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« Les embouteillages sont sources de burnout »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les problèmes de mobilité sont un des indicateurs de risque de burnout dans les entreprises, diagnostique Régine Sponar, doctorante en psychologie. Un problème préoccupant, aggravé par la saga des tunnels à Bruxelles.

Vous avalez votre volant tous les matins dans les embouteillages ? Votre stress est d’autant plus important que vous craignez d’arriver en retard au travail ou à un rendez-vous important ? Vous n’êtes pas le seul dans le cas et, à vrai dire, cela n’a rien de rassurant.

« L’embouteillage récurrent induit, chez certains employés fortement investis dans leur travail, l’inscription d’un stress émotionnel ; une anxiété sur l’heure d’arrivée qui au lieu d’être précise, devient incertaine, explique Régine Sponar, doctorante en psychologie. Elle se cumule à la perception de ne pas arriver à faire ses tâches dans les délais impartis. Cette anxiété sur une période estimée à six mois peut se muer en épuisement physique. » Traduisez : un burnout. Le mal du siècle.

Les chiffres ? Ils sont impressionnants. « 73% des employés/indépendants qui consultent pour effectuer une prévention du burnout disent être stressés quand ils arrivent en retard au travail et pour 52% d’entre eux, ce stress est lié aux embouteillages, explique la doctorante. 87% de ces employés utilisent la voiture. Non par choix, mais pour gagner du temps sur les transports en commun. Ils roulent en moyenne en aller simple régulier 50 min/jour et en trajets irréguliers 45 min/jour pour un total d’environ 2h25 /jour. »

Or, un trajet supérieur à 45 minutes dans des conditions difficiles devient problématique et génère potentiellement beaucoup de stress chronique. « Le travailleur est stressé s’il arrive en retard au travail, dit Régine Sponar. L’embouteillage induit une incertitude sur l’heure d’arrivée qui sera plus tardive. A partir de 45 minutes d’embouteillage, le transport est perçu comme très contraignant. Or, toute contrainte de cet ordre va transformer le stress émotionnel en stress physique. »

Les principaux concernés sont des travailleurs fortement investis dans la vie de leur entreprise, qui sont prêts à tout pour accomplir leur tâche. « Avec des horaires prestés d’une moyenne de 47h par semaine, ils font partie de la cohorte des navetteurs qui partent tôt le matin et reviennent tard en soirée à leur domicile, rejoignant ainsi le dernier peloton bouchonné journalier, prolonge-t-elle. Ils ont le profil des employés qui aiment leur travail, y trouvent un sens et le rendent à l’entreprise. » Jusqu’au moment où cela craque.

La psychologue travaille précisément sur la création d’une spin off avec l’UCL. Objectif ? Créer un logiciel permettant de détecter le burnout de façon préventive afin de trouver, en quatre séances, des réponses adéquates. « Je veux intervenir avant que ce stress ne se transforme en congés de maladie », dit-elle. Parmi la liste des questions posées aux employés, les questions de mobilité figurent en première place !

Dans ses consultations, Régine Sponar est régulièrement confrontée à des cas de travailleurs motivés qui craquent en raison de déplacements trop éprouvants. « Plusieurs personnes ont quitté leur emploi à cause du transport », souligne-t-elle. Elle cite l’exemple d’une assistante sociale de la Communauté française faisait des trajets « épouvantables » entre le sud de Bruxelles vers un endroit très congestionné du centre, où elle se sentait en insécurité. Chargée de dossiers lourds, concernant des enfants du juge, elle cumulait les stress chroniques. Elle a fini par trouver quelque chose de plus proche de chez elle.

Deux facteurs aggravent cette perception.

Le caractère chaotique du trajet, tout d’abord. « Les trajets irréguliers en voiture calculés en h/semaine sont plus stressants que les réguliers, argumente-t-elle. L’absence de connaissance de la route à utiliser et la complexité des déviations apparaissent illogiques, compliquées, dépourvues de sens pour les utilisateurs du réseau, ajoutant une fatigue cognitive à une colère ou à un sentiment d’impuissance. » Les modifications incessantes des contraintes à Bruxelles en raison des fermetures successives de tunnels ou de déviations liées à des plans de circulation modifiés sont de cet ordre.

Autre facteur aggravant : le fait de ne pas être maître de son horaire. « Les employés et fonctionnaires non-cadres dirigeants, qui représentent la majorité des employés et fonctionnaires, n’ont pas de pouvoir décisionnel et seront davantage impactés », acquiesce-t-elle. Certains trouveront même des situations extrêmes, comme le fait de se lever à quatre heures du matin pour partir avant les embouteillages. « Pour anticiper l’embouteillage et pour effectuer toutes les tâches programmées, le sommeil devient perturbé pour arriver encore plus tôt au travail », dit-elle.

Les parents, eux aussi, souffrent. « L’absence de parking autour des écoles et l’absence de parking à l’arrivée au travail sont deux facteurs de stress chronique pour ceux qui déposent les enfants à l’école en voiture. Une cardiologue affirme que déjà à partir de 3 minutes de recherche infructueuse d’un parking, le système cardio-vasculaire est impacté par ce stress généré quotidiennement. »

Or, il existe trop peu d’alternatives à cette pression quotidienne. Il en existe, pourtant.

« Le flexi-time pour les parents, tel que pratiqué en Allemagne dans certains districts congestionnés, devrait être proposé dans les zones embouteillées pendant les périodes où les enfants vont à la crèche et à la maternelle. Le Danemark et la Suède (60%), suivi par l’Allemagne (50%) offrent le plus de flexi-time à leurs employés. »

Autre solution envisageable ? Le développement des pistes cyclables sécurisées. « Le vélo amène l’employé à l’heure au travail malgré les embouteillages. Le cycliste qui a la chance ou les moyens d’habiter dans un rayon de 10 km de son travail évalue très bien son temps de trajet. De plus, ce sport d’endurance lui est bénéfique en terme de santé. »

Sans oublier le télé-travail. « Tout employé effectuant 45 minutes aller simple de trajet par jour en voiture (ceci prouve déjà son attachement à son travail et à son entreprise ou institution) – dans des conditions perçues et mesurées comme contraignantes ou très contraignantes, 5 jours par semaine, devrait, sur base du contrat de confiance employé-employeur, pouvoir, lorsque son travail s’y prête, utiliser par simple convention, le travail à domicile un jour semaine. Les études scientifiques prouvent que 20 pour cent de travail supplémentaires est effectué par jour de téléworking. »

En attendant, les Bruxellois souffrent… « Quand on bloque un tunnel, on ne pense pas qu’il y a déjà toute une population bloquée dans les bouchons depuis l’entrée de Bruxelles et du ring, qui subit encore vingt minutes de transport supplémentaires, conclut Régine Sponar. Il y a une fatigue cognitive qui s’ajoute au stress pour chercher à comprendre, trouver des alternatives… Le burnout, c’est précisément cela : l’incompatibilité entre un objectif et les moyens de le rencontrer dans les temps impartis. »

La fermeture des tunnels bruxellois pourrait avoir un autre vice caché : un coût pour la sécurité sociale…

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