© Jean Bernard Boulnois

Stimuler le corps, c’est entretenir le cerveau

Le Vif

Quand les circuits nerveux ne sont plus boostés par la nouveauté, l’émerveillement ou l’exercice physique, les facultés mentales s’essoufflent. Autrement dit, la célèbre maxime : « On n’apprend pas à un vieux singe à faire des grimaces » devient : « Si le vieux singe n’apprend plus à faire des grimaces, il les oubliera toutes » !

Notre cerveau vieillit, mais pas de la même manière que le reste du corps. Dans le corps, les cellules présentes dans tous les organes s’altèrent avec le temps, meurent et sont éliminées. Mais comme la nature est bien faite, les cellules souches continuent à se diviser pour produire de nouvelles cellules qui vont remplacer les cellules mortes. Grâce à ce phénomène, tous les organes peuvent fonctionner normalement. Avec l’âge, ce processus de renouvellement se fait toutefois moins performant, ce qui conduit au vieillissement de l’organisme et à toutes les petites « misères » qui l’accompagnent. Rien de tel dans notre cerveau. Celui-ci naît avec un bagage de cent milliards de cellules nerveuses (neurones) et ce « capital » doit nous servir pour toute la vie. Tout comme les cellules situées dans le corps, les neurones sont aussi victimes d’agressions diverses. Ils meurent donc mais ne sont pas renouvelés. Chaque jour, nous perdons ainsi environ 10 000 neurones. Ce n’est pas bien grave car cette perte ne représente in fine que 3 % de notre capital cellulaire durant une vie de quatre-vingt ans.

Alors, comment expliquer cette résistance exceptionnelle aux agressions ? « Elle peut être attribuée, au moins en partie, à une exploitation plus large du patrimoine génétique, répond Philippe van den Bosch, neurobiologiste à l’UCL. Environ 3 000 à 4 000 gènes interviennent pour faire fonctionner la plupart des cellules du corps. Les neurones, en revanche, utilisent de 20 000 à 30 000 gènes. En utilisant un plus grand registre de potentialités réparatrices, ils anticipent et pallient vraisemblablement leur défaut fondamental, à savoir l’absence de renouvellement. » Par ailleurs, les neurones disposent d’une autre faculté de résistance grâce à leur organisation en réseaux. Lorsque le système nerveux se développe, les neurones construisent, entre eux des connexions, ou synapses, et forment des réseaux. Les scientifiques estiment à un million de milliards le nombre de synapses chez l’adulte ! Ce « câblage nerveux » où toutes les cellules sont en relation directement ou indirectement, crée une plasticité qui permet une adaptation à des conditions défavorables.

L’importance de l’environnement

La construction de notre cerveau et l’organisation en réseaux ne dépend pas uniquement du programme génétique. Le cerveau n’est pas d’emblée câblé comme un ordinateur. Les interactions entre le monde extérieur et les activités nerveuses sont indispensables pour que les connexions entre les neurones puissent s’établir de manière harmonieuse et assurer les grandes fonctions sensorielles, motrices et cognitives. La richesse des stimulations reçues durant la phase de la formation de la machinerie cérébrale détermine la qualité des connexions. Sous l’influence des expériences vécues, nombre de contacts entre les neurones sont éliminés, tandis que d’autres sont invités à persister.

« Ce qui est stimulé sera préservé, ce qui ne l’est pas sera dégradé, poursuit Philippe van den Bosch. Pendant les premières années de la vie, plus de la moitié des réseaux sera ainsi « nettoyée » par manque de stimulations. Des enfants sauvages, privés de tout contact humain dès le plus jeune âge, souffrent de graves handicaps mentaux. Ils seront incapables d’apprendre une langue et ne parleront pas. » Précisons, aussi, que les réseaux sont organisés hiérarchiquement, en sept niveaux. Chaque réseau a ses propres tâches et son propre « job ». Cela dit, pour être parfaitement opérationnel, le cerveau fait toujours appel à l’ensemble de ses réseaux et ce, indépendamment de l’activité réalisée.

Dialogue corps-cerveau

Un organe périphérique (muscle, foie, rate, poumon,…) reçoit des informations d’une population de cellules nerveuses (neurones) situées dans le cortex, l’ensemble de celui-ci étant géré par sa partie antérieure préfrontale. Les scientifiques se sont en effet rendu compte que 80 % des neurones se trouvent dans le cortex, tandis que 20 % sont répartis en-dessous, sur plusieurs étages : moelle épinière, ganglions, etc. « Prenons un exemple très simple : la contraction des muscles d’une main, décrypte Philippe van den Bosch. Cette action est donc commandée par les cellules nerveuses. L’influx nerveux va passer en descendant vers la main et la contraction sera le résultat de cette activité nerveuse. A son tour, le muscle renvoie un message par les nerfs qui remontent vers les cellules nerveuses du cortex. Ce message est porté par les substances neurotrophiques. Donc, le cerveau stimule, fait faire quelque chose aux organes et les organes répondent par un message. Il y a une communication entre le cerveau et le corps. Ce dialogue est permanent et ininterrompu. Les organes envoient des messages (substances neurotrophiques) vers le cerveau tout le temps, comme pour dire « nous sommes là, nous sommes présents et nous pouvons être stimulés ». Les altérations du système nerveux dépendent d’un défaut de ce dialogue. Le vieillissement, c’est donc le corps qui le provoque en grande partie ! Parce que le corps n’envoie plus de substances neurotrophiques. »

Le Parkinson chez le rat

Philippe van den Bosch est une personnalité éminente des neurosciences en Belgique et aussi en France. Il fut un pionnier de l’utilisation scientifique des possibilités offertes par les nouvelles techniques d’imagerie appliquées au cerveau. Ses longues recherches, notamment sur le vieillissement du système nerveux et sur les mécanismes de compensation des altérations par la plasticité cérébrale, l’ont conduit à travailler sur le Parkinson, la maladie ayant été induite chez le rat. Une expérience menée avec succès a pu faire disparaître la maladie chez l’animal. « Celle-ci n’a jamais été réalisée chez l’homme, car elle exige une technique chirurgicale trop lourde. Cela dit, nous espérons que les recherches se poursuivront en explorant ce raisonnement. Les problèmes de Parkinson ou d’Alzheimer pourront peut-être être résolus en ne touchant pas au cerveau mais en agissant sur les organes périphériques. Je vous donne un exemple qui plaide en faveur de cette hypothèse. Le cortex préfrontal, la partie de notre cerveau la plus récente qui nous différencie du singe et aussi la plus « intelligente » car elle détient notre identité et notre histoire, s’est développée sur un territoire moteur et non pas sensoriel. »

Stimuler son corps !

La stimulation des organes périphériques et le maintien du dialogue sont donc déterminants. Pour entretenir le cerveau, il faut booster son corps ! On rappellera, une fois de plus, les bienfaits et les bénéfices de l’exercice physique. On insistera aussi sur l’importance de la mise en place de projets et d’actions en groupe ou en communauté qui mobilisent le corps. « L’important est d’agir car l’acte sous-tend le dialogue entre le corps et le cerveau, conclut Philippe van den Bosch. C’est d’ailleurs l’action qui construit le cerveau humain. Dès le moment où cette action diminue, l’individu se retire du milieu humain et de l’humanité et le vieillissement peut s’accélérer. La plasticité cérébrale est possible à condition que l’apport neurotrophique soit suffisant. Le système nerveux est comme un arbre planté dans le corps et il a besoin d’être irrigué par les substances du corps. »

Par Barbara Witkowska

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