Gérald Papy

« Une stratégie pour la Syrie, M. Trump ? »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le coup de semonce des Etats-Unis au régime de Bachar al-Assad après l’effroyable attaque chimique de Khan Cheikhoun révèle davantage la personnalité de Donald Trump qu’il ne dégage de perspective de solution du conflit syrien.

On percevait depuis son élection que le nouveau président américain, rompu aux tribulations des affaires, était plus un pragmatique qu’un idéologue. On n’imaginait pas qu’il pousse cette tendance jusqu’à modifier, le mardi, les priorités (concernant l’avenir de l’actuel pouvoir syrien) qu’il avait arrêtées le vendredi. Une grande perspicacité n’est pourtant pas requise pour convenir, à l’instar de certains dirigeants européens, qu’au vu des atrocités qu’il a commanditées à l’encontre de sa population, Bachar al-Assad ne représente plus l’avenir de la Syrie, même si, en raison du poids de ses alliés russe et iranien et de l’absence présente d’alternative, le moment de son retrait est un enjeu de la négociation politique avec les Syriens.

u0022Trump et Erdogan développent, chacun à leur manière, le national-libéralisme, à savoir le libéralisme pour les riches et le nationalisme pour les pauvresu0022

La politique étrangère américaine s’accommode donc désormais de revirements subits et spectaculaires. Ce qui ne serait pas trop inquiétant en soi si le nouveau positionnement de Washington s’accompagnait d’une véritable stratégie et s’il ne préfigurait pas, le cas échéant, un autre retournement, tout aussi brutal. Donald Trump a coutume de proclamer qu’il ne dévoile pas ses intentions dans les dossiers chauds pour garder la faculté de surprendre ses adversaires. On est en droit de se demander s’il recourt là à un stratagème efficace ou s’il n’use pas plutôt d’une argutie pour masquer l’absence de politique élaborée. Une certitude, en tout cas, s’impose : l’imprévisibilité est entrée par la grande porte à la Maison-Blanche.

En réalité, l’attaque américaine a causé plus de dégâts aux relations avec la Russie qu’à l’infrastructure militaire syrienne. Promis à une idylle diplomatique avec Vladimir Poutine, qu’annonçait l’intrusion de la Russie dans la campagne présidentielle américaine, Donald Trump a, là aussi, démenti les prévisions. Des partenariats ponctuels, plus qu’une vision diplomatique partagée, ne sont pourtant pas hypothéqués pour le futur. Mais, au moins, a-t-il signifié au satrape de Moscou qu’il ne disposerait pas, en Syrie, de la même latitude d’action militaire et d’alliance inconditionnelle funeste que lui avait laissée Barack Obama. Dès lors que les images d’enfants agonisants sous l’effet de l’arme chimique ont ramené dans son esprit la lutte contre Assad au niveau de celle contre Daech, le président américain ne peut plus tabler sur son homologue russe comme partenaire privilégié. Il pourrait en revanche s’appuyer, outre sur les Européens, sur le maître incontesté d’Ankara. S’il remporte le référendum constitutionnel censé lui attribuer encore plus de pouvoirs, Recep Tayyip Erdogan n’aura pas grand-chose à envier à Vladimir Poutine en matière d’autocratie. Mais il aura l’avantage de partager les mêmes objectifs de guerre que les Etats-Unis en Syrie, hors le rôle des représentants de l’importante minorité kurde.

Somme toute, les présidents américain et turc développent, chacun à leur manière, la même théorie que le spécialiste en sociologie politique Jean-François Bayart a identifiée depuis quelques années sous le nom de national-libéralisme, autrement décrit comme  » le libéralisme pour les riches et le nationalisme pour les pauvres « . Elle contredit l’idée que mondialisme et repli identitaire seraient incompatibles. Mais elle n’est pas sans risque. Car, avertit Jean-François Bayart dans L’impasse national-libérale (La Découverte), il arrive toujours un moment  » où l’illusionniste, à force de jongler avec le lapin national et le renard capitaliste, dévoile ses ficelles et déçoit son public « .

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