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Foie gras : de la poêle au labo

Comment sélectionner les meilleurs foies, ceux qui réduiront peu à la cuisson ? Des chercheurs français se sont penchés sur cette question d’expert.

Tous les amateurs le savent : un bon foie gras d’oie ou de canard réduit peu à la cuisson et ne perd pas de graisse dans la poêle. Sinon, il laisse une pellicule de lipides tout à fait malvenue au fond de l’assiette. Comme le dit Michel Roth, chef du Ritz, à Paris : « Il n’est pas servi. » Or on sait que les « gros » foies ont plus de chance d’exsuder que les autres. D’où cette question, cruciale, sur laquelle des chercheurs de l’Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse (Ensat) ont choisi de se pencher : comment prévoir si le foie dudit volatile va peu ou beaucoup grossir durant l’élevage ?

Réduire la durée du gavage limiterait la perte de graisse

« Nous avons constaté que la perte de gras pouvait varier de 10 % à 50 %, en dépit du soin apporté à la sélection des animaux et à conditions d’élevage égales », explique Caroline Molette, chercheuse à l’Ensat et cosignataire de l’étude sur le foie gras dont il est ici question. Alors ? Alors, d’après les conclusions des travaux menés à Toulouse, ces fortes variations seraient liées à des différences dans le métabolisme cellulaire du foie.

Reprenons. L’idée de passer au scanner chaque animal afin d’observer l’évolution de son foie in vivo était séduisante, mais peu réalisable au regard des capacités budgétaires du laboratoire. Les scientifiques se sont donc mis en quête d’un marqueur génétique, sanguin, par exemple, permettant de distinguer les bêtes dont le foie ne grossirait pas trop vite. Mais cette recherche exigeait de déterminer d’abord s’il existait de vraies différences physiologiques d’un foie à l’autre. Les chercheurs ont ainsi mesuré les caractéristiques des cellules de l’organe, en examinant les substances sécrétées par ce dernier. Près de 150 canards ont été soumis au cycle d’élevage traditionnel : treize semaines de basse-cour, avec petites séances de déverrouillage de pattes en plein air, puis douze jours de gavage au maïs, à raison de deux fois par jour. Après l’abattage, une portion de chaque foie a été prélevée et soumise à des analyses biochimiques, tandis que le reste était cuit à 85 degrés dans un autoclave de manière à mesurer la quantité de graisse exsudée.

« Dans les foies qui avaient perdu le moins de graisse, les cellules avaient encore un métabolisme normal, résume Caroline Molette. Dans ceux qui en avaient perdu le plus, les cellules avaient atteint un certain degré de saturation et moins bien géré l’apport d’aliments. » De quoi laisser penser qu’en raccourcissant un peu la durée de gavage, il serait possible d’obtenir des foies de qualité plus homogène.

La cuisson idéale : une heure à 60 degrés

De nouveaux essais ont été lancés par cette même équipe pour confirmer cette hypothèse, dont les résultats devraient être publiés à l’automne 2012. Des études génétiques pourront ensuite être menées, pour vérifier l’existence de ce fameux marqueur génétique, expliquant les différences de métabolisme. Les industriels ont tout intérêt à suivre de près ces recherches. En effet, la réglementation française exige qu’un foie gras entier cuit ne dégage pas plus de 30 % de graisse exsudée à la cuisson. Or, les professionnels du secteur doivent se débrouiller avec les foies qu’ils reçoivent. Pour respecter les normes, ils sont ainsi parfois contraints d’utiliser de grandes quantités. Pour les gourmets qui aiment préparer le foie gras eux-mêmes, Hervé This, physico-chimiste à l’Inra et facétieux complice du chef Pierre Gagnaire, conseille : « Prolongez la cuisson une heure à 60 degrés, le foie ne perd presque plus de graisse. On peut même le cuire, comme je le fais dans mes expérimentations, au lave-vaisselle ! »

DENIS DELBECQ

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