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Les Belges se moquent de leurs (mauvaises) habitudes alimentaires

Le Vif

À peine 6 Belges sur 100 perçoivent leurs habitudes alimentaires comme une menace pour la santé. C’est ce qui ressort de l’étude Eatwell, à laquelle a participé l’Université de Gand, à l’instar de plusieurs autres universités européennes. Ces données devraient contribuer à une meilleure politique de prévention…

Comment combattre l’épidémie d’obésité, causée notamment par des habitudes alimentaires malsaines et qui pèse lourd sur le budget de la santé ? C’est la question à laquelle aimerait répondre l’étude Eatwell, étude internationale sur l’efficacité des mesures politiques alimentaires prises dans cinq pays européens. Pour ce faire, elle analyse entre autres l’efficacité des campagnes d’information et de sensibilisation en matière d’alimentation saine, ainsi que l’impact de mesures gouvernementales telles que les « taxes sur les graisses » et les règles visant à réduire la consommation de sel. Et son constat, qui confirme des conclusions déjà parues, interpelle : les millions investis dans les campagnes de prévention pour une alimentation saine ne serviraient finalement à… pas grand-chose…

L’offre fait la demande…

Les autorités européennes ont beau investir énormément dans des campagnes préventives promouvant des habitudes de vie et d’alimentation saines, la démarche de manger (plus) sainement semble encore trop difficile pour beaucoup. L’étude semble en effet montrer le faible impact de pareilles initiatives, et mise davantage sur une adaptation de l’offre du marché. « Les consommateurs mieux informés ne font pas nécessairement des choix plus sains, constate Wim Verbeke, professeur de marketing alimentaire et de comportement des consommateurs à l’UGent et partenaire chez EATWELL Belgique. De nombreux freins empêchent les gens de faire le choix d’une alimentation saine : l’idée que ce qui est sain est plus cher par exemple, ou moins bon, ou demande plus de temps. À côté de cela, l’attraction exercée par une alimentation grasse et malsaine reste élevée et le choix alimentaire est pour une bonne part lié à des habitudes qui ne se modifient pas si facilement. » On se souvient donc de l’analyse du Dr Marie Thirion, des conditionnements dès l’enfance et de la difficulté de s’en défaire (lire Bodytalk 82).

Qu’est-ce qui pourrait donc bien motiver les consommateurs à adopter une alimentation plus saine ? « Des interventions plus contraignantes que de simples campagnes d’information !, insiste la chercheuse Christine Hoefkens. Tout le monde connaît maintenant les règles de base d’une alimentation saine, mais entre les connaître et les appliquer, il y a une fameuse marge. » Les publicitaires et fabricants le savent : l’offre façonne la demande. Ce principe pourrait donc être appliqué dans le cadre d’une offre d’aliments sains.

Bouc émissaire : le stress Cette étude Eatwell auprès des consommateurs, récemment publiée dans la revue Preventive Medicine (1), a également permis à Wim Verbeke et Christine Hoefkens d’analyser comment les Européens évaluaient le risque de leurs habitudes alimentaires pour leur santé. Et ce par rapport à quelques autres facteurs importants ou « major global health risks » (définis par l’OMS), tels que le poids, le stress ou la pollution. Dans chacun des cinq pays participant à l’étude (Belgique, Royaume-Uni, Italie, Pologne et Danemark), quelque 600 personnes ont été interrogées ; hommes et femmes, jeunes et vieux, personnes aux IMC et niveaux de formations variés. Conclusion générale : les trois-quarts des personnes interrogées ne se soucient guère de leur comportement alimentaire et ne le considèrent pas ou peu comme un risque potentiel pour la santé. Parmi les consommateurs qui s’en soucient, on trouve les femmes, les Italiens, les personnes en surpoids et les jeunes. Les mauvaises habitudes alimentaires étaient en général perçues comme beaucoup moins « graves » pour la santé que le poids et surtout le stress, considéré par la plupart comme le risque le plus sérieux. Christine Hoefkens analyse : « Ces résultats suggèrent que les risques directement visibles ou perceptibles sont considérés comme plus graves. Cela pourrait expliquer pourquoi le stress, qui se ressent quasi immédiatement, est le principal bouc émissaire. »

Et le Pr Wim Verbeke de pour-suivre : « Que les femmes se soucient plus de manger sainement que les hommes et sont en général plus conscientes de leur santé, des études précédentes nous l’avaient déjà appris. Les personnes obèses et les jeunes semblent également plus conscients de l’importance de leur comportement alimentaire, ce qui est encourageant. Nous ne nous expliquons en revanche pas pourquoi 1 Italien sur 5 considère l’alimentation comme très importante pour la santé. Peut-être est-ce dû au fait que certains sont conscients des bienfaits de la cuisine méditerranéenne pour la santé. »

Résultat positif Notre pays enregistre des résultats étranges : 6 % seulement des participants belges perçoivent leurs habitudes alimentaires comme un risque sérieux pour leur propre santé, le pourcentage le plus bas de tous les pays européens participants. Sommes-nous donc si peu conscientisés à l’importance d’une alimentation saine ? Pas nécessairement, affirment les chercheurs gantois, qui estiment que ce résultat traduit le fait qu’au moins une partie des Belges est sur la bonne voie. « Un bon nombre des Belges qui ont collaboré ont vraisemblablement déjà adapté leur style de vie et leurs habitudes alimentaires et découvert qu’il est possible de manger à la fois ‘sain’ et ‘bon’. Ils évaluent davantage leur santé comme ‘très bonne’par rapport à la moyenne nationale. Et surtout, ils sont plus nombreux à afficher un poids normal et sont donc moins confrontés à l’obésité que le groupe qui expérimente son comportement comme une menace sérieuse. Il est donc logique que ce groupe se préoccupe moins de ses habitudes alimentaires, comparativement à d’autres risques pour la santé tel que le stress. D’autre part, les consommateurs qui considèrent leurs habitudes alimentaires comme une menace ont toutes les raisons de le faire : nos chiffres montrent qu’ils se sentent en général en moins bonne santé et qu’ils souffrent de leur surpoids. Mais le point positif à relever est qu’ils sont conscients du risque encouru. »

Orienter les choix Prendre conscience de l’influence de notre assiette sur notre santé est un pas important, mais pas suffisant pour engendrer des changements de comportements. C’est pourquoi la Belgique – et l’Europe dans la foulée – a continuellement besoin d’actions (publiques) qui sensibilisent les citoyens en matière d’alimentation saine, concluent les chercheurs. Mais peut-être faudrait-il envisager cette sensibilisation d’une autre manière. « De simples campagnes d’information, c’est bien, mais à court terme, elles n’ont pour ainsi dire pas d’effet, conclut Wim Verbeke. Il semble beaucoup plus efficace d’intervenir directement sur le marché et d’orienter les choix des consommateurs. Prenez par exemple les cantines des fonctionnaires fédéraux, où les cuisiniers servent 70 % de légumes en plus et 20 % de viande en moins. Ce genre de mesures rend les gens beaucoup plus conscients de l’impact de bonnes habitudes alimentaires sur la santé. Celui qui mange sainement au travail aura probablement plus vite tendance à ramener cette habitude à la maison. »

Par Caroline De Ruyck / C. Maillard

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