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Les risques du piercing

Le Vif

Lèvres, joues et langue, tout est matière à piercing. Mais entre le  » body-art  » et la santé, il faut parfois savoir choisir. Le piercing de la langue et des autres zones buccales n’est pas dénué de risques

Barbell, Labret, Medusa, Madonna, Banana Bell, Smiley, Lowbret, sont autant de noms poétiques pour définir les différentes formes de piercings couramment portés dans la sphère bucco-faciale. Aux États-Unis, et dans une moindre mesure en Europe, il est devenu courant de se percer la langue, les lèvres ou les joues, voire la luette ! On compte aujourd’hui entre 10 et 20 % de porteurs de piercings chez les 15-25 ans, avec une augmentation de plus en plus importante chez les moins de 15 ans. Pour expliquer ce phénomène de mode issu de la même mouvance que celle des tatouages, on trouve deux motivations opposées : d’une part la volonté de se marginaliser et d’autre part celle de s’intégrer dans un groupe. Mais au-delà de ces considérations esthétiques et psycho logiques, il ne faut pas négliger l’aspect  » santé  » ! Ces piercings buccaux ne sont pourtant pas anodins : de réels dangers pour la santé existent. En effet, le milieu buccal porte d’entrée infectieuse par excellence, est source de complications, douleurs, inflammations, saignements…

Voie royale pour les bactéries !

Le piercing buccal expose bien entendu aux problèmes habituels du piercing : transmission possible du virus de l’hépatite B ou C, ou d’une infection à VIH, et allergie au matériau constituant le bijou. Outre le nickel, au pouvoir allergisant bien connu, il faut éviter l’argent qui s’oxyde au contact de la salive. Il vaut mieux choisir des bijoux en titane, plus coûteux, en acier ou en acrylique. La bouche étant un milieu qui contient naturellement de nombreuses bactéries, le risque d’infection y est encore plus aigu que pour d’autres parties du corps et ce, même après une pose propre et bien préparée. Une infection s étendant à la mandibule et au pourtour de la bouche a ainsi été constatée chez un porteur qui avait eu la langue percée. Il dut être intubé, puis opéré.

Mais la spécificité du milieu buccal fait courir au porteur d’autres risques plus particuliers. Pre mièrement, il y a les accidents de perçage. En général les zones traversées comportent peu de risques mais il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit de la langue qui est richement vascularisée. La section des artères irriguant la langue tout comme la lésion des nerfs linguaux sont des accidents parfois rencontrés.

En dehors de la douleur et du gonflement que peut provoquer le bijou lorsqu’il est mal toléré, une augmentation passagère du flux salivaire est souvent observée ainsi qu’une hypersensibilité prolongée autour du site. Parfois, le dispositif perturbe la parole (zozotage), la mastication et la déglutition. Sans oublier les risques d’une obstruction des voies respiratoires suite à l’inhalation du bijou, si celui-ci se détache.

Dentistes inquiets

Le piercing peut entraîner des lésions directes sur les dents : micro-fissures, usures dentaires voire fractures, toutes liées au frottement et aux chocs répétitifs du bijou ou de son attache. Cette fragilisation de l’émail dentaire peut favoriser le développement de caries et entraîner des hypersensibilités au froid, au chaud et à l’acidité. Les gencives peuvent aussi être soumises au frottement répété de l’attache, ce qui provoque une rétraction gingivale traumatique souvent irréversible. C’est un problème particulièrement fréquent avec les labrets, qui transpercent la lèvre inférieure.

Enfin, les bijoux doivent être retirés lors de prise de certaines radiographies intra- ou péribuccales. La nécessité de déposer les bijoux linguaux durant l’anesthésie dentaire locale est à l’appréciation du dentiste. Lors de certaines anesthésies, la langue et les lèvres peuvent être endormies ; le risque de lésions dentaires est alors accru, faute de contrôle de la position des dents, de la langue, des joues et des lèvres.

Cicatrisation longue durée

La durée de cicatrisation d’un piercing peut s’étendre de quelques semaines à quelques mois. Alors que la cicatrisation du lobe de l’oreille prend moins de 4 semaines, celle de la langue dure de 3 à 8 semaines, celle du labret (lèvre-bouche) jusqu’à 6 mois. À titre indicatif, la cicatrisation du nombril est encore plus longue, elle dure de 6 à 12 mois.

La durée et la qualité de cicatrisation du piercing dépendent de l’état général et des antécédents médicaux de la personne, de l’endroit concerné, de la nature et de la qualité du bijou, du matériel employé pour réaliser le piercing et enfin de la qualité du geste technique. Mais le piercing réalisé dans les meilleures conditions peut tourner mal si l’hygiène locale n’est pas quotidiennement au rendez-vous. C’est vraisemblablement là le facteur le plus important de la vitesse et de la qualité de cicatrisation, et donc du risque de complication infectieuse.

Une autre raison pour laquelle les complications sont plus fréquentes en bouche tient à la qualité de la cicatrisation, qui doit réunir des tissus différents : d’un côté la muqueuse buccale et de l’autre, l’épiderme (sauf pour la langue). Ces tissus doivent se rejoindre et se souder dans le tunnel de la perforation. Or, la cicatrisation entre deux tissus différents n’est jamais parfaite et laisse donc une porte d’entrée permanente à l’infection.

Piercings baladeurs

Certains piercings sont sujets à rejet : c’est fréquent pour l’arcade sourcilière ou le nombril, laissant des cicatrices peu esthétiques. En bouche, le rejet est plus rare, mais par contre, les bijoux de la langue ont tendance à migrer, surtout s’ils sont placés trop en avant (ce qui est plus facile à réaliser pour un pierceur moins expérimenté). Ils seront alors davantage stimulés par le contact répété contre les dents et le palais lors des innombrables mouvements de la langue… et finissent par se déplacer. C’est une forme de rejet.

Enfin, les piercings buccaux sont totalement contre-indiqués en cas de diabète, d’insuffisance rénale, de cardiopathies valvulaires, de maladies auto-immunes ou de traitements par corticoïdes. Détails que peu de  » pierceurs  » sont à même d’apprécier. Les spécialistes, dentistes en tête, sont donc très réservés à l’égard des piercings dans la sphère buccale, à cause de ce florilège de désagréments plus ou moins irréversibles. Il suffit pour s’en convaincre de surfer sur les sites de chat d’adolescents dont les questions et discussions témoignent à suffisance des déboires des uns et des autres.

Par Didier Pansaers

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