© Jean-Bernard Boulinois

Des molécules « miracle » pour tonifier le cerveau ?

Le Vif

L’utilisation des « drogues » est le reflet de la société, note d’emblée le Dr. Jean-Marie Maloteaux, neuropsychiatre et professeur de pharmacologie à l’UCL.

Les années 1960 et 1970 étaient synonymes d’une euphorie cool et relax. Le haschich et la marijuana plongeaient les esprits dans une agréable somnolence et béatitude. On recherchait le bien-être dans le sédatif et la passivité. Aujourd’hui, on est à fond dans l’action, « dans la bagarre », et on consomme des « stimulants intellectuels », produits dits naturels ou molécules diverses censés booster les facultés cognitives, la vigilance, la concentration, l’apprentissage et la mémoire ». Que penser de ces substances ? Sont-elles vraiment efficaces et bénéfiques pour le cerveau ? Sont-elles dépourvues d’effets secondaires ou indésirables ? Que dit la science ? Pour commencer, il faut les diviser en deux catégories : les substances légales (apparentées aux aliments, comme la caféine ou compléments alimentaires), faciles d’accès, et les substances prescrites (médicaments) ayant bénéficié d’enregistrement européen (EMA) ou américain (FDA).

Toutes les études convergent pour démontrer l’effet stimulant de la caféine. Une tasse de café contenant 50 mg de caféine (ou une tasse d’espresso très serré, qui en recèle 70) est un bon stimulant léger. Il active les circuits neuronaux impliqués dans la vigilance, l’attention et la vitesse de réflexes pour des tâches cognitives assez simples. La caféine agit aussi sur le coeur et augmente la tension artérielle. Une dose trop élevée, en revanche, devient anormalement stimulante et les effets seraient négatifs en cas d’effort intellectuel intense. Inutile donc de consommer des litres de café pour accomplir un travail complexe. Les oméga 3 sont les stars de nos assiettes et… un excellent argument marketing. Pendant une dizaine d’années, on leur a prêté toutes les vertus. Ils seraient notamment efficaces pour lutter contre la maladie d’Alzheimer ou pour prévenir l’infarctus du myocarde. Aujourd’hui, les scientifiques ont revu leur enthousiasme à la baisse. Une vaste étude, menée par des chercheurs américains et publiée, en septembre 2012, par le célèbre JAMA (Journal of the American Medical Association, LA référence dans le monde médical), n’a démontré aucune prévention cardiovasculaire.

Taurine, amphétamines, modafinil : prudence ! Cela dit, selon l’Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments), les oméga 3 – tout comme les autres acides gras essentiels – sont utiles pour l’organisme car « ils jouent un rôle important dans la croissance et le développement du cerveau ». A l’heure actuelle, c’est tout ce qui est démontré. Le guarana est un petit arbuste originaire d’Amazonie dont les graines contiennent des minéraux et une grande quantité de caféine. Les effets stimulants se font ressentir à partir de 60 mg et sont pareils à ceux du café. Quant au ginkgo biloba, il est auréolé de pouvoirs « miraculeux ». Il serait souverain pour stimuler les performances de la mémoire, de l’attention, du langage et des aptitudes visuelles. Hélas, aucune étude sérieuse n’a permis d’en connaître ses effets véritables. Prescrit en Belgique pour le traitement de la maladie d’Alzheimer, le remboursement du ginkgo biloba a été supprimé en 2011, ses effets étant trop modestes pour être significatifs.

Présente dans les boissons énergisantes, la taurine s’est taillée une belle réputation. « Cet acide aminé est très intéressant, nous en fabriquons nous-mêmes, décrypte Isy Pelc (1), psychiatre et professeur émérite de psychologie médicale à l’Université Libre de Bruxelles. On a découvert que la taurine intervient dans certains mécanismes de régulation des équilibres stimulation-sédation. Je m’explique. Chaque journée nous apporte son lot de bonnes et de mauvaises nouvelles, de tâches agréables et moins agréables. Pour que notre humeur reste relativement stable face à la variété des événements, la plupart des mécanismes cérébraux doivent être équilibrés. La taurine est un élément très important qui intervient dans la régulation de cet équilibre. » Cela dit, les boissons énergisantes (dont la consommation auprès des jeunes est en augmentation constante) contiennent aussi 80 g de caféine par canette (320 mg par litre). Or, la caféine augmente le rythme cardiaque. Consommée en trop grande quantité et mélangée à des alcools forts, elle peut entraîner de graves troubles : anxiété, nervosité, comportements à risques, insomnies, voire intoxications graves. En Belgique, ces cas sont scrutés attentivement par le SPF Santé. Par ailleurs, une recommandation du Conseil supérieur de la santé propose d’abaisser le taux de caféine à 150 mg/litre. Recommandation qui est actuellement « en attente ».

Les amphétamines ont été testées pendant la Seconde guerre mondiale sur des soldats allemands puis sur des aviateurs américains et canadiens, souvent à leur insu. Certes, elles stimulent les récepteurs de la dopamine (molécule du plaisir qui accroît aussi la vigilance et l’attention) mais elles entraînent aussi la dépendance. Plébiscitées par les jeunes et par les étudiants, ces substances ont été passées au peigne fin par des chercheurs américains. La conclusion ? Les amphétamines améliorent les performances chez des sujets dotés d’une faible mémoire et d’une vigilance médiocre. Chez les autres, les performances diminuent. De surcroît, la réponse aux amphétamines serait en relation avec le bagage génétique. Certaines personnes sont en effet porteuses d’une forme particulière d’un gène qui détruit la dopamine. En augmentant le taux de dopamine par les amphétamines, on accroît leurs performances cérébrales mais on les dégrade chez les autres ! A éviter, donc, d’autant qu’en plus de la dépendance, les amphétamines provoquent anxiété et insomnies.

Le modafinil est utilisé dans le traitement de la narcolepsie (somnolence excessive) qui touche, en Belgique, une personne sur cent mille. Détourné par des traders, il séduit des étudiants et des cadres sous pression. La molécule a été développée par le célèbre neurobiologiste français Michel Jouvet (« inventeur » du sommeil paradoxal) et testée durant la guerre de Koweït. Les effets stimulants du modafinil sont réels. Il maintient la vigilance, l’attention, la mémoire de travail et les performances cognitives pendant plus de cinquante heures. Un effet à court terme, donc. A long terme, il « diminue la capacité à corriger ses erreurs lors d’une remémoration, accroît l’agressivité et l’anxiété et augmenterait le risque suicidaire ».

Une nature bien faite

« Dans la stimulation, il y a une dimension culturelle que tout le monde apprécie, explique Isy Pelc. Notre cerveau est une grosse machine, très complexe. Un mécanisme cérébral naturel déclenche et gère la satisfaction des sens que l’on appelle « système de récompense » ou de plaisir. C’est ce mécanisme qui procure stimulation et sensation de bien-être en produisant de la sérotonine, de la dopamine et de l’endorphine à destination des neurorécepteurs cérébraux. Nous sommes donc nos propres dealers de drogues. La sérotonine règle l’humeur. La dopamine stimule, on se sent plus dynamique. Les endorphines ressemblent très fort à de la morphine, qui procure une sensation de bien-être. Les joggeurs deviennent accros car ils produisent plus d’endorphines et donc plus de bien-être. Le danger réside dans le fait que plus on prend de substances exogènes, plus on met en repos sa propre production de substances endogènes. Laissons faire la nature ! ». La stimulation cérébrale est aussi liée à l’éducation. Si l’on n’a pas appris dans l’enfance à être bien, si l’on n’a pas formaté dans son cerveau les circuits nerveux qui sont responsables de l’ensemble de nos fonctions intervenant dans le bien-être, on peut prendre toutes les substances que l’on veut, elles ne vont pas augmenter notre motivation. Or, la captation des données dépend de la motivation. En effectuant des tâches qui nous plaisent et qui nous intéressent, nos motivations et, forcément, nos performances cognitives augmentent.

« Dans le dopage du cerveau, l’effet placebo (« cela me plaît ») n’est pas négligeable, poursuit Isy Pelc. Dans le cerveau, il y a des zones sensibles à l’autosuggestion. Toutes les croyances déclenchent réellement dans le cerveau des réactions neurobiologiques positives : « On m’a convaincu que cela me ferait du bien, par conséquent, je vais sécréter plus d’endorphines ». L’effet n’est pas uniquement psychologique. Ce qui est une bonne nouvelle. Alors, avaler certaines substances non toxiques, pourquoi pas ? Certaines personnes disent qu’elles se sentent mieux et que leur vigilance et leur attention s’améliorent… Cela dit, attention à la dépendance ! Si on stimule en permanence le système de récompense par une consommation élevée de molécules extérieures, le fonctionnement cérébral se trouble et le système de récompense ne revient plus à son niveau de base. Il attend en permanence d’être sur-stimulé et la dépendance s’installe. Privée de substances stimulantes, la personne est en manque. Ce manque se traduit par des manifestations d’anxiété, de dépression, d’irritabilité, parfois de violence et de confusion mentale et peut s’accompagner de dérèglements physiques divers. Trop de plaisir tue le plaisir. On est fait pour avoir du plaisir, ni trop ni trop peu, pas tout le temps mais de temps en temps ».

(1) Auteur de L’Ami Psy : écouter, comprendre, soigner la souffrance, Ed. Psymedic, Bruxelles.

Par Barbara Witkowska

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