Mohammed Ben Salmane, le prince héritier, s'est fait beaucoup d'ennemis depuis le début de sa campagne anticorruption. © J. ernst/reuters

Changement de modèle

Le prince héritier Mohammed ben Salmane arrive en Europe  » auréolé  » d’une opération  » mains propres  » qui a aussi pour objectif de diversifier une économie trop dépendante.

Le 4 novembre dernier, le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, surnommé  » MBS « , a lancé une spectaculaire opération mains propres dans le royaume. Plus de 200 fonctionnaires, princes et hommes d’affaires ont été emprisonnés durant plusieurs semaines au Ritz-Carlton de Riyad. Retour sur cette  » purge  » et sur ses conséquences pour le pays avec François-Aïssa Touazi, ancien diplomate français et fondateur de CapMena, groupe de réflexion spécialisé dans le monde arabe, alors que le prince Mohammed ben Salmane sera en visite en France du 8 au 10 avril.

Pour quelles raisons Mohammed ben Salmane, dit  » MBS « , a-t-il lancé cette opération mains propres ?

D’abord, pour des raisons économiques. Lorsque le roi Salmane, le père de MBS, prend les rênes du pays, en janvier 2015, les comptes publics sont dans le rouge, les réserves de change fondent comme neige au soleil et les travaux d’infrastructures ne progressent pas, malgré l’importance des budgets qui y sont consacrés. Le roi crée alors une commission, qu’il confie à l’un de ses fils, Mohammed ben Salmane. Sorte de Cour des comptes aux pouvoirs élargis, cette structure a pour mission de passer au crible l’utilisation des deniers publics au cours des dix dernières années et de prendre des mesures pour lutter contre la corruption. L’une de ses premières actions a été d’exiger l’approbation du Cabinet royal pour tout contrat public excédant 25 millions de dollars. En juin 2017, MBS est désigné nouveau prince héritier. Quelques mois plus tard, la commission lance ses premières convocations. Vous connaissez la suite… Au-delà de ces motivations économiques, cette opération mains propres a également servi de rampe de lancement politique au prince. Sur le plan international, elle lui a permis de montrer au monde qu’il y avait un nouveau leadership politique saoudien, en rupture totale avec les pratiques anciennes. Sur le plan intérieur, la purge s’est révélée un excellent coup politique, tant la lutte contre la corruption est populaire en Arabie, notamment auprès de la jeunesse et des classes moyennes, choyées par MBS et lassées par l’ampleur de ces pratiques. C’était, aussi, un moyen judicieux d’écarter ou de fragiliser ses rivaux, en particulier certains princes de la famille royale et leurs partenaires économiques dans les affaires.

Quel est le bilan de l’opération ?

Selon les chiffres annoncés, 107 milliards de dollars ont été  » collectés « . Mais ce montant n’est pas facile à confirmer. Peu de règlements auraient été effectués en cash, la plupart des transactions ont donné lieu à des cessions de biens immobiliers et de parts de sociétés. Plus d’une cinquantaine de personnes n’ont toujours pas été relâchées par les autorités, de nombreuses autres sont en liberté conditionnelle tant qu’elles n’auront pas honoré leurs engagements financiers.

Ces 107 milliards tombent à point nommé : le déficit budgétaire s’élève à 55 milliards de dollars cette année…

Cette commission n’a pas pour objectif premier de renflouer les caisses du Trésor saoudien. Pour redresser l’économie, l’Etat a lancé un plan qui permet de financer le déficit public : instauration de taxes pour augmenter les revenus hors pétroliers (telle la TVA de 5 %, instaurée en janvier 2018), réduction drastique des subventions, baisse des dépenses publiques, recours à l’endettement… Selon cette commission, les fonds récoltés alimenteront principalement des projets sociaux destinés aux populations défavorisées, ce qui a rendu cette  » purge  » encore plus populaire. En réalité, au-delà des motivations politiques, cette commission avait pour but principal de marquer une rupture dans la gestion de l’Etat saoudien et d’assainir l’économie en préparant le pays à un nouveau modèle de développement, fondé sur davantage de transparence.

En quoi consiste le projet économique de MBS ?

Lancé par le prince héritier et baptisé Vision 2030, il vise à diversifier l’économie saoudienne, trop  » pétrodépendante « . Parmi les principales mesures : une meilleure utilisation de la dépense publique, la lutte contre le poids endémique de la corruption, qui touche non seulement l’Etat central, mais aussi la gestion communale et provinciale, l’émergence de nouveaux secteurs de développement, une augmentation des investissements directs étrangers (hors hydrocarbures) et un renforcement du secteur privé, appelé à être le moteur de ce plan de diversification de l’économie. Convaincu d’être engagé dans une course contre la montre, MBS a déjà profondément bouleversé le paysage politique, économique et social du royaume.

François-Aïssa Touazi, analyste du monde arabe contemporain.
François-Aïssa Touazi, analyste du monde arabe contemporain.© s. soriano/figarophoto

L’Arabie saoudite a-t-elle les moyens de sortir de sa dépendance au pétrole ? Et quelle diversification peut-elle envisager ?

Membre du club du G20, l’Arabie saoudite a d’immenses potentiels pour diversifier son économie. Le pays est peu endetté (moins de 20 % du PIB), et il dispose encore de solides réserves de change (500 milliards de dollars). D’un point de vue réglementaire, Vision 2030 va débloquer de nombreux verrous : privatisations, partenariats public-privé, création de zones franches, possibilité de détenir des entreprises à 100 %, ouverture de la Bourse locale (Tadawul) aux investisseurs étrangers… Ce plan devrait permettre à l’Arabie saoudite de devenir un géant des énergies renouvelables et de réduire sa consommation domestique de pétrole, l’une des plus élevées au monde par tête. Il favoriserait aussi le développement du secteur minier et d’une industrie de défense fondée sur des partenariats avec de grands acteurs mondiaux. Plus de 450 000 emplois privés pourraient être créés en 2020, notamment dans le numérique et les nouvelles technologies. Au niveau sociétal, ce plan devrait permettre aux femmes de s’émanciper : leur part dans la population active devrait passer de 22 à 30 %. Enfin, les secteurs des loisirs et du tourisme devraient se développer de façon spectaculaire. Ces annonces ambitieuses nourrissent les attentes des jeunes, qui constituent 70 % de la population avec un taux de chômage de plus de 30 %. Tout l’enjeu consiste à dynamiser le secteur privé et à favoriser l’entreprenariat chez les jeunes.

Quels sont les principaux freins ?

MBS a aujourd’hui considérablement assis son leadership, contrôlant l’appareil sécuritaire et militaire. Néanmoins, les conservateurs religieux, qui ont perdu leur influence sur le terrain sociétal, risquent de perturber l’avènement de cette  » vision « , de même que les rancoeurs au sein de la famille royale. Les faiblesses de l’administration saoudienne, notamment son incapacité à suivre la cadence de ces grands projets, peuvent aussi constituer le talon d’Achille de cette politique de diversification, ainsi que le secteur privé, trop dépendant de la commande publique et qui a du mal à trouver sa place. Enfin, la situation sécuritaire dans cette région du Golfe risque de limiter l’appétence des investisseurs étrangers.

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