© Astérix® - Obélix® - Idéfix® / 2019 Les Éditions Albert René

Raz-de-marrix

Entre cirque et madeleine, le nouvel Astérix déboule en cinq millions d’exemplaires. Un phénomène hors norme qui en ferait presque oublier le travail de ses auteurs-repreneurs.

Une petite demi-heure pour lire entre deux portes ce 38e album (1) – et le rendre illico presto, du jamais-vu ! -, moins que ça pour rencontrer vite vite les auteurs, avant de laisser la place au suivant : cette semaine, ce n’était pas Leonardo DiCaprio ou le pape qui passaient par Bruxelles, mais bien la caravane Astérix et son plan com à l’image de l’album qu’il est censé défendre : hors de toute norme dans la bande dessinée. C’est que, dans la foulée de cette journée éclair de promotion à Bruxelles, les éditions Albert René (détenues à 100 % par le groupe Hachette) ont mis sur le marché international plus de cinq millions d’exemplaires de La Fille de Vercingétorix. Du jamais-vu depuis deux ans, et… le précédent Astérix.  » Il n’y a rien de comparable à ce mégasuccès. Sauf peut-être Tintin, s’il devait avoir un jour un nouvel album « , admet d’emblée le duo Didier Conrad – Jean-Yves Ferri, dont c’est ici le quatrième album.

Le duo est pleinement conscient de n’être qu’un rouage de la machine qui le dépasse, et ce depuis 2013 et son premier Astérix chez les Pictes :  » Dès le départ, explique le dessinateur Didier Conrad dont la mission première a consisté à se glisser au trait près dans le dessin d’Uderzo, nous avons ressenti la pression, et ça a beaucoup pesé sur ma décision de me lancer dans une telle aventure… De toute façon, j’allais être catalogué : soit par le fait d’avoir refusé Astérix, soit d’avoir fait la reprise, et me planter. La troisième voie, de la reprise réussie, était très improbable : les reprises ne sont en général pas très appréciées, surtout quand l’original est une telle réussite.  »  » Moi aussi je freinais des quatre fers « , se souvient Jean-Yves Ferri, le scénariste dont le cahier des charges implique de tenter d’imiter Goscinny.  » Mais ça nous permet à chaque album de vivre une extraordinaire leçon de modestie aussi : de toute façon, même si l’album est bien, on sera toujours à l’intérieur du système Astérix, comparé à l’album idéal que le lecteur a dans la tête. »

Didier Conrad, dessinateur, et Jean-Yves Ferri, scénariste d'Astérix. La Fille de Vercingétorix.
Didier Conrad, dessinateur, et Jean-Yves Ferri, scénariste d’Astérix. La Fille de Vercingétorix.© Christophe Guibbaud

Un système qui a de fait intégré ce paradoxe : même si les critiques et les vieux de la vieille seront sans doute sans pitié quant au contenu de ce 38e album, pourtant loin d’être honteux, rien n’empêchera la déferlante de déferler, tant son tirage va l’imposer partout ; dans le monde d’ Astérix, ce sont les commerciaux qui ont bu de la potion magique. On en oublierait presque le contenu de ce nouvel opus.

 » Astérix gagne toujours à la fin  »

Jean-Yves Ferri confie :  » La seule façon de renouveler à chaque album l’univers d’ Astérix sans en changer les codes très précis, c’est de prendre des secteurs qui n’ont pas encore été explorés par les créateurs. Or, la figure de Vercingétorix n’avait pas jusqu’ici été réellement exploitée : il n’est jamais sorti de son rôle d’effigie, de cette image du chef gaulois qui jette violemment ses armes et son bouclier aux pieds de César. Astérix n’existe que parce que Vercingétorix a été battu, ça justifie presque à lui seul l’existence de ce village de résistants. Mais on ne pouvait pas le sortir des prisons de César et traficoter l’histoire. On lui a donc inventé une fille, Adrénaline, qui a le caractère de son père, mais qui interprète très différemment son  » Résiste et sois libre  » : elle ne pense qu’à fuguer.  »

De ce pitch sommaire mais solide –  » le village va être confronté à l’adolescence, dans une histoire où la force ne peut rien, ce qui est nouveau pour eux !  » – Conrad et Ferri déroulent ensuite un album qui aligne les figures imposées, mais ô combien attendues par l’éditeur et ses lecteurs : de nouveaux noms rigolos (on a retenu Surimix, Selfix, Letibix ou l’excellent Simplebasix qui fera sourire les fans du chanteur Orelsan), de joyeux anachronismes (Adrénaline rappelant furieusement une Greta très moderne), quelques caméos (on a reconnu Aznavour), son quota de jeux de mots ( » J’ai encore plein de bulots « , s’exclame le fils du poissonnier) et, évidemment, sa flopée de gifles et de romains qui volent. Pas de surprise donc, plutôt les retrouvailles d’un vieil ami qui, depuis soixante ans exactement, a réussi à imposer sa petite musique et sa potion magique dans le coeur de tous. Une recette dont il ne faut surtout pas varier pour écouler l’immense stock d’albums.  » Même si on faisait quelque chose de différent mais très bien, les lecteurs ne suivraient pas, confirme Didier Conrad. Il y aurait aussi une censure immédiate de l’éditeur, des ayants droit… Je ne pense pas qu’Astérix puisse jamais devenir notre série. Plus que les autres, elle appartient à ses lecteurs. On a compris qu’il y avait des mécanismes très précis à respecter, mais aussi qu’il ne faut pas que des gifles pour faire un bon album. Il faut des gags, mais sur un fond solide, une petite boule d’énergie qui rend les choses efficaces et limpides pour le lecteur. Parce que le lecteur sait que de toute façon, avec la potion, Astérix gagne à la fin. Les enjeux sont ailleurs. Mais ils doivent exister.  »

(1) Astérix, tome 38. La Fille de Vercingétorix, par Didier Conrad et Jean-Yves Ferri, d'après Goscinny et Uderzo, éd. Albert René, 48 p.
(1) Astérix, tome 38. La Fille de Vercingétorix, par Didier Conrad et Jean-Yves Ferri, d’après Goscinny et Uderzo, éd. Albert René, 48 p.

Reste à savoir si, d’une part, ils sont prêts à remettre ça –  » on signe à chaque fois pour un album, répond sans répondre Ferri. Et j’avais déjà dit au précédent que ce serait le dernier, je ne le dis donc plus  » – et si, d’autre part, le paquebot Astérix leur laisse du temps pour d’autres projets et leur rapporte plus, ou autre chose, que des droits d’auteur qu’on imagine à la hauteur des tirages.  » Je fais du camping ! assume le dessinateur. J’ai réalisé 40 albums avant (NDLR : dont les cultissimes Innommables chez Dupuis dans les années 1980, très, très éloignés du petit Gaulois), c’est bon, je peux largement m’en contenter. »  » Ça m’a appris le format 44 pages, ça m’a servi, et ça me sert, déclare pour sa part le scénariste. Le dernier Retour à la terre (NDLR : série humoristique brillante que Jean-Yves Ferri réalise avec Manu Larcenet, chez Dargaud), a bénéficié d’ Astérix. J’ai moins de difficultés à faire tenir tout ça. Quand vous avez fait un Astérix, le reste devient facile. Je conseille à tous mes collègues d’en faire un.  »

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