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Résistance aux antibiotiques: des virus mangeurs de bactéries

L’OMS s’affole ; l’Union Européenne s’inquiète : entre 2000 et 2010, la résistance des bactéries aux antibiotiques a augmenté de 40 %, et cause chaque année, seulement en Europe, 25.000 décès ! Plus de 700.000 dans le monde… Mais des alliés oubliés pourraient venir à notre secours : les bactériophages. Entendez, des virus qui détruisent les bactéries. Explication.

En Belgique, quelque 3000 décès par an, en particulier lors d’infections nosocomiales, sont dus à des bactéries attrapées à l’hôpital, et résistantes aux antibiotiques. Car par de subtiles mutations, elles parviennent à déjouer les attaques de ces traitements. Aussi, de nombreux chercheurs à travers le monde tentent de trouver une alternative ou un complément aux antibiotiques. L’une des pistes qui semble apporter beaucoup d’espoirs est celle des « phages ». « Il s’agit en réalité de virus dits bactériophages : ils infectent spécifiquement un certain type de pathogènes bactériens, et se multiplient rapidement pour les éliminer », explique Daniel De Vos, microbiologiste au Laboratoire de technique moléculaire et cellulaire (LabMCT) de l’Hôpital Militaire Reine Astrid, à Neder-over-Heembeek, spécialisé dans la prise en charge des grands brûlés.

Retour aux sources

Cette piste n’est pas nouvelle : elle a vu le jour au début du XXe siècle, mais tuée dans l’oeuf par l’arrivée de la pénicilline après la Seconde Guerre mondiale, lançant l’antibiothérapie. Mais peu à peu, les bactéries ont développé des résistances à ces antibiotiques, un phénomène qui commence à inquiéter, vu la difficulté de trouver de nouvelles molécules. Certains ont dès lors voulu ressortir des cartons les travaux de l’époque sur les phages, qui connaissent depuis un retour en grâce.

Résistance aux antibiotiques: la faute à qui ?

La résistance croissante aux antibiotiques a été favorisée et accentuée par une utilisation excessive et déraisonnable d’antibiotiques. Si le monde médical porte une part de responsabilité, l’essentiel de la cause est à trouver ailleurs : « 80 % de la production mondiale d’antibiotiques va dans l’agroalimentaire, autrement dit aux animaux d’élevage pour les faire grossir plus rapidement ; ils sont donnés dans des concentrations telles qu’ils rendent les bactéries plus résistantes et plus virulentes », dénonce Daniel De Vos.

Les phages se retrouvent à l’état naturel, comme dans les eaux usées, les océans ou dans le corps humain, notamment dans l’intestin ou sur la peau. « Ceux utilisés en thérapie sont spécifiques à une bactérie dans laquelle ils peuvent se multiplier pour la tuer en détruisant sa structure moléculaire. C’est un processus qui se produit naturellement dans notre organisme, en particulier dans les intestins, et qui participe activement à l’équilibre de notre microbiome. C’est aussi ainsi dans chaque système écologique à l’échelle de la planète. Nous avons cent fois plus de phages que de bactéries dans et sur notre corps ! Plus même que de cellules propres ! Chaque jour, ces phages éliminent 50 % de la population bactérienne, là où ils sont présents. Nous ne faisons donc qu’utiliser un processus naturel contre des bactéries spécifiques, résistantes aux antibiotiques », poursuit Daniel De Vos.

À étudier

Les bactériophages ont donc un spectre d’action restreint : ils sont souvent virulents contre une espèce de bactéries, voire contre quelques souches de cette espèce. Contrairement aux antibiotiques, même réputés ciblés, qui s’attaquent tout de même à des dizaines de bactéries différentes. Parmi elles, certaines sont inoffensives, notamment celles de notre microbiote intestinal qui jouent un rôle dont on commence lentement à connaître l’importance. Cette spécificité des phages explique leur variété : ils compteraient 100 millions de génomes différents.

Quelle utilisation pratique ?

Depuis 1919, data à laquelle les phages ont commencé à être utilisés comme thérapies sur l’Homme, ils ont été utilisés ou pressentis pour lutter contre :

– la dysenterie bacillaire chez l’enfant : c’était la première utilisation, avec succès.

– les infections ostéo-articulaires : lorsque le patient ne répond plus aux antibiotiques et risque donc l’amputation. La France finance des projets pour traiter des infections à staphylocoque doré suite à la pose de prothèses articulaires (PHAGOS) ou au pied diabétique (Phago-Pied).

– les infections respiratoires en cas de mucoviscidose.

– les infections nosocomiales respiratoires : des tests ont été menés contre le staphylocoque doré multirésistant, les entérobactéries ou encore Pseudomonas sur des malades en impasse thérapeutique. Les résultats sont encourageants.

– les infections urinaires, même contre des bactéries multirésistantes.

– les infections chez les grands brûlés. Ici aussi, l’hôpital Militaire a dû faire appel à la phagothérapie en cas d’impasse thérapeutique, et avec un succès intéressant.

D’autres pistes sont ouvertes. Les phages ont déjà enregistré de bons résultats dans la lutte contre des cas de septicémies, d’endocardites ou de méningites.

Dans un autre domaine, le secteur agro-alimentaire américain vaporise déjà, depuis 2006, un cocktail de phages contre la listériose ou les salmonelles sur la viande ou le fromage…

Leur utilisation contre des bactéries résistantes connaît des résultats prometteurs : « Le taux de réussite est estimé à 80 %. Outre leur action très ciblée, ils ont un pouvoir de ‘co-évolution’ avec la bactérie cible : si celle-ci se modifie pour résister, le phage va aussi s’adapter pour continuer à pouvoir la détruire. Ce qui en fait une approche thérapeutique durable. Et si des résistances bactériennes aux phages émergent, il est possible d’isoler rapidement un autre phage virulent », insiste Daniel De Vos. C’est là toute la différence avec les antibiotiques qui n’évoluent pas au fil des mutations de la bactérie, et qui sont plus longs à élaborer…

En manque de reconnaissance

Les instances européennes semblent avoir compris l’intérêt de ces pistes et ont financé une grande étude sur les phages auprès des patients brûlés, qui sont à la fois très infectés et immunodéprimés : Phagoburn (3). « Nous collaborons avec d’autres hôpitaux (français, suisse, belges) dans le cadre de cette étude. Les cibles dans l’étude Phagoburn sont E. coli et P. aeruginosa. Une autre étude est en cours pour traiter les staphylocoques dorés résistants à la méthycilline (MRSA) par application de gouttes ou de spray nasal contenant un phage virulent contre cette bactérie », souligne Daniel De Vos. Une autre possibilité serait de traiter immédiatement par l’administration de cocktails de phages, composés des plus adéquats.

Les phages pourraient en outre venir en complément des antibiotiques : il a été constaté que l’action d’un antibiotique sur la bactérie pourrait la fragiliser en éliminant son biofilm, et permettre aux phages et au système immunitaire de terminer le travail. Cette voie reste encore à être optimisée par des études cliniques.

Néanmoins, cette thérapie n’est pas encore reconnue. En effet, ces phages étant considérés comme des médicaments, pour être approuvés, ils doivent passer par le processus d’études cliniques classiques, inadapté aux phages. Le hic, c’est que peu de laboratoire peuvent investir tant d’argent pour les mener, et que l’industrie pharmaceutique classique ne s’y intéresse pas, faute de brevet possible… De plus, il existe des freins légaux et administratifs… L’EMA examine néanmoins le dossier et pourrait débloquer la situation. En tout cas, on l’espère, puisque l’Union Européenne a décidé d’aider la recherche pour trouver des alternatives aux antibiotiques… Les pays d’Europe de l’Est, pour leur part, les utilisent plus couramment, et sont en avance sur nous. Tout est question de volonté politique.

Par Carine Maillard

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