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Wikileaks: « Manning croupit en prison pendant que Dick Cheney va à la pêche »

Le Vif

Reconnu coupable d’espionnage mardi, le soldat Manning, qui a permis de révéler des exactions américaines en Irak ou en Afghanistan, attend la sentence prononcée contre lui. La presse américaine se montre critique.

« Une justice à deux vitesses. » Tel est le constat que font plusieurs journaux américains après le verdict prononcé contre Bradley Manning, à l’origine des révélations de Wikileaks. Mardi 30 juillet, la justice militaire américaine a acquitté le soldat de l’accusation de collusion avec l’ennemi mais l’a reconnu coupable de violation de la loi sur l’espionnage. Il risque plus de 100 ans de prison après avoir été reconnu coupable de 20 des 22 charges dont il était accusé. Pour la presse américaine, la pilule est amère.

En maintenant de si lourdes charges contre lui, « la justice militaire veut clairement faire un exemple, souligne John Judis du New Republic. Dissuader d’autres futur Manning et d’autres Snowden de révéler les sombres secrets de l’Amérique. Bradley Manning est en effet à l’origine de révélations sur les abus des militaires américains lors des campagnes d’Afghanistan et d’Irak. « Les dizaines d’années de prison qu’il encourt devraient suffire à faire passer l’envie à quiconque dans l’armée ou au gouvernement voudrait alerter le public sur des fautes ou des injustices graves », ajoute le journaliste.

Les Américains « acceptent que certaines informations doivent être protégées dans l’intérêt de la sécurité nationale, observe le New York Times, mais cette approbation est mise à l’épreuve quand ont apprend que le gouvernement classe secret 92 millions de documents chaque année ». Les journalistes d’investigation ne peuvent que s’inquiéter de ce type de procès qui menace de réduire leurs sources d’accès à l’information, ajoute le quotidien.

Des documents sur la conduite de la guerre qui méritaient d’être connus du public

Les premières fuites divulguées par le soldat Manning ont peut être été négligentes, admet le New York Times puisqu’elles comprenaient les noms et les détails d’opérations américaines que le quotidien -qui avec d’autre journaux ont publié certains des documents transmis par le jeune soldat à Wikileaks, n’ont pas rendus publics. Mais, précise-t-il, « certains des documents sur la conduite de la guerre en Irak méritaient d’être connus du public, comme par exemple cette vidéo du tir d’un hélicoptère militaire sur deux camionnettes qui a tué des civils, dont deux journalistes de Reuters ».

Quelques mois de prison seulement pour des crimes commis par d’autres soldats en Irak

Le réalisateur Michael Moore relève dans le Huffington Post que la sentence -qui devrait être prononcée dans les prochaines heures- donnera une idée du poids inégal, pour la justice américaine, de différents crimes. Alors que le soldat de 25 ans risque de passer des décennies derrière les barreaux pour avoir révélé les agissements de son pays à l’étranger, le documentariste rappelle les peines, de quelques mois de prison seulement infligées pour des crimes commis par d’autres soldats en Irak, à Abou Ghraib ou Haditha notamment.

Le Global Post donne la parole à un responsable d’Amnesty International qui fait un constat similaire: « Le gouvernement américain a refusé d’enquêter sur des allégations crédibles de torture et d’autres crimes relevant du droit international en dépit de preuves accablantes, et préfère poursuivre Manning. »

Plus que diviser l’Amérique, « le cas Manning a révélé l’ampleur des fractures au sein de notre pays: sur notre ‘guerre contre le terrorisme’ si mal définie, sur nos choix de politique étrangère, sur l’utilisation souvent abusive des nouvelles technologies, sur la nature du journalisme d’investigation ou l’obsession omniprésente du secret de notre administration », estime The Atlantic.

Qu’en diront les historiens?

Dans un article intitulé « Se souviendra-t-on de Bradley Manning comme d’un traître ou d’un patriote? », le magazine se demande « quelle vision auront nos enfants de Manning ». Qu’en retiendront les historiens « quand ils évalueront les bénéfices de ses révélations, à la lumière des documents qui auront été déclassifiés dans 10, 20 ou 50 ans (ou plus tôt si les Snowden se multiplient d’ici là). Nos petits-enfants verront-ils en lui un héros ou un patriote? Ou bien son nom aura-t-il été oublié? »

Le fait que la juge Denise Lind ait déclaré Manning coupable d’espionnage plutôt que de trahison « est une maigre consolation pour les défenseurs du premier amendement [qui protège la liberté d’expression] ou ceux qui comme moi pensent que ce pays n’est toujours pas sorti du cauchemar de la politique étrangère des années Bush, regrette John Judis du New Republic. Ou ceux qui trouvent inquiétant que Manning croupisse en prison pendant que Dick Cheney [vice-président du temps du mandat de George W. Bush] va à la pêche ».

Par Catherine Gouëset

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