Catherine Deneuve :  » Mon image est juste une partie de ce que je suis « 

A l’occasion de la sortie du dernier film de Christophe Honoré, Les Bien-Aimés, rencontre intimiste avec une  » grande dame  » qui rejette le qualificatif de  » star « . Son regard sur le cinéma n’est pas celui d’une actrice blasée :  » Il y a autant de films singuliers aujourd’hui qu’hier. « 

Le Vif/L’Express : Il paraît que vous n’aimez pas que l’on vous qualifie de  » star  » ou de  » grande dame « . Est-ce vrai ?

Catherine Deneuve : Dame, grande ou petite, est un terme que je n’emploie jamais. C’est un mot lourd, plombé. Star ne correspond pas plus à la vie que j’ai, ni à celle que j’ai eue. Mais ce sont des commentaires, je n’y peux rien.

Vous comprenez quand même que vous impressionniezà

Ça, oui, d’accord. Je n’y pense pas, mais je comprends. Ce n’est pourtant pas une raison pour me qualifier de grande dame.

Il y a dix ou quinze ans, vous aviez, justement, cette image de dame. Mais, depuis quelques films, votre image semble prendre des couleurs plus gaies. Témoin Potiche, de François Ozon, et votre survêtement rougeà

J’ai pourtant l’impression d’avoir toujours fait les films dont j’avais envie, même à un âge beaucoup plus jeune. Cela dit, je suis réservée, mais je le suis peut-être moins qu’avant. Sans doute le côté dame vient-il d’ailleurs de cette réserve naturelle. En réalité, je ne me penche pas trop sur ces choses et je lis à peine ce qu’on écrit sur moi. J’ai l’impression de perdre mon temps. Cela me pèse et m’a toujours pesé parce qu’il y est rarement question du travail de l’acteur. Je ne vais donc rien apprendre et je préfère m’intéresser à d’autres sujets.

Donc, votre image, vous n’en avez rien à faire, du coupà

Eh bien, mon image, comme vous le dites vous-même, c’est une image. Ce n’est pas la réalité, juste une partie de ce que je suis. Mais je ne lutte pas vraiment contre. De toute manière, je ne veux pas exercer de contrôle absolu, car je ne veux pas souffrir. Je trouve que je consacre déjà énormément de temps à mon travail. Enfin, mon  » travail « à ce n’est pas un travail, c’est une activitéà

Pas un travail ?

Je ne travaille pas cinq jours par semaine pendant toute l’année. Jouer est une activité très prenante, certes, mais ce n’est pas un travail. Pour autant, être dans le contrôle absolu, non. Je n’ai pas envie de vivre avec moi vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

De vivre avec vous ?

Oui, de vivre avec ce que je fais. Ce qui me pèse le plus, franchement, c’est de parler de moi. Pour la sortie d’un film, je me suis retrouvée en interview à faire des psychothérapies sauvages !

Dans Les Bien-Aimés, de Christophe Honoré, vous jouez avec votre fille Chiara [les deux actrices interprètent Madeleine et Véra, leurs amours, leurs passions, leurs drames]. Etait-ce une des raisons qui vous ont fait accepter le film ?

Jouer avec ma fille ?

Ce serait une raison tout à fait louable.

Non, ce n’est pas une bonne raison. C’est évidemment important d’être d’accord avec le choix des partenaires, mais je choisis un film pour le metteur en scène et pour le scénario. Le choix des comédiens, c’est de la seule décision du réalisateur. Cela dit, j’étais quand même très contente de jouer avec ma fille !

Qu’aimiez-vous chez Christophe Honoré ? Est-ce l’aspect drame enchanté que vous avez connu chez Jacques Demy ?

J’ai trouvé le scénario aventureux, très romanesque, et le film correspond à ce que j’avais lu. Chez Jacques Demy, qui écrivait exactement ce qu’il avait dans la tête, vous deviez entrer dans son univers. Christophe, lui, pense vraiment aux acteurs en fonction des personnages qu’il a imaginés. Il vous suit, il vous accompagne.

Je vous propose maintenant, à partir des titres de certains de vos films, de voir si, métaphoriquement, on peut dessiner votre portrait. Par exemple : Avec amour et avec rage [Pasquale Festa Campanile, 1964]. Cet axiome peut-il symboliser votre carrière ?

Avec amour, oui, je l’espère. Avec rage, non. C’est un mot excessif qui ne me correspond pas. Avec brusquerie peut-être, mais pas avec rage.

La Vie de château [Jean-Paul Rappeneau, 1965] : le cinéma est-ce la vie de château ?

C’est une vie de châtelaine. En tout cas, le temps du tournage, moi qui suis toujours bien entourée. Mais cela implique des responsabilités. Quand, à la sortie d’un film, les choses ne se passent pas comme prévu, quand le public n’est pas là, je me sens responsable. Et plus on est connu, plus on est responsable. Mais ce n’est pas quelque chose qui influence mes choix, même si l’échec me déprime.

Si c’était à refaire [Claude Lelouch, 1976]à

Je recommencerais.

Coup de foudre : est-ce ainsi que vous fonctionnez ?

Oui, les coups de foudre n’arrivent pas souvent mais ils sont importantsà C’était quel film, ce Coup de foudre ?

Robert Enrico, en 1976. Ah, pardon ! Il est inachevéà

C’est bien ce qu’il me semblait. C’est un souvenir terrible. Le tournage avait démarré et il s’est arrêté faute d’argent. C’était un scénario formidable de Pascal Jardin. Avec Philippe Noiret. Un autre producteur a essayé de monter l’affaire des années plus tard, mais le film restait très cher. Il se passait pendant la guerre, un avion devait exploser sur les Champs-Elyséesà

Restons alors dans le symboleà

Le coup de foudre est rare, les grands emballements sont plus fréquents.

Quel est votre dernier coup de foudre ? Là, c’est gentil, vous pouvez le dire.

Je crois que ma rencontre avec André Téchiné était de l’ordre du coup de foudre. Depuis que j’ai commencé à tourner avec lui, dès le premier film, Hôtel des Amériques, ça a été très fort.

Courage, fuyons ! [Yves Robert, 1979]à

Il y a des moments, effectivement, où il vaudrait mieux fuir. Mais, parfois, c’est trop tard. Une fois, j’ai essayé de partir parce que je sentais qu’on allait dans le mur. Ce qui a déclenché une crise bénéfique. J’aime beaucoup le film, d’ailleurs.

Mais on ne saura pas lequelà

Non. C’est quand même difficile de refuser un projet qui a été écrit spécialement pour vous. De toute façon, je fais quoi ? Deux films par an, maximum. Et ce qui est fait est fait. Je ne peux pas passer mon temps à tout ressasser. J’ai cette faculté de passer à autre chose, comme une forme de désinvolture. Mais je crois que c’est surtout une porte coupe-feu pour me protéger. Je ne regarde pas beaucoup derrière moi. Je suis dans le moment.

Le Choix des armes [Alain Corneau, 1981] : avez-vous toujours eu le choix des armes ?

Je ne sais pas. En tout cas, je regrette qu’il n’y ait plus de duels.

Pardon ! ?

Eh bien, des duels ! Des vrais. Cela permettrait de régler les conflits rapidement. Je trouve qu’aujourd’hui il y a beaucoup de désinvolture dans la façon de dire ou d’écrire des choses monstrueuses. Au lieu d’un rectificatif dans un journal, l’offensé pourrait donner une gifle ou lancer un verre de vin à la figure de l’offenseur, si c’est vraiment insultant.

Là, c’est gâchéà

Ce ne doit pas être forcément un grand cru de Bourgogne. Mais quelque chose qui tache, quelque chose qui gêne. Oui, je suis violente. Je ne suis pas rageuse, mais je suis violente !

Je rentre à la maison [Manoel de Oliveira, 2001] : vous faites-vous à l’idée de rentrer définitivement chez vous et d’arrêter de jouer ?

J’aime toujours rentrer à la maison. Je suis contente d’aller tourner, mais je suis aussi contente quand la journée est finie. Pour ce qui est de m’arrêter de travailler, je ne le souhaite pas, mais cela m’arrivera un jour. Le temps ne va pas être plus clément avec moi qu’avec les autres.

Les Temps qui changent [André Téchiné, 2004]à

Le temps change tout le temps, très vite. Heureusement qu’il y a des saisons. Ma saison préférée, c’est la fin du printemps et le début de l’été. La nature est magnifique, tout explose. L’été indien, en revanche, me rend un peu mélancolique. C’est beau, mais c’est un peu trop doux pour moi.

Propos recueillis par Éric Libiot

 » Je regrette qu’il n’y ait plus de duels. Oui, je suis violente. Pas rageuse, mais violente ! « 

 » Je n’ai pas envie de vivre avec moi vingt-quatre heures sur vingt-quatre « 

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