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« Cannabis light », chanvre, CBD ; mais de quoi parle-t-on exactement ?

Rosanne Mathot
Rosanne Mathot Journaliste

Alors que la vague du  » cannabis light  » déferle sur l’Europe, mise au point, du Canada à la France, en passant par les USA : le CBD n’est pas dangereux, il n’est pas une drogue, mais il ne semble efficace, contre l’anxiété, qu’en injection dans le cerveau.

Pour ce qui est douleurs chroniques, l’épilepsie ou Alzeimer, il ne marcherait que s’il est couplé au THC, sa molécule jumelle qui « fait planer » et qui fait peur, car il s’agit d’une « drogue ». Explications du Dr Stéphanie Caillé-Garnier est neurobiologiste, spécialisée en addictions.

Il est en vente libre, en France, et se vend bien, depuis fin 2017, le fameux « cannabis light », qui contient moins de 0,2 % de TCH (la molécule qui rend « high »). Et il est légal. Rapportez-vous à l’article R 5181 du code la Santé publique français, cité dans l’arrêté d’août 1990. Avant la grande vague « CBD », tout semblait facile : il semblait y avoir le cannabis d’un côté (Cannabis Sativa L.) et le chanvre, de l’autre. Sauf que… c’est de la même plante, dont il s’agit.

Il faut imaginer le chanvre et le cannabis comme étant des frères jumeaux qui se seraient développés différemment en raison de leur environnement : à la base, la plante est la même, mais ses vertus ont différé avec le temps, en raison des sélections, notamment. Les deux contiennent les mêmes molécules, mais à des degrés divers. Ainsi, depuis 3000 ans, le chanvre n’a jamais servi à planer, mais a toujours été utilisé pour fabriquer des fibres, des tissus, des souliers, des cordes, des farines alimentaires.

Le CBD ? On peut en acheter partout.

Contrairement à la plante dopée en CBD, le cannabis « standard » est sélectionné pour sa quantité de résine qui contient plus de THC (un principe psychotrope) que de CBD (deux des quatre cannabinoïdes présents dans cette plante, parmi lesquels il faut compter aussi le CBG et le CBN (dont personne ne parle jamais).

Le produit dont tout le monde parle aujourd’hui, le « cannabis light » est un abus de langage, certes, mais n’empêche qu’il facilite drôlement l’information à son sujet. On peut donc en acheter partout en France (mais aussi Suisse, Belgique ou ailleurs, grâce à l’Internet). Signe distinctif : il contient moins de 0,2 % de THC et ne fait donc pas planer et ne crée pas d’état euphorique : il ne vous rendra pas passionné par la beauté lancinante d’un robinet qui coule, extatique devant une paire de charentaises que vous jureriez d’avoir entendu chanter, ou orgasmique en mangeant de la pâte à tartiner au chocolat.

Des boutiques frileuses

Le « cannabis ligt » ou « CBD » (du nom de la molécule « star » qu’il contient) est en vente, notamment, à Montpellier, dans une mini-boutique très proprette, assez haut de gamme, pas loin du centre-ville. Ambiance SPA sur les bords. Et pour cause, tout ici, du shampooing aux huiles de massage, aux gels douche et aux petits gâteaux pour accompagner le thé, est à base de chanvre.

Accueil glacial, dans ladite boutique, et la clim seule n’est pas en cause. Une fois que les vendeurs comprennent qu’ils n’ont pas affaire à une cliente, mais à une journaliste, ils se refusent à donner leur nom, ne répondent à aucune question et se bornent à donner l’adresse mail de leur patron (qui est impossible à joindre, malgré l’envoi répété de plusieurs courriels. Dommage). Ce n’est donc pas ici qu’on en saura plus. « Les journalistes ont fait des articles affreux sur nous, nous dépeignant comme des dealers « , nous souffle-t-on, avec rancoeur. Et puis, à leur décharge, en France, vanter les vertus de ce produit est … illégal. On comprend mieux leur frilosité. Leurs avocats les ont bien briefés.

Est-ce dangereux ?

Fort bien : les vendeurs de CBD ne sont pas forcément en odeur de sainteté, auprès d’une certaine presse. Mais, nous, ce qu’on aimerait quand même bien savoir, c’est si ce qu’ils vendent est utile. Et puis, à quoi et à qui ça sert, exactement ? Est-ce que ça marche vraiment, pour soulager les douleurs ? Et quelles douleurs, d’ailleurs ? Quid des insomnies ? Du stress ? Et puis, est-ce une drogue ? Est-ce dangereux ? Comment ça se consomme ? Ah, tiens, sur cette dernière question, on obtient tout de même une réponse : « Vous faites infuser les fleurs pendant un quart d’heure, avec un agent gras, type huile de coco. Vous consommez comme une infusion et vous pouvez le refaire jusqu’à trois fois, avec la même matière déjà infusée« . Merci, Madame, nous infuserons.

Xanax ou cannabis ? Direction le CNRS.

En sortant de la boutique, discussion avec un consommateur de cannabis « standard », depuis des années. Fabien (prénom changé), 39 ans, est manager pour une grande enseigne de vêtements et fume de la « weed » depuis vingt ans. Acheter du CBD, pour lui ? Une aberration ! « Le CBD ? Ça peut marcher sur des gens qui ne prennent pas d’anxiolytiques (lexomil, xanax etc), qui ne boivent jamais d’alcool, et surtout qui ne fument pas de Sativa « .

Pas inintéressant, mais question « pertinence scientifique », on repassera. Direction donc, vers le CNRS, à Bordeaux, où Stéphanie Caillé-Garnier est neurobiologiste, spécialisée en addictions. Mais d’abord, une petite mise au point : THC et CBD sont des molécules qui ont la même formule brute : C21H30O2 .

Le CBD n’est pas une drogue

Dans le cerveau, il y a des espèces d’antennes, des récepteurs, sensibles à certaines molécules. Dans le cas qui nous intéresse, on parle des CB1 et des CB2. Et la scientifique d’expliquer que « le THC va cibler les récepteurs CB1, ce qui lui confère de nombreuses actions au niveau central. Il agit par exemple sur les structures du « circuit de la récompense » (qui induit le plaisir, NDLR), ce qui participe à ses effets addictifs. Il agit également sur les structures comme l’hypothalamus qui régule l’appétit (d’où les fringales, quand on fume du cannabis, NDLR), et sur l’hippocampe qui participe à la mémorisation, etc. ».

Et le CBD, alors, il n’est pas réceptionné par cette « antenne » CB1 ? Il ne serait donc pas addictif ? En clair, il ne s’agirait pas d’une drogue ? « Non, le CBD ne semble pas passer par les récepteurs CB1 « , explique encore Stéphanie Caillé-Garnier. A priori, exit le plaisir et l’euphorie. Le CBD n’est donc pas une drogue.

Autre point positif : le CBD pourrait carrément faire barrage contre d’autres addictions, tout en modulant l’anxiété : « Le CBD n’a pas d’effets psychotropes euphorisants, c’est sûr. Par ailleurs, des études suggèrent qu’il pourrait bloquer les effets addictifs de certaines drogues d’abus. Il pourrait également moduler les niveaux d’anxiété, quand injecté dans des structures comme l’amygdale, le noyau du lit de la strie terminale, etc. Le CBD semble aussi réduire certaines réponses au stress ».

Stop la fumette, place aux injections dans le cerveau

Ce serait donc le mode de consommation qui serait important : pas en fumette, pas en infusion, mais … en injection directe dans une zone du cerveau. Mais, les études sont loin d’être terminées. Ainsi, l’OMS (l’Organisation mondiale de la santé), qui a organisé, en novembre 2017, une réunion d’experts en pharmacodépendance, reste prudente et se refuse encore à recommander le CBD pour l’usage médical. Reste que le cannabidiol pourrait posséder « une certaine valeur thérapeutique pour les crises épileptiques et maladies assimilées », selon l’étude publiée en mai dernier, dans le prestigieux New England Journal of Medicine. D’autres études sérieuses ont également identifié des « preuves préliminaires » de propriétés anti-inflammatoires et anti-dépresseur du CBD, ainsi que son efficacité dans le soulagement de certains cancers et de la maladie d’Alzheimer. Le potentiel semble donc énorme.

Le CBD en solo est décrié, dans l’ombre de Big Pharma.

L’Américaine Rebecca Hamilton-Brown, fondatrice du « Pediatric Cannabis Therapy, » un groupe de soutien pour les parents d’enfants épileptiques, traite son fils avec du cannabis depuis deux ans et s’insurge vivement contre l’usage du CBD seul : « C’est l’ignorance qui pousse les gens à croire que le CBD seul est la voie à suivre. (…) Soit ils n’ont jamais administré un produit au cannabis à leurs enfants ou ils ne savent pas comment fonctionne la machine politique. » Même son de cloche au Canada, ou le Dr . Vincent Piguet avance que : « Il semble que l’association du delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) et du cannabidiol (CBD) contenus dans le cannabis soit plus efficace contre les douleurs qu’une prise de THC seul ou de CBD seul « . Avis partagé, en France, par le Dr Patrick Aboukrat, rhumatologue spécialisé dans les douleurs chroniques musculo-squelettiques non liées au cancer : « Il y a des solutions, pour soulager les patients. Le Sativex, par exemple (un spray destiné à soulager des malades atteints de sclérose en plaques, NDLR) a obtenu une autorisation de mise sur le marché …. en janvier 2014 … 2014 ! Mais, aujourd’hui, en 2018, il n’est toujours pas commercialisé ! Pourquoi ? Un désaccord… sur son prix de vente. C’est fou, non ? Ce médicament pourrait également énormément soulager les patients souffrant de spondylarthrite ankylosante ou d’autres maladies musculo-squelettetiques handicapantes« . L’ombre de Big Pharma (l’industrie pharmaceutique) rôderait-elle dans les bilans financiers ?

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