(RE)LIRE  » KING KONG THÉORIE « 

Les poupées réac sont à la mode. Jeunes, jolies, vives et parfaitement imbibées d’un discours conservateur que logiquement, en tant que femmes, elles auraient dû rejeter, elles sont les coqueluches des médias. Elles prennent mieux la lumière qu’Eric Zemmour, mais elles ne disent pas autre chose. Travaillant contre leur propre genre, en toute absurdité, elles réclament un retour à un temps où il y avait encore  » des repères « . Comprendre : où chacun était à sa place, les hommes au travail, au foot, au bistrot […] et les femmes pudiquement retranchées dans l’espace domestique.

La star du genre, c’est Eugénie Bastié, 25 ans, journaliste au Figaro et auteur d’un Adieu Mademoiselle antiféministe aussi confus que péremptoire.

Récemment, une autre de ces créatures de la droite chrétienne  » manif-pour-tous  » a fait parler d’elle : Julie Graziani,  » lanceuse d’alerte  » antiavortement et membre du think tank ultraconservateur du frère Beigbeder, ironiquement baptisé  » Avant-garde « .

Elle s’est fendue de deux tweets commentant le harcèlement et les agressions sexuelles attribués à un député écologiste français.

 » L’affaire #Baupin me paraît montée en épingle. Si j’avais dû crier à l’agression à chaque fois qu’on a essayé de me voler un baiser…  »

 » Une femme doit savoir gérer ces situations. Ça fait partie de l’apprentissage de la féminité de pouvoir remettre un mec à sa place.  »

L’apprentissage de la féminité… Graziani fait involontairement écho au fameux  » On ne naît pas femme, on le devient  » de Simone de Beauvoir, qui postule des êtres indifférenciés à la naissance, qui deviendront victimes ou triomphateurs du déterminisme culturel.

On peut (on doit ?) relire son Deuxième Sexe, ouvrage définitif et insurpassé sur  » Comment la féminité vient aux femmes « .

Et on peut (on doit ?) se pencher sur King Kong Théorie, l’essai féministe de Virginie Despentes paru il y a dix ans, devenu un classique, qui montre que  » gérer ces situations  » ne fait absolument pas partir de  » l’apprentissage de la féminité « .

Son âme est constituée du récit de son viol, événement fondateur de sa pensée. Agression sordide dont Virginie Despentes sortira moins traumatisée par la violence de ces hommes que par son incapacité à y réagir, alors qu’elle avait un cran d’arrêt dans la poche. Elle avait intériorisé qu’ils étaient les plus forts, même à mains nues. Pourtant, il fallait la voir, Despentes, à l’époque de l’agression : le cheveu en pétard, Doc Martens aux pieds,  » épaisse  » et  » virile « . Elle aurait pu avoir le dessus sur ses agresseurs.  » Je suis furieuse contre une société qui m’a éduquée sans jamais m’apprendre à blesser un homme s’il m’écarte les cuisses de force, alors que cette même société m’a inculqué l’idée que c’était un crime dont je ne devais pas me remettre.  »

La relecture de King Kong Théorie est d’autant plus urgente dans la crise économique et sociale que nous traversons que le livre prétend qu’en étudiant la domination des femmes, on peut appréhender et donc lutter contre la domination de tous : sans-papiers, immigrés, colonisés, pauvres, chômeurs, salariés, classes et masses moyennes laborieuses…

King Kong Théorie, par Virginie Despentes, Le Livre de Poche, 160 p.

Par Myriam Leroy

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