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Collègues ou patron toxiques, un calvaire qui coûte cher

Passionnés et axés sur les résultats mais affligés d’un quotient émotionnel proche de zéro, certains employés donnent l’impression d’être une mine d’or pour l’entreprise… parce que personne ne remarque les gouffres financiers et les problèmes qu’ils génèrent pour leurs collègues et pour les clients.

Bien rares sont ceux qui n’ont jamais été confrontés au cours de leur carrière à des collègues ou patrons insupportables et imbus de leur personne, dont les comportements blessants voire franchement agressifs et la propension à n’en faire qu’à leur tête transformaient l’entreprise en véritable champ de bataille. Au-delà de ces comportements dits  » toxiques », Michael Housman et Dylan Minor, de la prestigieuse université américaine d’Harvard, fustigent également les entreprises qui ferment les yeux sur les agissements révoltants de certains de leurs collaborateurs et refusent d’en reconnaître les lourdes conséquences (1).

Les entreprises sont sans cesse en quête de travailleurs hors pair, plus productifs que la moyenne et donc (espèrent-elles) extrêmement rentables. Lorsqu’elles dénichent l’une de ces perles rares, elles ont tendance à ignorer certains signaux négatifs dans son comportement, convaincues que les avantages pèsent plus lourd que les inconvénients… mais bien à tort, affirment les deux experts. D’après leurs calculs, un travailleur toxique coûte en effet souvent à l’entreprise plusieurs fois ce qu’il lui rapporte.

Un recrutement plus sélectif

Au vu de l’impact considérable que des traits de personnalité négatifs peuvent avoir sur les résultats, Housman et Minor sont convaincus que les entreprises devraient absolument être plus attentives à ces caractéristiques à risque dès la procédure de recrutement. L’attention se focalise encore trop sur le chiffre d’affaires, les prestations et la carrière des candidats et trop peu sur la personnalité qui devra s’intégrer au nouvel environnement de travail. Un excès de confiance en soi constitue par exemple un trait de personnalité à risque, en ce sens qu’un individu plein d’assurance se sentira souvent supérieur aux autres et risquera donc davantage de n’en faire qu’à sa tête sans tenir compte de l’avis des autres ou des règles et conventions en vigueur dans l’entreprise. Assez curieusement, les deux experts mettent également en garde contre les candidats qui insistent trop sur l’importance du respect des règles et des accords. D’après eux, c’est en effet une stratégie qu’adoptent les fortes têtes parce qu’elle leur assure une certaine sécurité d’emploi. Ces individus feront et diront ce qu’il faut pour conserver leur poste, mais essaieront ensuite d’imposer leur volonté au mépris des règles et des accords passés. Les candidats qui déclarent tenir compte des circonstances plutôt que de se tenir scrupuleusement aux principes sont généralement plus ouverts aux nuances et à l’avis des autres, ce qui se traduirait par une tendance à collaborer de manière plus ouverte.

Un troisième facteur susceptible de trahir une personnalité à risque est, toujours d’après Housman et Minor, une propension à livrer systématiquement un travail rapide, mais qui s’avère finalement de piètre qualité. Mieux vaut donc, estiment les chercheurs, investir dans des collaborateurs plus posés qui livreront un travail de qualité.

La notion de
La notion de « travailleur toxique » reste encore méconnue en Belgique© iStockphoto

La durabilité rapporte

Professeur en psychologie des organisations à la KU Leuven, Jeroen Stouten est bien au fait des travaux d’Housman et Minor, mais il n’a pas connaissance de recherches évaluant l’impact financier des comportements toxiques sur les entreprises belges. La notion de « travailleur toxique  » reste d’ailleurs méconnue dans notre pays – lui-même ne l’a rencontrée que dans le secteur des soins – et les études à ce sujet sont à peu près inexistantes. Les spécialistes parlent plus volontiers de comportements déviants ou contreproductifs, deux termes qui recouvrent tout un éventail de faits allant des vols ou actes de sabotage aux critiques virulentes vis-à-vis des autres travailleurs en passant par les démonstrations d’agressivité, l’humiliation des collègues, etc. Ils rejoignent en partie la notion de comportement toxique.

Quant aux recommandations d’Housman et Minor pour éviter les embauches de collaborateurs aux comportements toxiques, Jeroen Stouten souligne qu’elles sont utiles mais insuffisantes. « Ce ne sera efficace que si l’environnement professionnel est adéquat. Confronté à un cadre dur et compétitif, le plus aimable et coopératif des travailleurs va rapidement s’adapter ou claquer la porte. Le grand problème des comportements contreproductifs, c’est qu’ils sont aussi extrêmement contagieux, ce qui peut évidemment avoir des répercussions très négatives pour l’entreprise. Imaginez par exemple une équipe de vente dont les membres refusent de se renvoyer des clients à cause de conflits interpersonnels, avec à la clé des contrats manqués… »

Parce qu’elles ne voient que les chiffres ou les contrats décrochés, les entreprises perdent souvent de vue des facteurs tels que la durabilité, l’intégrité et la collaboration. D’après le Pr Stouten, ceux-ci contribuent pourtant bien plus à leur efficience et à leur succès qu’elles ne le pensent. Ils ont évidemment le désavantage d’être moins mesurables, mais les entreprises n’en ont pas moins tout à gagner à créer une ambiance agréable qui donnera envie à leurs employés de venir travailler (voire de donner un coup de collier si nécessaire) et stimulera leur loyauté, y compris vis-à-vis des clients.

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La confiance, cela s’entretient

Pour limiter les comportements toxiques au sein de l’entreprise, il faut aussi pouvoir en parler… et c’est parfois là que le bât blesse. « Dans nos entreprises, 70 à 85 % des employés n’osent pas aborder ouvertement les problèmes ou faire part de leurs remarques à la direction. Ce ‘silence organisationnel’ est un problème aussi tenace que complexe. Les firmes qui veulent réellement rester au courant de ce qui se passe sur le terrain (communication bottom-up au départ de la base) et en tenir compte devront insister en permanence sur le fait que tout le monde a le droit de faire des remarques sans se mettre en danger et que celles-ci sont grandement appréciées. Cela suppose néanmoins que la direction joigne les actes à la parole et veille à ne jamais compromettre cette relation de confiance : dès qu’une remarque est sanctionnée, c’est tout le système qui s’effondre – et immédiatement. La confiance est essentielle, mais aussi très fragile. »

Entretenir un climat positif de collaboration et de confiance exige donc des efforts importants et persistants de la part des chefs d’entreprise, mais suppose également une très bonne compréhension de leurs propres actes. Prôner le respect des autres et de leur avis tout en insultant ses subordonnés mine évidemment complètement le message…

Signaux d’alarme

– Les employés ne s’expriment plus ouvertement lors des réunions. Chacun garde son avis pour lui. Les critiques se font rares. Le silence, la nervosité et la méfiance dominent.

– Les canaux de communication sont monopolisés. Une seule vérité compte : celle de la direction.

– Tout le monde s’entend dire qu’il n’est pas irremplaçable.

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