Rock Les rêves anglais de Damon Albarn

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Aux côtés du légendaire batteur Tony Allen et de l’ex-Clash Paul Simonon, le leader de Blur crée The Good, The Bad & The Queen, collectif de pure mélancolie britannique

Damon Albarn est un être de contrastes : il a beau être un personnage plutôt bougon en interview, voire arrogant, ses diverses expériences musicales tissent une large toile communicative. Albarn s’est associé au label Honest Jon’s non seulement pour redécouvrir des divas soul oubliées (Candi Staton), mais aussi pour explorer des géographies peu ou prou lointaines comme le Mali Music de 2002, inspiré par un voyage à Bamako sous l’égide d’Oxfam. Non content d’avoir triomphé avec Blur, ex-rivaux d’Oasis et  » dinosaures nineties  » patentés, Damon Albarn, 39 ans, a créé l’electronica imaginative de Gorillaz, considérable succès international.

Le voilà maintenant dans un autre de ses navires exploratoires, mais ancré à domicile, pas loin de sa résidence de Bayswater, dans ce Londres qui a vu grandir nombre de ses rêves. Parce que l’album éponyme de The Good, The Bad & The Queen ( sic) est une aventure excessivement anglaise, qui rappelle le spleen prononcé parcourant certaines chansons de Blur et, même, pour le morceau d’intro, le vague à l’âme endémique des Specials au moment de Ghost Town. C’est d’autant plus étrange que le point de départ de ce disque à la fois calme et voluptueux a débuté comme une entreprise – solo – rapidement avortée.

En invitant le batteur Tony Allen – rythmique légendaire chez Fela et maître de l’afro-beat -, Albarn ne pensait que rendre une politesse passée : il s’est vite laissé prendre au jeu d’Allen qui déploie ici ses talents dans la forme la moins exhibitionniste possible. Très loin des mantras afro de Fela, Allen déballe un chapelet de rythmes et de grincements binaires qui entourent les chansons d’une subtile affection, répétitive mais jamais envahissante. Peut-être parce que son partenaire de section (rythmique) n’est autre que Paul Simonon. L’ex-Clash a toujours privilégié une intuition nourrie de reggae-dub plutôt qu’une science de la basse rock typiquement dévorante.

Sur ces lits moelleux amplifiés de claviers en volutes, de piano esseulé et de la guitare complice du quatrième compère, l’ex-Verve Simon Tong, Albarn écrit un véritable guide de la mélodie bleue. Cette madeleine sentimentale est taillée dans des styles hétérogènes, parfois proches de l’innocence Beach Boys ( 80’s Life), ou recrutant un ch£ur pour amplifier les émotions : la production assumée par le remarquable Danger Mouse (Gorillaz, Gnarls Barkley) construit d’étranges chemins de traverse, parsemés d’échos élastiques et de réverbération onirique. Si elle utilise le vecteur de la douceur comme combustion musicale, la bande à Albarn ne peut se départir des atours du réel pour évoquer l’irresponsabilité de la guerre en Irak ( Kingdom of Doom) et ce multiculturalisme désormais si naturel à Londres ( Herculean).

Le plus souvent, ces morceaux spacieux, éventés de cordes ou d’accords mineurs renforçant leur émotivité, semblent sortir en droite ligne de la décennie précédente, reprenant le labeur anglais de Blur période Parklife (1994). Mais le ton s’avère plus sévère et pessimiste, plus mature aussi, dans un maelström qui conduit à une sorte d’état hypnotique, des titres comme le magnifique The Bunting Song confortant la position d’Albarn parmi les meilleurs songwriters britanniques. Une réussite majeure qui se conclut, comme il se doit, par la cacophonie à la fois libertaire et cadrée de la plage titulaire…

CD chez EMI.

Philippe Cornet

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