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En Afrique, la recherche scientifique se développe moins vite que les maladies

Le Vif

Paludisme, sida, tuberculose, Ebola…les scientifiques africains, en première ligne face à ces maladies qui font des millions de victimes chaque année sur le continent ou tuent une effrayante proportion de patients, avouent encore manquer de tout.

Malgré quelques progrès prometteurs, des chercheurs dans le domaine de la santé publique et de la vaccination, réunis cette semaine à Dakar à l’occasion du « Next Einstein Forum » (NEF), plateforme africaine pour promouvoir les sciences, reconnaissent que leur succès professionnel reste l’exception.

« Si j’étais resté au Cameroun, je n’en serais jamais arrivé là. Donc, assez tôt, j’ai identifié ce que je voulais vraiment faire et j’ai dû quitter le pays », confie à l’AFP le Camerounais Wilfred Ndifon, célébré pour ses travaux de modélisation mathématique dans la conception de vaccins.

Mû par la volonté d’éradiquer les maladies qu’il a vu frapper autour de lui dans son enfance, il a préféré une carrière scientifique à la vocation médicale, estimant pouvoir ainsi changer davantage de vies.

Après avoir décroché une bourse à l’étranger et un doctorat à l’université américaine de Princeton, Wilfred Ndifon a développé un principe d’inoculation qui sert désormais à l’élaboration d’un vaccin global contre le paludisme. Mais selon lui, pour suivre sa voie aujourd’hui, de jeunes Africains seraient eux aussi obligés de partir.

« Dans le type d’enseignement que j’ai reçu, une grande partie était informelle, avec beaucoup de gens partageant la même mentalité de recherche inspirée par la curiosité », explique-t-il, considérant que reproduire ce type d’environnement intellectuel dans les universités africaines représenterait une révolution.

Avec un taux d’inscription dans l’enseignement supérieur parmi les plus faibles au monde, l’Afrique subsaharienne dispose d’un réservoir de scientifiques et de professionnels de la technologie sans commune mesure avec ses besoins, alors que secteur y bénéficie de moins d’1% du produit intérieur brut (PIB) des Etats (contre 1 à 3,5% en Europe occidentale et en Amérique du Nord).

Pour rattraper ce retard, ce qui est l’un des objectifs prioritaires du NEF, les chercheurs estiment que les pays bénéficiant d’une relative croissance, comme le Nigeria, l’Ethiopie ou le Rwanda – qui accueillera la prochaine édition en 2018 – doivent investir dans les universités.

‘Rêve de scientifique’

Seule une volonté agissante des Etats leur permettra de devenir « capables de résoudre leurs propres problèmes », affirme Mohlopheni Jackson Marakalala, maître de conférences à l’université sud-africaine du Cap, après avoir effectué quatre ans de recherche à l’Ecole de santé publique de l’université américaine de Harvard.

Contrairement à l’Afrique, même dans son pays, pourtant bien loti par rapport au reste du continent, en Occident, « vous démarrez avec un bon financement et l’équipement adéquat », relève-t-il.

Çà et là apparaissent néanmoins des signes d’espoir d’une renaissance scientifique, comme un programme d’ordinateurs portables pour les écoliers au Rwanda, souligne-t-il.

Dans la spécialité de Mohlopheni Jackson Marakalala, qui lance un vaste programme de recherche sur la tuberculose, responsable de la mort d’1,5 million de personnes par an, le terrain africain peut néanmoins offrir quelques avantages comparatifs.

« Avoir accès à du matériel clinique (des tissus contaminés par la tuberculose, NDLR), » comme c’est le cas en Afrique, peut aider à résoudre des questions très complexes », indique-t-il, « c’est un rêve pour les scientifiques aux Etats-Unis ou en Europe », même si les échantillons doivent parfois ensuite être analysés à l’étranger, comme au début de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest.

« Nous avons besoin, quand on parlera d’Ebola, qu’il y ait mille biologistes africains », a déclaré le président sénégalais Macky Sall à l’ouverture du forum, en référence à un éventuel retour du virus qui a fait depuis décembre 2013 plus de 11.000 morts dans la région.

En outre, de nombreuses pesanteurs structurelles s’ajoutent aux carences des institutions strictement liées à la recherche pour les aspirants africains au Prix Nobel.

Le coût et la durée des voyages en Afrique, où les ressortissants d’un pays sont en outre plus fréquemment astreints à l’obtention d’un visa que des étrangers au continent, représentent « un énorme obstacle à l’accès à l’information et au partage physique d’idées » en Afrique, déplore Tolu Oni, chercheuse nigériane à l’université du Cap, où elle étudie les liens entre sida et diabète.

« C’est pourquoi on se rabat souvent sur l’étranger », ajoute la jeune femme, qui a effectué une partie de sa formation à Londres, « non seulement parce c’est de là que vient le financement, mais aussi parce qu’il leur est plus facile de venir jusqu’à vous » qu’à d’autres partenaires africains.

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