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Peut-on vraiment se fier à sa première impression ?

Le Vif

Nous sommes nombreux à penser que l’aspect extérieur d’une personne est révélateur de sa personnalité. Mais dans quelle mesure pouvons-nous nous fier à notre jugement basé sur notre première impression ?

L’idée selon laquelle le visage est le reflet de l’âme est aussi vieille que le monde. Fin du XVIIIe et début du XIXe siècle, la physiognomonie (étude du visage) et la phrénologie (étude du crâne) triomphaient, propagées respectivement par Johann Kaspar Lavater et Franz Joseph Gall. Ils étaient convaincus que la forme de la tête en disait long sur certains traits de caractère. C’est par exemple de cette époque que date l’expression « la bosse des maths » !

Leur théorie a souvent été méprisée et vilipendée au cours de l’histoire. Elle a également été détournée à des fins racistes lors de la Seconde Guerre mondiale, mais n’a pourtant jamais disparu, apportant une réponse à des questions essentielles, de manière simpliste et peu spécifique, laissant à chacun l’occasion d’y trouver son compte.

Depuis les années 1970, des scientifiques et des psychologues, notamment, ont pourtant manifesté un regain d’intérêt pour ce domaine. Ils ont constaté que les gens croyaient déduire beaucoup de choses de la lecture d’un visage, ce qui les a motivés à s’intéresser à la manière dont ils le faisaient.

Partenaire idéal

Il est clair que nous ne pouvons pas décortiquer la personnalité d’une personne à la simple vision de son visage. Il n’empêche que, sur la base d’une rapide impression que nous nous faisons, nous plaçons les gens dans quelques catégories simples, globales. La première a trait à la reproduction : un partenaire attirant, en bonne santé et « bien disposé » est indispensable. L’attraction, la santé et le tempérament sexuel n’ont peut-être pas de lien direct avec le caractère, mais ils ont bien un lien indirect. Ainsi, nous avons tendance à trouver les gens attirants sociables et intelligents.

L’étude de Geertjan Overbeek a conclu que la plupart des gens s’accordent en général sur la beauté/laideur d’une personne. Nous jugeons plus positivement les personnes attrayantes. Et nous agissons en conséquence : ces personnes attirantes reçoivent plus d’attention et d’aide. Les personnes considérées comme « belles » ont aussi plus de succès dans leur profession, sont en meilleure santé… Et enfin, elles ont une image plus positive d’elles-mêmes. Nous pourrions ajouter que ce trait de caractère peut résulter d’une grande confiance en soi que les « beaux » accumulent durant leur vie, ce qui est gage de succès ! Ainsi, dès l’école maternelle, les enfants jugés beaux sont évalués plus positivement et favorisés par les instituteurs…

Sebastien Bohler, auteur d’un ouvrage qui vise à reprendre les études scientifiques dans ce domaine et à les mettre en perspective, explique cependant : « Les personnes belles ont davantage confiance en elles, ce qui leur évite les phases de doute et de stress qui affectent les autres. (…) Un phénomène de boule de neige se met en route, le succès entraînant le succès. » Il souligne aussi que si les « beaux » sont plus sociables, probablement aidés par un physique qui ne les a pas incités à se replier sur eux-mêmes.

Beau et compétent ?

Une deuxième catégorie a trait à la compétence et au pouvoir. Nous aurions aussi tendance à considérer certaines personnes comme intelligentes et efficaces. Elles parviennent à entraîner les autres dans leur sillage et mènent leurs projets à bien. Un visage compétent aurait des caractéristiques précises : c’est celui d’un adulte, il est attrayant, mince, avec une distance entre les sourcils et les yeux relativement petite, des pommettes hautes et des mâchoires anguleuses. Ce n’est pas négligeable quand on vise une carrière politique ! L’arrivée de la télévision a fait en sorte que fréquemment, nous ne choisissons pas le politicien qui a le meilleur programme, mais celui qui a le visage qui semble le plus compétent.

Les psychologues Naline Ambady et Nicholas Rule ont montré à des étudiants les photographies des 25 chefs d’entreprise les plus performants et des 25 dirigeants les moins performants de la liste Fortune. Après avoir observé la photo, ils devaient prédire le style de leadership de la personne et le niveau de performance de l’entreprise qu’elle dirigeait. Bien que n’ayant aucune idée de l’identité des personnes observées, les étudiants arrivaient à relativement bien jauger le degré de réussite des managers : plus ils reflétaient la puissance, plus leur entreprise engrangeait effectivement de profits.

Visage de bébé

La troisième catégorie a trait aux personnalités chaleureuses ou froides. Nous trouvons certaines personnes charmantes, sociables et fiables alors que d’autres nous paraissent agressives et asociales. Un comportement déloyal semble aller de pair avec la forme du visage : les hommes au visage large, mûr, abuseraient de la confiance d’autrui, se sentent plus puissants et osent tricher.
Nous trouvons les bébés candides, adorables, irrésistibles. Un visage de bébé attire d’emblée l’attention. Les caractéristiques que nous attribuons aux bébés, nous les attribuons aussi aux adultes au « visage de bébé ». Ces personnes sont vues comme ayant une personnalité douce, chaleureuse, accessibles. Nous avons tendance à croire qu’elles ont besoin de plus d’aide, qu’elles sont plus honnêtes et plus fiables.

Jefferson Duarte a étudié le lien entre le visage et la solvabilité. Il a analysé plus de 6000 demandes de crédit et constaté qu’on accordait plus souvent un prêt aux personnes qui avaient l’air fiable. L’appréciation de la fiabilité des emprunteurs et la probabilité qu’un prêt serait remboursé s’est avérée corréler avec la solvabilité des emprunteurs.

Sur la bonne piste ?

La recherche démontre que nous faisons très rapidement des déductions d’un visage et que nous pouvons tomber juste dans certains cas. Plusieurs explications possibles à cette « compétence » sont apportées. Tout d’abord l’évolution : la capacité à évaluer une autre personne contribue à la survie et garantit une saine descendance. Il serait donc logique que nous développions une antenne spéciale à cet effet. Deuxièmement, la testostérone et l’oestrogène, principales hormones sexuelles, affectent non seulement l’aspect extérieur (des caractéristiques physiques) mais aussi l’intérieur (comme des traits de caractère). Une troisième explication est que les expressions fréquemment utilisées laissent des traces sur le visage.

Enfin, les caractères sont façonnables aussi, notamment par l’éducation ou par le regard des autres. Un homme qui aurait des taux importants de testostérone, qui prédispose à la violence et qui se manifeste par un visage large, peut être particulièrement gentil et doux, grâce à son éducation et son environnement ! Quant au miroir renvoyé par le regard des autres, il est évident qu’il module nos réactions : lorsque nous supposons que quelqu’un est gentil, nous agissons en fonction… ce qui rend l’autre gentil.
Nous ne pouvons donc pas nous laisser guider aveuglément par des intuitions, souvent bourrées de stéréotypes et de préjugés. De plus, ils peuvent nous détourner d’informations intéressantes parce que nous nous concentrons trop sur le visage.
Car quatre fois sur dix, nous lisons mal un visage. Notamment parce que la situation dans laquelle nous nous trouvons influence la manière dont nous le jugeons. Ainsi, nous avons tendance à trouver les gens plus sympathiques dans un endroit qui sent bon ! Par ailleurs, nous essayons de confirmer notre première impression, en appréciant toutes les informations supplémentaires à la lumière du jugement déjà porté. S’il est bon d’écouter ses « tripes », n’oublions donc pas de faire appel à notre cerveau. Essayons de réserver notre jugement jusqu’à ce que nous ayons engrangé davantage d’informations et utilisons-les alors pour réfléchir de manière critique. Tenons compte aussi de ce que quelqu’un fait. Bref, efforçons-nous de juger… à la lumière de la deuxième impression !

Par Tine Bergen / Carine Maillard

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