Alep. © REUTERS

« Trump laissera la Syrie aux Russes »

« La priorité pour Donald Trump est d’éliminer l’Etat islamique ». Le point avec Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie au Washington Institute. L’élection de Donald Trump va-t-elle changer la donne au Proche-Orient ?

L’élection de Donald Trump va-t-elle changer la donne au Proche-Orient ?

FABRICE BALANCHE : Trump est isolationniste. Il ne veut pas poursuivre le bras de fer contre la Russie au Moyen-Orient, comme voulait le faire Hillary Clinton, ce qui aurait prolongé le conflit. La priorité de Trump, c’est la lutte contre le terrorisme islamiste. Bachar al-Assad ne le dérange pas, et s’il faut s’allier avec lui, il le fera. Il n’aura pas plus de scrupule à collaborer avec la Russie contre Daesh. Clinton, elle, ne voulait pas risquer de renforcer le régime d’Assad, ni céder du terrain à la Russie, ce qui revenait à poursuivre le soutien aux rebelles syriens.

Pendant la campagne, Trump a déclaré sur CNN que Assad « n’est pas un type bien », mais se demande aussi pourquoi on dépense tant d’argent pour aider des gens à le faire tomber, « et que nous ne connaissons même pas ». C’est la fin du soutien aux groupes rebelles ?

Oui. Obama n’avait pas tellement aidé les rebelles. Mais là, c’en est fini. Comme les Turcs et les Russes ont trouvé un terrain d’entente, comme la Jordanie s’est retirée du jeu, l’Arabie saoudite et le Qatar vont se désengager aussi. Le régime est sauvé et reprend du terrain stratégique autour de Damas et d’Alep. Les rebelles sont donc en mauvaise position. Une partie va se radicaliser, tandis que la grande majorité comprend qu’il faut trouver une porte de sortie et négocier avec le régime. Du coup, le Moyen-Orient s’oriente peut-être vers une réduction de la violence. Cela dit, les dynamiques de terrain font que le conflit ne va pas s’arrêter même si les puissances s’entendent.

L’Arabie saoudite s’est « réjouie » de l’élection de Trump : parce que celui-ci a annoncé durant la campagne qu’il voulait abroger le deal autour du nucléaire iranien ?

Les pays arabes ont été les premiers à féliciter Trump, même ceux qui soutenaient Clinton, c’est donc pure hypocrisie. Trump s’entend très bien avec Netanyahu (le Premier ministre israélien) et lui laissera les mains libres. La posture antiranienne plait aux Israéliens, mais aussi aux Saoudiens. Cela dit, le Moyen-Orient est secondaire pour Trump. Sa priorité est la Chine. Il va chercher à l’isoler en se rapprochant des Russes. En somme, le contraire de ce qu’avait fait Nixon dans les années 1970. C’est pourquoi il laissera plus de champ à la Russie en Syrie, d’autant que l’ennemi est le même, à savoir Al Qaeda et l’Etat islamique. Cela limitera du coup l’influence de l’Iran dans la région.

Dans la même interview à CNN, Trump déclarait que le monde était plus sûr quand Kadhafi et Saddam Hussein étaient au pouvoir, et que tout a explosé avec Clinton et Obama. Qu’en pensez-vous ?

C’est un peu partisan car c’est George W. Bush qui a attaqué le Moyen-Orient en 2003, pas Obama. Cela dit, c’est vrai que chaque fois qu’on intervient quelque part, cela se traduit en catastrophe. Trump voit ainsi les choses : on peut très bien s’accorder avec des dictateurs qui maintiennent la stabilité.

Quel rôle pour les Européens ?

Ils sont davantage préoccupés par la remise en cause du libre-échange et de l’investissement américain dans l’OTAN. Trump est un réaliste, un pragmatique. Concernant la Syrie, l’Europe est toujours dans la mystique du changement de régime, des droits de l’homme, de l’exportation de la démocratie. L’arrivée de Trump remet forcément en cause le fonctionnement de la politique étrangère commune.

Pourquoi l’agence syrienne officielle SANA ne dit-elle rien sur l’élection de Donald Trump ?

C’est typiquement syrien : la Syrie se considère comme le centre du monde et ne considère donc pas ce qui se passe aux Etats-Unis comme important.

Vos analyses sont-elles bien reçues à Washington ?

Dire aux Etats-Unis qu’Assad ne va pas tomber et qu’Alep sera reprise par le régime à brève échéance, c’est prendre le risque d’être marginalisé si vous travaillez dans un think tank ou dans les médias. D’ailleurs ici à Washington, tous les médias étaient pro-Clinton. Le « Trump bashing » avait le vent en poupe. A chaque interview de Trump, les analystes disaient qu’il était nul, ridicule… C’est bien simple : Washington DC a voté à 95% pour Clinton. Résultat, le gap est énorme entre la capitale fédérale et le reste du pays. D’ailleurs, il suffisait de passer en Virginie occidentale, pas loin d’ici, pour voir les affiches Trump fleurir partout.

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