 confirme le décès il y a environ 550 ans. L’âge de la morte ? Facile : l’usure des dents et l’état des sutures crâniennes correspondent à une jeune femme de moins de 30 ans. Voilà un mystère résolu.

Philippe Charlier effectue également un détartrage des dents. Dans les microparticules fixées sur l’émail, le médecin découvre une alimentation mixte, composée de légumes et de viandes, ce qui correspond à celle d’une personne de rang supérieur. Les fragments de peau contiennent très peu de mélanine. La morte avait donc la peau très blanche, comme Agnès Sorel. De même, les cheveux, une fois nettoyés, sont très blonds. Désormais, il dispose d’assez de preuves pour asseoir définitivement sa conviction : les reliques sont authentiques.

Il peut à présent s’aventurer à établir la cause de la mort. L’éventuel empoisonnement dont Agnès Sorel aurait été victime pourrait avoir laissé des indices dans les débris organiques. Pour les repérer, il utilise un cyclotron, un accélérateur de particules, afin de réaliser des microanalyses. Il fait alors une découverte capitale : il décèle une quantité astronomique de mercure. Le traitement à base de sels de mercure était courant à l’époque, notamment pour lutter contre les vers. Et l’examen du tube digestif révèle que la belle souffrait précisément d’un parasite intestinal. Seulement, voilà, la quantité ingérée par la jeune femme était beaucoup trop forte. Agnès Sorel est donc bien morte d’un brutal surdosage par ingestion. Accident ? Suicide ? Meurtre ? Par qui ? Cette fois, le paléopathologiste n’a pas de réponse.

Diane de Poitiers, favorite d’Henri II

Fort de ce succès, Philippe Charlier va autopsier d’autres dead people. Par exemple, Diane de Poitiers, favorite d’Henri II, dont la mort était restée mystérieuse. A l’autopsie, il s’avère que ses restes ainsi que sa chevelure présentent une forte concentration en or. L’enquêteur pense alors à une contamination cutanée. Mais Diane n’étant pas reine, elle ne portait pas de couronne en or. D’ailleurs, il est difficile d’expliquer comment d’autres bijoux auraient pu contaminer les cheveux et les tissus. L’embaumement serait-il en cause ? Impossible. L’or n’est pas utilisé comme produit d’embaumement, et les cheveux, qui ne furent pas enterrés, étaient propres et ne présentaient aucun dépôt en surface à l’examen microscopique. Reste l’or en solution buvable, utilisé depuis l’Antiquité pour ses supposés pouvoirs de régénération. Et là, tout concorde. Outre que cette solution était bien connue à la cour de France au XVIe siècle, il est écrit que la favorite en prenait régulièrement. Diane de Poitiers est simplement morte d’avoir bu trop d’or.

Jeanne d’Arc, la pucelle d’Orléans

Mais alors qu’il enquête sur Agnès Sorel, le Dr Charlier découvre au musée de Chinon la relique de Jeanne d’Arc. Relégués depuis des années dans une armoire pour éviter toute polémique sur leur authenticité, les ossements d’aspect carbonisé sont enfermés dans un bocal. Sur le couvercle, une étiquette : « Restes dits de Jeanne d’Arc. » Ils ont été retrouvés en 1867 dans le grenier d’un immeuble parisien appartenant à un apothicaire. Pendant trois décennies, le petit bocal va beaucoup voyager, passant entre les mains de nombreux étudiants en pharmacie. En utilisant la spectrométrie, qui permet d’analyser la structure chimique des molécules, le scientifique découvre que la substance noirâtre entourant les quelques ossements n’est pas le produit d’une combustion. Ces ossements sont d’ailleurs imprégnés d’un produit d’embaumement contenant des bitumes, des produits d’origine végétale et minérale. Par ailleurs, les bandelettes de tissu entourant la relique, analysées par microscope électronique, sont typiques du lin égyptien. « Rien dans ce tissu n’a été brûlé. » En revanche, de grandes quantités de pollen de pin sont retrouvées associées aux restes. Or le pin ne poussait pas en Normandie en 1431, mais sa résine était utilisée pour les embaumements de momies par les Egyptiens.

Autre preuve de la fraude reliquaire : la datation au carbone 14. Là encore, le résultat est exactement superposable au contenu des produits d’embaumement de cette époque. La datation donne en effet une fourchette entre 700 et 230 av. J-C. On est loin des bûchers de Rouen. Le Dr Charlier a l’idée de recruter deux « nez », de chez Guerlain et de chez Patou ! Pour sentir à l’aveugle, et indépendamment l’un de l’autre, les restes du bocal parmi d’autres échantillons. Les parfumeurs identifient deux odeurs spécifiques dans le bocal : un parfum de « plâtre », et une odeur de vanille. L’odeur de vanille est incompatible avec la crémation. Car, quand le corps se décompose, il dégage justement un parfum de vanille. Cette fois, aucun doute : ce n’est pas Jeanne d’Arc, mais les restes d’une… momie égyptienne et d’un chat.

« Des cas comme les autres »

Le bureau de Philippe Charlier, à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches, dans la banlieue ouest de Paris, est un vrai bric-à-brac. Et longtemps, le coeur momifié du roi Richard Ier y a reposé, dans une boîte à gâteaux. Du moins, ce qu’il en reste : 2 grammes sur 80, réduits en un minuscule amas de grains de sable. Le coeur, embaumé il y a plus de huit siècles, avait été retrouvé en 1838 dans la cathédrale de Rouen, dans un coffret de plomb intact, portant l’inscription : « Ci-gît le coeur de Richard, roi des Anglais. »

Après analyses chimiques du coeur, il découvre de… l’encens. Si l’on en retrouve sur certaines dépouilles royales, notamment celles des Médicis, c’est la première fois que de l’encens est mis en évidence sur un corps du XIIe siècle. Philippe Charlier vient de mettre la main sur l’un des premiers coeurs embaumés avec le produit. Son dernier « scoop » date de janvier. Convaincu que sa mort n’a pas livré tous ses secrets, Philippe Charlier se penche sur Robespierre, guillotiné en 1794, à l’âge de 36 ans. « Il était en très mauvais état de santé. Après avoir guéri, avec des cicatrices, de la variole, il souffrait sans doute d’une sarcoïdose, une maladie auto-immune développée quatre ou cinq ans avant sa décapitation. » Pour livrer son diagnostic, il a peu d’éléments à sa disposition : ni ADN ni sang à faire parler, que les comptes rendus médicaux de l’époque et le masque mortuaire effectué juste après la décapitation du révolutionnaire. Il apprend ainsi que Robespierre avait des saignements de nez profus pendant son sommeil, des ulcères récurrents aux jambes, un teint olivâtre, des yeux jaunes et une vision brutalement altérée. La lèpre a été écartée, notamment en raison de l’extrémité des mains, indemnes. Les symptômes ne collent pas non plus avec la tuberculose, à cause de l’absence de fièvre, de toux et de signe pulmonaire, ni avec l’hémochromatose, dont le foyer génétique est chez les Scandinaves et les Bretons, pas chez un homme né à Arras. Pour aller plus loin, Philippe Charlier reconstitue, à l’aide d’un logiciel 3D, le « vrai » visage de Robespierre, moins romantique que sur ses portraits. Un faciès bestial, tavelé par la variole, au regard de psychopathe, qui déclenche aussitôt l’ire de Jean-Luc Mélenchon. Avec d’autres amis du « Grand Maximilien », le tribun s’étrangle devant cette « opération de dénigrement » de la Révolution de 1789.

Le scientifique n’en a cure. Sur son bureau, se trouve aujourd’hui le crâne de son dernier patient, René Descartes, philosophe et mathématicien du XVIIe siècle. Un cas comme les autres, qu’il traite exactement comme ceux qu’il autopsie tous les matins. « Le principe est le même, assure-t-il. Faire parler les corps et en extraire le maximum de vérités. »

Quand la science explore l’histoire, par Philippe Charlier, avec David Alliot, Tallendier, 256 p.

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