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Syrie: les raisons de la démission de Kofi Annan

Le médiateur de l’ONU et de la Ligue arabe a jeté l’éponge après cinq mois d’efforts infructueux pour tenter de résoudre la crise en Syrie par la voie diplomatique. Tous les protagonistes se renvoient la balle après l’échec de cette « mission impossible ».

Kofi Annan a démissionné jeudi de son poste de médiateur de l’ONU et de la Ligue arabe en Syrie après cinq mois d’efforts infructueux, fustigeant le manque de soutien des grandes puissances à sa mission. Tous les protagonistes se renvoient la balle après cet échec de la diplomatie. Le point sur les causes de cette démission.

Le médiateur de l’ONU, qui s’était rendu à plusieurs reprises à Damas pour y rencontrer le président Bachar el-Assad, avait, au mois de mars, proposé, aux belligérants un plan de paix en six points prévoyant une cessation des combats et une transition politique. Mais ce plan n’a jamais été appliqué.

Une mission impossible

Selon des diplomates, Kofi Annan avait demandé expressément au Conseil à la mi-juillet de lui donner des moyens de pression supplémentaires sur les protagonistes du conflit, et en premier lieu sur le gouvernement syrien, en brandissant contre Damas la menace de sanctions économiques. Mais la Russie et la Chine, qui ont toujours cherché à protéger leur allié syrien, en ont décidé autrement en mettant leur veto le 18 juillet à un projet de résolution occidental prévoyant de sanctionner Damas s’il persistait à bombarder les villes syriennes rebelles.
Dès lors, depuis le dernier veto russe et l’extension des combats à Damas et Alep, des diplomates à l’ONU ne cachaient pas en privé que « la mission Annan était morte ». Anticipant la démission de Kofi Annan, nommé le 23 février, un diplomate confiait il y a quelques jours: « Ce ne sera pas une surprise, on lui a confié une mission impossible ».

Comment Annan explique-t-il sa décision?

L’ancien secrétaire général de l’ONU explique son échec par « la militarisation croissante sur le terrain ». Mais le médiateur de l’ONU dénonce surtout « le manque évident d’unité au sein du Conseil de sécurité », et fustige l’incapacité des 15 pays membres du Conseil à s’unir pour faire pression sur les protagonistes du conflit: « Je n’ai pas reçu tous les soutiens que la cause méritait », a-t-il déclaré en annonçant sa décision à Genève, jeudi. Il a également critiqué le fait que le Conseil de sécurité n’ait pas « endossé » les conclusions de la réunion de Genève du 30 juin lors de laquelle les Etats membres du groupe d’action sur la Syrie s’étaient mis d’accord sur les principes d’un processus de transition politique dirigé par les Syriens. Or, selon lui, une « transition politique signifie que Assad doit tôt ou tard partir ».

Comment les Occidentaux ont-ils réagi?

Les pays occidentaux mettent en cause l’obstruction systématique de Moscou et de Pékin, qui ont mis leur veto à trois reprises à des projets de résolutions occidentaux depuis le début de la crise syrienne en mars 2011. « La démission d’Annan met en relief l’échec de la Russie et de la Chine pour soutenir des résolutions significatives au Conseil de sécurité contre Assad, qui auraient rendu Assad responsable », relève ainsi Jay Carney, le porte-parole de Barack Obama.

Quelles ont été les réactions russe, chinoise, syrienne et iranienne?

Les principaux dirigeants russe et chinois se contentent de regretter le départ du médiateur de l’ONU. Vladimir Poutine, ne s’est que brièvement expliqué sur la question avant une visite à Londres à l’occasion des jeux Olympiques: « Kofi Annan est un homme de grand mérite, un diplomate brillant et un très honnête homme, c’est donc très regrettable » qu’il ait démissionné, a-t-il déclaré, tandis que l’ambassadeur russe à l’ONU, Vitali Tchourkine déclarait que Moscou avait « soutenu ses efforts ». Il a qualifié la mission de Kofi Annan de « terriblement difficile ».

La Chine, quant à elle, « exprime ses regrets à propos de la démission de Kofi Annan. Nous comprenons la difficulté du travail de médiation de Annan et respectons sa décision », a indiqué un communiqué du ministère chinois des Affaires étrangères.
Les autorités syriennes ont de leur côté accusé les « Etats qui cherchent à déstabiliser la Syrie » d’avoir « entravé » la mission de Kofi Annan, en allusion à l’Occident, à la Turquie et aux pays du Golfe, critiques du régime de Bachar el-Assad. Même ton à Téhéran. « Il semble que des pays responsables d’ingérences en Syrie n’étaient pas satisfaits des efforts déployés par Annan pour stopper les livraisons d’armes et (faire cesser) les actes terroristes », a dit le porte-parole des Affaires étrangères iraniennes Ramin Mehmanparast, cité par l’agence officielle IRNA. Selon lui, ces pays, sous-entendu les Occidentaux, « ont oeuvré pour que sa mission échoue ».

La Russie et la Chine ont soutenu en mars le premier plan en six points de Kofi Annan et l’ont utilisé comme argument pour s’opposer, au Conseil de sécurité, à toute sanction contre Damas. Par la suite, la Russie a aussi soutenu l’accord sur les principes d’une transition en Syrie, adopté le 30 juin à Genève. Ce texte ne contenait aucun appel à Bachar el-Assad à renoncer au pouvoir et a été rejeté tant par Damas que par l’opposition syrienne. Ni l’un ni l’autre de ces plans n’a eu d’effet concret sur le terrain.

Et maintenant?

La mission des observateurs de l’ONU, va probablement quitter le pays à la fin de son mandat le 19 août. Mais cette mission était déjà très limitée. Déployés en avril dans le cadre du plan Annan de mars, les observateurs ont suspendu depuis la mi-juin la plupart de leurs activités sur le terrain et leur nombre a été réduit de moitié, de 300 à 150 militaires non armés. Avec l’intensification des combats, « la sécurité des observateurs est en jeu. Pourquoi garder en Syrie des observateurs qui doivent rester dans leur chambre d’hôtel 95% du temps? », estimait jeudi l’ambassadeur français à l’ONU, Gérard Araud.

A New York, l’Assemblée générale doit se prononcer, ce vendredi, sur une résolution présentée par des pays arabes pour dénoncer le pilonnage des villes par l’armée et à nouveau réclamer une transition politique. Cette initiative, essentiellement symbolique, puisque l’Assemblée (contrairement au Conseil de sécurité) ne peut émettre que des recommandations, pourrait peut-être contribuer à accroître la pression sur le régime. Notamment si les 193 pays membres votent massivement en faveur du texte, qui doit être adopté à la majorité sans possibilité de veto. Une précédente résolution de l’Assemblée, le 16 février, avait recueilli 137 voix.
Contrairement à des versions précédentes, le dernier projet ne demande plus explicitement le départ du pouvoir du président syrien Bachar al-Assad, ni l’application de sanctions économiques similaires à celles adoptées par la Ligue arabe en novembre 2011.
L’ambassadeur russe à l’ONU, Vitali Tchourkine, a en tout cas déjà indiqué jeudi qu’il voterait contre. Pour lui, le projet de résolution est « extrêmement déséquilibré et orienté ». Il pointe, rapporte le site en anglais de la télévision russe, RT également le fait que « les pays qui sont à l’initiative de cette résolution sont ceux qui arment l’opposition syrienne ». Face à ce constat d’impuissance diplomatique, l’escalade militaire du conflit syrien n’est pas près de ralentir.

LeVif.be avec Belga

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