Carte blanche

Des soins de santé accessibles pour tous ou une source de profits?

Depuis 10 ans le nombre de maisons médicales offrant des soins de première ligne est en constante augmentation. Le modèle est un succès et enthousiasme aussi bien les patients que les professionnels de la santé. Et ce, dans un pays où la médecine à l’acte a toujours été considérée comme une pierre angulaire de notre système de santé.

Depuis 10 ans le nombre de maisons médicales offrant des soins de première ligne est en constante augmentation. Le modèle est un succès et enthousiasme aussi bien les patients que les professionnels de la santé. Et ce, dans un pays où la médecine à l’acte a toujours été considérée comme une pierre angulaire de notre système de santé.

Il y un an la ministre libérale De Block a commencé son offensive contre les maisons médicales. Elle a arrêté tout nouvel agrément, imposé des économies et commandé un audit au bureau d’études privé KPMG.

Le 22 janvier, les résultats de l’audit ont été publiés et la ministre a levé le moratoire. Des nouvelles structures, qui attendent depuis un an, pourront enfin ouvrir. Même l’audit commandé chez KPMG n’a pas pu donner assez de munitions à la ministre pour continuer à interdire l’ouverture de nouveaux centres. Mais l’heure n’est pas encore à la victoire. La ministre ne laisse aucun doute quant à l’interprétation des résultats : elle parle de « surfinancement » (en lettres gras ) et décrit la combinaison des sources de financement comme non transparent. Elle continuera à imposer des économies dans le secteur.

Les médecins pratiquant une médecine sociale soumis à un audit, ceux aux honoraires excessifs hors d’atteinte.

Que la ministre ait choisi le bureau d’études privé KPMG pour effectuer cet audit n’est pas anodin. Le bureau, impliqué dans de la fraude fiscale, est surtout connu pour son travail de lobby plaidant pour la privatisation des soins de santé en Europe. KPMG est ainsi juge et partie. Ses études débouchent souvent sur des « réformes » – lisez privatisations- de services publics, afin de pouvoir ensuite reprendre des pans du marché « libéré« . Commander un audit à KPMG pour les soins de santé au forfait, c’est comme demander à Monsanto de faire une étude sur l’agriculture biologique.

L’audit n’a dès lors étudié uniquement des critères financiers. La qualité des soins et la satisfaction des patients n’y sont pas abordés. De manière consciente, il n’y a pas de comparaison avec le système à la prestation. Ce que la ministre confirme : « Il s’agit de l’audit d’un système, avec pour objectif de pouvoir optimaliser le fonctionnement de ce système dans l’intérêt général. »

C’est précisément cet objectif qui pose problème: la ministre fait un choix conscient en auditant uniquement les médecins travaillant au forfait. Ses économies ne visent que les maisons médicales. Un budget qui fait que 1% du budget global des honoraires médicaux.

De Block a oublié ses cours de statistiques.

Au mois de décembre, l’agence inter mutualiste ( AIM) a devancé la Ministre en sortant les résultats d’une étude qui comparait le coût et la qualité des soins en maison médicale et dans le système à l’acte. Les résultats ont confirmé les conclusions de l’étude menée en 2008 par le KCE. La médecine forfaitaire n’est pas plus chère pour l’Inami et à l’avantage de ne rien coûter au patient. En plus la qualité des soins y est meilleure que dans le système à l’acte. Si les coûts des soins y sont plus élevés pour la première ligne, ce surcoût est entièrement compensé par des moindres frais en deuxième ligne (médecine spécialisée) et en prescription de médicaments.

La Ministre a délibérément ignoré les résultats de cette étude en parlant d’une étude « réchauffée ». Lorsque le député PTB Marco Van Hees lui a soumis les résultats de l’étude de l’AIM, la Ministre s’est tordue dans tous les sens. Elle a prétendu que si les frais en deuxième ligne étaient plus bas chez les patients soigné en maisons médicale, c’était dû au fait que cette patientèle est plus jeune. Ce qui, selon elle, expliquait les moindres frais en deuxième ligne. Elle y ajoutait que l’étude comparait des pommes et des poires.

Devons-nous en conclure que le Ministre n’a jamais reçu le moindre cours en statistiques ? L’étude de l’AIM a comparé un échantillon de presque 50.000 patients du système forfaitaire avec un échantillon standardisé du même nombre soigné à l’acte. Les deux échantillons étaient composés de patients de mêmes caractéristiques d’âge, de sexe et d’indicateurs socio-économiques. L’étude a bel et bien comparé des pommes avec … des pommes.

La ministre balaie du revers de la main les résultats de l’étude AIM au profit de l’audit de KPMG (qui soulignons-le a coûté 200.000€ aux contribuables) L’étude de KPMG lui permet surtout de justifier les économies qu’elle veut continuer à imposer au secteur.

Les maisons médicales offrent souvent des services non pris en charge par l’Inami aux patients.

La ministre parle d’un « surfinancement » des maisons médicales. Pour 455€ reçus elle dit que seulement 396 € est réellement dépensé. La méthodologie de KPMG pour évaluer cette somme n’est pas claire. Ce qu’elle appelle « surfinancement » est dans la plupart des maisons médicales utilisées pour offrir des soins psy , de la diététique où l’aide d’un.e assistant.e social.e, par exemple. Des services qui sont peu accessibles. Les patients des maisons médicales se composent à 42 % de patients ayant un faible revenu par rapport à 19 % dans la population générale. C’est un choix conscient de la plupart des centres d’offrir le plus possible de soins avec les moyens limités.

La Ministre insinue aussi que les maisons médicales appliquent une certaine sélectivité dans l’inscription et la désinscription de patients. Une grande accessibilité en première ligne, peu importe l’origine (sociale), le sexe, la religion ou le besoin en soins est un principe de base dans le secteur.

L’étude de l’IMA concluait à cet égard « Le fait que la population inscrite au forfait est en moyenne plus précaire socialement et semble avoir une morbidité plus lourde sur base des données disponibles, peut amener à conclure qu’il n’y a pas de sélection de patients à faible risque de santé dans la médecine générale payée au forfait ». Au contraire, plusieurs maisons médicales constatent régulièrement un renvoi d’une patientèle précaire par certains prestataires à l’acte vers le forfait.

Le « hamac » de 400.000 €/an

Après Maggie De Block c’est le Dr Moens de l’Absym qui tire à boulets rouges sur le secteur. Il trouve dans l’audit des arguments pour discréditer les soignants travaillant au forfait.

Vu le nombre « limité » (en moyenne 673 par médecin) de patients inscrit au forfait, il qualifié les qualifie la médecine générale pratiquée dans les maisons médicales de « hamac » et accuse les médecins en maisons médicale d’être surtout préoccupés par leur propre confort.

Ces affirmations sont une claque dans le visage de tous ses soignants qui soignent des patients souvent précaires et avec des pathologies complexes dans les centres au forfait. Ce n’est pas un « hamac » mais une médecine engagée et sociale.

Dès ses débuts les médecins travaillant au forfait ont été accusés de faire la médecine « au rabais », la « concurrence déloyale » … des noms d’oiseaux que les pionniers des maisons médicales ont eu l’habitude d’entendre souvent. On se croirait catapultés dans les années 70 où 80 quand on entend le Dr Moens ces jours ci. Mais depuis beaucoup d’eau a coulée sous les ponts et le système du forfait est devenu une succès-story. Alors qu’ils étaient quelques-uns à tenter l’aventure dans les années 80, aujourd’hui beaucoup de médecins y exercent la médecine générale avec passion. Les lieux sont prisés pour leur bonne formation médicale. La combinaison vie privée – travail y est conciliable, les salaires normaux et le soin au patient est holistique. On n’est pas seul face au patient mais on travaille dans une équipe avec d’autres médecins et professionnels qui apportent leur expertise. Il y a du personnel soutenant ce qui permet au médecin de pouvoir se concentrer sur l’essentiel de sa tâche : soigner. La plupart des maisons médicales s’inscrivent en plus dans une vision progressiste des soins de santé qui veut promouvoir l’empowerment du patient. Loin des médecins aux honoraires et tarifs scandaleux (défendu par Dr Moens) les médecins en maisons médicale prouvent en plus qu’il y a une alternative à la médecine à l’acte. Qu’on peut tout à fait être motivé intrinsèquement, travailler pour un salaire normal et bien soigner des patients. Finalement que le « fric » n’est pas l’unique moteur. L’étude de l’IMA conforte les médecins des maisons médicales dans leur vision. Les soins qui sont apportés y sont de qualité (même si ils sont aussi améliorables). Si le but des maisons médicales était d’engranger du bénéfice ils inscriraient un maximum de patients, ce n’est justement pas le cas, ils inscrivent un nombre limité de patients et ceci afin de garantir la continuité et la qualité des soins.

Une première ligne forte est normalement une pierre angulaire d’un système de soins de santé moderne et où beaucoup de technologie est disponible. Elle permet une meilleure utilisation de la technologie et une prévention quaternaire. L’étude de l’IMA le prouve par les moindres frais en deuxième ligne pour les patients au forfait. Mais pour atteindre cela nous devons investir dans la médecine de première ligne. Pour cela nous devons aussi mettre en cause le système à la prestation défendu bec et ongles par Dr Moens. Et que ce shift de moyens ne plaise pas à Dr Moens, personne ne s’en étonne, mais que la Ministre de la santé publique ignore les résultats d’une étude pour en promouvoir les résultats d’une autre en dit grand sur ses intentions.

Alors que rien n’est entrepris contre les médecins qui se trouvent annuellement dans un « hamac » de 400.000 € /mois le doute est jeté et le frein sur le développement d’un système qui voit la santé autrement. Le développement de la médecine au forfait est une épine dans le pied de ceux qui veulent promouvoir le modèle néolibérale de la santé.

La santé est un droit, aussi quand le portefeuille est vide.

Les maisons médicales sont un système efficace et qualitatif, elles offrent des soins gratuits quotidiennement à 360.000 patients dans notre pays. Elles assurent pour cette population le droit à la santé. Une étude Européenne a récemment démontré que sur une année plus de 900.000 patients ont postposé une visite à leur médecin pour des raisons financières. Patients, soignants, personnes de la société civile et autres devront continuer à faire entendre leur voix et à lutter pour le droit à la santé et une première ligne accessible à tou.te.s.

Sofie Merckx

Médecin généraliste – Porte Parole PTB-santé et Médecine pour le peuple

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