L'asbl est mise sur la sellette par la fondation Winds of Hope, qui dénonce "des agissements douteux". © Jean Matterne

Stop Noma, la récolte sans fond(s)

Le Vif

Début avril dernier, Stop Noma For Children lançait une vaste opération de communication à Bruxelles. Affiches dans le métro, encarts dans les médias. La France va suivre, selon l’asbl. Objectif : récolter des fonds. Problème : en huit ans, cette structure n’a rien réalisé.

Un visage poupin à la joue dévastée. Stop Noma, association humanitaire créée par Jean-Baptiste Dieumo en 2008, affiche, sur deux mètres carrés, les stigmates des enfants atteints du noma. Cette maladie bactérienne se traduit par des abcès spectaculaires à hauteur de la muqueuse de la joue, détruisant les tissus touchés. Eradiquée en Europe au début du xxe siècle, elle reste présente entre autres en Afrique. En collaboration avec le ministère de la Santé publique camerounais, Stop Noma projette la création, en 2018, d’un hôpital qui aura pour mission principale de soigner les enfants défigurés par cette maladie. Budget recherché sur une période de… trente-deux ans (2018-2050) : 320 millions d’euros. Dans l’immédiat, 2,3 millions de donations privées seraient nécessaires. Pour y parvenir : des soutiens prestigieux (les anciens footballeurs camerounais Samuel Eto’o et Roger Milla), le recrutement de jobistes (entre autres par Le Forem et Actiris), des appels aux dons en France et en Belgique via affichages et inserts publicitaires.

D’origine camerounaise, Jean-Baptiste Dieumo, 42 ans, marié, a fondé en Belgique, en 2004, l’asbl l’Ordre des amis de Vincent Van Gogh (liquidée en 2007), puis l’asbl SOS Soins pour l’humanité (en 2005, toujours en activité), puis Stop Noma et, en 2014, la sprl Bravo Star, société de gestion d’événements (notamment), en faillite depuis septembre 2016. Chaque fois, il est président. Chaque fois, son épouse est administratrice. Chaque fois, le flou y règne. En matière de gestion comme d’objet social. Dans le cas de Stop Noma, il est ainsi impossible de consulter les comptes annuels. Dieumo ne les a jamais déposés.  » C’est juste qu’il faut payer 600 euros. Ce n’est pas ma priorité pour l’instant, nous répond le président de Stop Noma. Je n’ai pas de subsides, je n’ai pas de financements, je ne vais pas sortir 600 euros de ma poche pour aller à la Banque nationale. Si les choses avancent et que je reçois un subside ou que les dons commencent à tomber, ça ne pose pas de problèmes.  »

Et il ne semble pas avoir davantage de rigueur pour organiser des événements. Pourtant, l’asbl est coutumière d’annonces fracassantes pour des événements de très grande envergure : le stade Roi Baudouin, la gare centrale de Bruxelles, le cabaret le Lido à Paris… Mais chaque fois, les événements sont annulés. Pour le lancement officiel de la campagne Stop Noma, en 2014, des festivités étaient prévues pendant deux jours au stade Roi Baudouin, où 50 000 personnes étaient attendues, à 10 euros l’entrée. Samuel Eto’o devait être présent, comme parrain. Jean-Baptiste Dieumo l’affirme :  » Il était à Chelsea, il s’est blessé et ça a été annulé.  » Le même jour, Eto’o jouait, pourtant, en championnat d’Angleterre, plantant même un but à Sunderland.

Le 2 octobre 2016, à Paris, le grand gala de lancement Stop Noma est (à nouveau) annoncé. Puis (à nouveau) annulé :  » Il fallait 30 000 euros pour mettre sur pied la stratégie afin de remplir le Lido, explique Dieumo. Mais on ne les avait pas. On a laissé tomber.  » Un incroyable amateurisme ? Une arnaque permanente ? En 2008, dans les rues de Bruxelles, Dieumo se déguisait en Van Gogh, faisait payer les photos et donnait une carte postale avec la mention :  » SOS Soins pour l’humanité : toute somme est la bienvenue dans cette urne pour soutenir l’opération Plus de vie 2008 (aide aux centres d’accueil pour les enfants devenus orphelins à cause du sida) Cameroun – Afrique « . L’argent récolté n’est jamais arrivé au Cameroun.

A Yaoundé, Jean-Baptiste Dieumo a pourtant bien engagé des démarches pour son projet de construction de l’hôpital Stop Noma. En juillet 2016, son asbl s’associe avec la fondation Coeur d’Afrique de l’ancien footballeur Roger Milla. Le deal est clair : Coeur d’Afrique met à disposition son carnet d’adresses, son personnel et ses locaux. Stop Noma apporte l’argent du projet. Dieumo obtient des auditions auprès du ministère camerounais de la Santé publique, d’un cabinet d’architectes (GAA), du ministère des Relations extérieures…  » Il nous harcelait !, déclare un responsable de Coeur d’Afrique. Il venait devant la fondation tous les matins. On a fini par lui interdire l’accès à nos locaux alors qu’on lui avait donné un bureau à l’intérieur. Quand il a quitté le Cameroun, on était lessivés.  » Depuis l’hiver, tous les contacts sont au point mort.

Déposer les comptes ? Pas une priorité

Le 25 octobre 2016, Philippe Rathle, directeur de la fondation Winds of Hope (qui préside la fédération internationale NoNoma), écrit à Stop Noma :  » Aucun membre de la fédération n’a pu témoigner du travail de votre association sur le terrain. Ainsi, vos collectes de fonds pour la cause du noma, qui ne sont in fine jamais affectées à cette dernière, portent gravement préjudice et discréditent l’ensemble du travail des acteurs réellement engagés dans cette lutte.  » Accessoirement, la fondation demande à Dieumo d’arrêter de lui voler textes et images sur leur site. L’Association pour une éthique dans les récoltes de fonds nous déclare être au courant des agissements douteux de Stop Noma et insiste sur le fait que l’asbl n’adhère pas à la charte d’éthique de récolte de fonds.

L’asbl Give Wisely va plus loin. Membre de la plate-forme Fundraisers forum, elle encourage la formation des acteurs dans la collecte de fonds et la transparence des comptes. Elle a rencontré Jean-Baptiste Dieumo à sa demande, fin août 2016. Verdict :  » Contrairement à l’objet social publié au Moniteur belge, cette asbl n’a apparemment, depuis sa création, jamais financé de projets médicaux au bénéfice de personnes souffrant du noma  » et  » dispose à l’évidence de moyens d’action extrêmement faibles en fundraising. Or, les supports d’information mis à disposition (des) donateurs – ainsi que (des) sponsors et (des) contacts institutionnels au Cameroun – créent l’illusion que cette asbl jouera un rôle décisif dans l’apport de dons privés destinés au financement d’un important projet hospitalier.  » La disproportion entre les moyens demandés et ceux récoltés interpellent. Give Wisely suggérait alors  » sans hésitation  » à Stop Noma de  » suspendre le projet de collecte de fonds. Il n’est guère exclu, si vos campagnes de collecte n’étaient pas suspendues dès que possible, que votre asbl soit prochainement confrontée à des poursuites judiciaires « .

Jean-Baptiste Dieumo n’a pas souhaité suivre le conseil.  » Maintenant, on a lancé cette grande campagne qui s’appellera Noma Téléthon, afin de pouvoir sortir ce fléau définitivement de l’ombre et réutiliser ce programme de prévention sur le terrain.  » De mars à décembre 2019, Dieumo compte réaliser une campagne sur l’ensemble du territoire camerounais avec une mobilisation de 30 000 agents communautaires.

Enquête menée par Jean Matterne, Delphine Berger, Claire Dupont, Joséphine Gallop, Thibaut Maas, Fabian Rivière (étudiants de l’ISFSC) et Alexis Huguet (à Yaoundé).

Coordination : Olivier Bailly.

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