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Zemmour et son monstre

Le Vif

Son Suicide français a connu un succès historique. Ses conférences affichent complet. Nouvelle idole d’un certain peuple de droite, courtisé bien au-delà du FN, le journaliste pamphlétaire a créé un personnage politique qui lui échappe en partie.

Nicolas  Sarkozy, dans un train, et Marine Le Pen, lors d’un déjeuner, peuvent, sans le savoir, prononcer exactement les mêmes mots à ­propos d’Eric Zemmour : « On ne fait pas le même métier. » L’immense succès du Suicide français (Albin Michel), ses affres et ses délices, dessine pour le journaliste une nouvelle vie. Le voilà contraint à tenir régulièrement des réunions publiques en province, où, micro en main, il expose ses théories. Il y a du monde, autour de 500 personnes le plus souvent. Le rédacteur de presse écrite se révèle conférencier à l’aise à l’oral : « Parler en public, j’ai appris. Et j’ai découvert que j’aimais bien. » Pas le même métier, vraiment ?

L’histoire commence le 16 octobre 2014 à Béziers (sud de la France), une ville alliée du Front national et conquise à ses écrits. Après avoir dîné au Patio avec le maire et copain Robert Ménard, le tribun en herbe remonte la pentue avenue Camille Saint-Saëns, croise des supporteurs mécontents, revenant déçus de la salle où doit se tenir le discours, car ils n’ont pu obtenir une des 1 200 places. Ce soir-là, les gens cherchent à le toucher. On lui dit sans détour et les yeux ébahis : « Vous êtes notre porte-parole. » Le 21 octobre, il se produit à l’ouest de Paris devant 150 étudiants et jeunes actifs triés sur le volet, tendance réac, conservateurs et libéraux, réunis par l’Institut de formation politique. A Toulouse, le 18 novembre, 700 personnes s’entassent dans une salle de 500 places. Jauge complète également pour Rennes et Nantes en décembre. Au temps des tout premiers shows, l’essayiste auteur de best-sellers apprécie qu’un monsieur Loyal l’interroge. Quelques mois plus tard, le 12 mars à Rouen ou le 15 avril au Chesnay (Yvelines, à l’ouest de Paris), ces hommes prétextes sont toujours là, mais Zemmour s’en passe au bout de deux questions, porté par un raisonnement maîtrisé et un plaisir rhétorique évident.

La gloire aspire, les polémiques happent : « Depuis son procès pour incitation à la haine raciale en 2011, Eric s’est retrouvé obligé de se jeter dans les bras de ses supporteurs », analyse Christophe Barbier, ancien contradicteur de Zemmour sur iTélé entre 2003 et 2006. Le directeur de L’Express ajoute : « Parmi ses supporteurs, on trouve quelques agrégés, mais beaucoup de beaufs. Ses fans ne sont pas des gens avec qui il ­dînerait.  » « Barbier a tort, répond Zemmour. Je respecte éminemment ceux que je sers. C’est Barbier et les siens qui méprisent le peuple français et l’envoient à la casse de l’Histoire. »

Les sollicitations extérieures obligent Eric Zemmour. Il s’en explique au public du Chesnay : « Quelle est ma motivation à faire des conférences ? Ma raison me dit que c’est foutu, mais je me dis aussi que c’est possible de sauver notre art de vivre et notre civilisation. » Peu importent les lacets défaits ou le micro mal réglé, l’auditoire n’a d’oreilles que pour « la laideur de l’art contemporain », « la fureur des élites réalisant que le peuple ne l’écoute plus », « le grand remplacement culturel et démographique » ou « Canal + devenu l’arme de la « mai 68isation » de la société ».

La ferveur de ceux qui l’écoutent a quelque chose de rare. « Il se passe quelque chose dans ce pays, et Zemmour est un moment de ce quelque chose », résume Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro, ami de vingt-cinq ans de son chroniqueur star. Les 500 000 exemplaires écoulés du Suicide français – « Un livre qui restera comme une date dans la prise de conscience française », d’après l’écrivain anti-immigrationniste Renaud Camus – suscitent une attente démultipliée. L’un de ses compagnons de repas témoigne : « Eric est effrayé par le monstre médiatique qu’il a créé. Il ne sait pas quoi en faire. »

D’autres ont plus d’imagination : lors des dernières élections européennes, Marine Le Pen tente de le convaincre d’accepter une place sur une liste Front national. L’intéressé ne dément pas l’information. « Il a pris le temps de réfléchir avant de décliner », jure un conseiller de la présidente du FN. « Un jour, l’écriture ne lui suffira plus », veut croire Wallerand de Saint-Just, le trésorier du parti, qui imagine la suite : « Il pourrait être député. » Les appels du pied de la part du souverainiste Nicolas Dupont-Aignan et de certains membres de l’UMP sont récurrents. Une hypothèse farfelue, presque comique, pour les partisans du polémiste : « Au bout de trois jours, il mettrait des baffes à tout le monde », assure la journaliste  » néoréactionnaire » Elisabeth Lévy. Pour une fois plus optimiste qu’un autre, Zemmour corrige : « Je tiendrais peut-être quinze jours… La politique demande un mode de vie très contraignant, que je ne supporterais sans doute pas. » La seule option consiste à écrire une fiction. Une forme littéraire choisie par le journaliste de Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune, qui publiera dans quelques mois chez Ring un roman dans lequel l’auteur du Suicide français parvient « accidentellement » à l’Elysée.

Tugdual Denis

L’intégralité de l’enquête dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

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