Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d'observation. Et un tiers de réalité. © XZAROBAS

Pompez, pompez, il en restera toujours quelque chose

Où il est question des Shadoks, de pompes, d’une Tesla, de théâtre et d’un gigot.

Ils débarquèrent. Comme s’ils étaient descendus du tram 81 de 17 h 45. Sauf que pas du tout. Ils avaient garé leur auto sur le trottoir, juste devant le café. Nimbée de crépuscule, la Tesla rouge cerise semblait encore se soulever au-dessus de la chaussée, dans un caquètement de machine, un nuage de poussière cosmique (1).

– Mais qu’est-ce qu’ils veulent ? osa Paula, qui ne comprenait goutte au ga, bu, zo et meu, articulés par ces clients au bec hargneux et aux longues pattes rebondissantes (2).

– Gagagaga ! lui répondit-on. Ce qui, en langue shadok, signifie  » espèce d’imbécile « .

Au-delà de cet argument purement négatif, l’  » espèce d’imbécile  » leur prépara un plateau composé de bières, de péquet, de Maitrank et d’Eau de Villée.

C’est alors qu’un type, brun, la petite quarantaine, se mit à déambuler plaintivement dans le café en gémissant :  » Où est mon agneau ? Où ? …  »

Au même moment, de la cuisine, jaillit un cri féroce :

– Madame, ficelle-t-on le gigot ?

– Mais oui, Bertrand. Mettez-lui de la ficelle. Vous voyez bien qu’il y a du monde.

Manifestement, l’agneau en question, tout mystique qu’il fût, venait d’être sacrifié pour le repas du soir. Son propriétaire prit acte et, se tournant vers les cinq Shadoks – accroupis sur le parquet, fesses à ras des talons, genoux écartés, petites ailes, rendues nerveuses par l’alcool, posées dessus – leur lança :  » Vous avez combattu pour Daech, ou vous vous battez pour d’autres religions ? Voudriez-vous faire partie de ma troupe ? « 

Milo Rau se voyait déjà entraîné avec ses Shadoks dans des tournées triomphales qui incluaient le chatoiement de la salle des fêtes de Theux, l’abattoir de Bastogne et la centrale nucléaire de Doel. Sa spécialité à lui, c’était le théâtre social (3).

Reste que quelqu’un (qui ? ) avait appelé la police. Les forces de l’ordre s’engouffrèrent bientôt par toutes les portes et fenêtres du café. Les agents s’époumonaient dans des sifflets aigrelets, hurlaient, agitaient leurs armes, jouaient avec des lumières aveuglantes. Les extraterrestres furent embarqués de force, avant même d’avoir pu lancer leur carrière artistique en Flandre.

Seul subsistait, dans le café, l’écho d’un pauvre  » MEU MEU MEU MEU  » qui, en langue shadok, veut dire  » FIN  » . Puis, il ne resta plus que ce qui reste quand il ne reste plus rien. Rien.

Mais c’est pas tout ça : l’heure tourne. Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer sur la Une à 20h15…

(1) Le 6 février dernier, la compagnie d’Elon Musk envoyait une voiture (une Tesla) dans l’espace.

(2) L’activité principale des Shadoks, ces extraterrestres loufoques et méchants, dont la seule obsession est de se rendre sur Terre, est de  » pomper « . Les Shadoks sont apparus à la télé française, il y a cinquante ans.

(3)  » Vous avez combattu pour Daech ?  » peut-on lire sur le site du théâtre de Gand. Milo Rau, le directeur artistique du théâtre gantois, entend recruter d’anciens djihadistes pour transposer le chef-d’oeuvre des frères van Eyck, L’Agneau mystique, en pièce de théâtre sur la société actuelle.

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