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Ces chiffres qui régissent nos vies

Le Vif

A l’ère de la life2.0, l’amitié se chiffre en nombre de  » like « , la ligne, en nombre de points WeightWatchers et l’activité sportive, en nombre de centimètres parcourus. Analyse d’un phénomène.

Un bracelet au poing, vous allez connaître la médiocrité de votre sommeil entre 3h15 et 4h17, les calories consommées en scannant le code-barres de vos aliments, celles dépensées grâce à votre activité sportive. Vous pourrez également suivre vos humeurs et lier les paramètres qui vous rendent de mauvaise humeur. Option vacances, votre bracelet vous signalera les prévisions météo et les conseils d’exposition au soleil selon votre sensibilité de peau.

Selon la société de consultance NPD DisplaySearch, le marché des objets connectés et portables pourrait atteindre 48 millions d’unités vendues en 2014 et 91 millions en 2015. Autre indicateur : estimé à 407 millions de dollars en 2012, le chiffre d’affaires du seul marché des capteurs atteindrait 5,6 milliards de dollars d’ici 2017 selon l’étude du cabinet allemand Research2Guidance. Toute la population est visée. Une société américaine va commercialiser un bracelet connecté dédié aux enfants de 4 à 7 ans. L’objectif ? Favoriser l’activité sportive et lutter contre l’obésité.

Anne-Sylvie Pharabod, chercheuse à Orange Labs, la division recherche et développement du français Orange, a réalisé une étude qualitative auprès de 40 personnes qui, à un moment donné, se sont quantifiées. Elles n’utilisaient pas forcément un bracelet ou un logiciel complexe, de simples notes sur une feuille pouvaient suffire pour rentrer dans le sujet de l’étude. De ces observations, trois logiques se sont dégagées : de surveillance, de routinisation et de performance.

« Ceux qui se surveillent ont souvent comme horizon leur état de santé. Ils vivent le chiffre comme une épée de Damoclès. Des personnes contrôlent leurs kilos en assimilant une image négative à un certains poids, peu importe si leur IMC est compatible avec les normes de santé. Les surveillants sont en constante vérification. Leur pratique du chiffre est anxiogène avec une notion de seuil très importante. Il y a ensuite ceux qui pratiquent des mesures classiques de performance. C’est le cas pour le sport mais aussi pour le poids, avec un mouvement pro-anorexie où des régimes draconiens visent à perdre des kilos en un certain temps. Ici, la quantification ne suscite pas du tout de l’anxiété. On adore le chiffre, la mesure fait partie de la pratique, le chiffre est partagé, discuté, manipulé. Enfin, un troisième type de mesure, le plus original, est capté par les routiniers. Ils veulent rompre avec une mauvaise habitude, adopter une nouvelle routine ou rester régulier sur une bonne pratique. Le chiffre n’est pas important, il ne vise pas à mesurer une performance mais à maintenir une motivation. »

Tant les chercheurs que les usagers du nombre relativisent la pertinence des chiffres. Absence de normes pour comparer, source de réflexion et d’analyse limitée, observation orientée pour compter notre plus beau « moi »… Dès lors, à quoi bon cette comptabilité de nos bouts de vie ? « Parce que cela donne une orientation à la quête, un récit individuel qui commence à être raconté, explique Candide Kemmler, organisateur des rencontres « Quantified Self » (la mesure de soi), à Bruxelles. Les QS avancent par processus d’abduction en générant théorie et comparaison. C’est aussi un processus de storytelling. Ce qui est important pour nous, c’est que les utilisateurs peuvent se raconter des histoires qui les font avancer. Compter est un prétexte pour toucher à quelque chose d’indicible. »

Par Olivier Bailly

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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