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Super-Poutine héros de com’

En plongeur, à cheval ou en pompier volant, aux commandes d’une F 1 ou à bord d’un avion de chasse… L’ex et futur président de la Russie s’est forgé une image à coups d' »exploits » où la réalité se mêle à la fiction. Une stratégie destinée à le présenter en homme fort, sauveur de la patrie.

L’été dernier, Vladimir Poutine est entré pour toujours dans l’histoire… de l’archéologie. Après seulement dix minutes de plongée avec bouteille sur le site englouti de Phanagorie, une colonie grecque au bord de la mer Noire, le Premier ministre russe a fait une découverte sensationnelle : deux amphores immaculées qui – quelle surprise ! – reposaient en évidence sur la trajectoire de l’illustre plongeur. Il semble que les deux vases en terre cuite avaient échappé à l’observation des archéologues, qui explorent pourtant cette Atlantide russe depuis l’époque soviétique… « Cette fabuleuse « découverte » a déclenché le rire homérique de tous les gens un tantinet perspicaces, raconte le poète et essayiste Lev Rubinstein. Mais il existe aujourd’hui en Russie un groupe type anthropologique très répandu prêt à gober n’importe quelle énormité : les téléspectateurs. »

Ceux-ci constituent le premier public et une solide base électorale de Vladimir Poutine, ancien et futur président de la Fédération de Russie (140 millions d’âmes). Depuis 1999, ils assistent, hypnotisés, aux innombrables exploits de leur super-héros, une synthèse slave de James Bond et de Bob Morane à moins qu’il ne s’agisse du fils caché de Tintin et de Superman. Ce personnage hors normes navigue entre fiction et réalité, toujours avec aisance et maîtrise de la situation. En 2008, dans la taïga, accompagné de scientifiques, il neutralise un tigre d’Extrême-Orient à l’aide d’une fléchette hypodermique chargée de somnifères. Un an plus tard, le voici qui descend des rapides en rafting dans une vallée de l’Altaï (sud de la Sibérie) avant de s’adonner à la nage papillon dans l’eau glaciale.

En 2010, il participe à une expédition polaire dans l’archipel François-Joseph : cette fois, il passe un collier émetteur au cou d’un ours, endormi au préalable, qui permet de suivre l’itinérance du plantigrade par satellite. Quelques mois plus tard, aux commandes d’un Canadair, Poutine-le-pompier-volant s’attaque aux flammes qui ravagent des forêts à 200 kilomètres de Moscou. L’automne le voit réapparaître au volant d’une Formule 1 sur un circuit de Saint-Pétersbourg. Le bolide est, paraît-il, chronométré à 240 kilomètres à l’heure. Peu après, stupeur, notre surhomme a un coup de mou : photographié sur un terrain de bowling, il n’y réussit, curieusement, aucun « strike »…

En 2011, Super-Poutine retrouve sa forme. Il découvre des amphores, plie une casserole à la force des bras lors d’une kermesse des jeunesses poutiniennes, puis taille la route en Harley-Davidson, en tête d’un escadron de bikers. « Il reste quelque chose en lui d’enfantin, assure Alexeï Venediktov, le patron de la radio Echo de Moscou, qui l’a rencontré à plusieurs reprises. C’est comme si le petit garçon pétersbourgeois issu d’un milieu très modeste voulait accomplir tout ce dont il n’osait rêver enfant. Je suis certain que si son service de sécurité l’y autorisait, il embarquerait dans une fusée pour le cosmos. Poutine, c’est Batman, poursuit Venediktov. Il sauve les citoyens des incendies, il défend la Russie contre des pays étrangers, il protège les espèces menacées contre les braconniers, des ours polaires aux esturgeons de la Caspienne. On l’appelle, il vient et accomplit des miracles en un éclair, puis disparaît aussitôt. »

Il abolit deux fuseaux horaires

A l’ambassade des Etats-Unis, les diplomates semblent partager cette analyse. « Medvedev est le Robin du Batman joué par Poutine, lequel est véritablement aux commandes en Russie », indique un télégramme envoyé à Washington il y a trois ans, et révélé il y a peu par WikiLeaks.

Parfois, soyons francs, les miracles s’accomplissent réellement. L’hiver est une saison particulièrement propice, semble-t-il, lors de la traditionnelle conférence de presse de « Batman ». En multiplex, il dialogue alors avec les habitants de son immense nation, qui s’étend sur neuf fuseaux horaires (en mars 2010, le Premier ministre a signé un décret abolissant deux fuseaux horaires du territoire national – l’homme est aussi le maître du temps). A une petite fille qui n’a jamais reçu de robe de fête au Nouvel An, il en fait livrer une ; à un paysan dont la maison n’a jamais été raccordée au gaz, il promet de faire le nécessaire (et tient parole). Et ainsi de suite…

En dépit du naufrage du sous-marin Koursk, en 2000, six ans après sa mise en service, mais aussi des conflits au Caucase, des attentats dans les grandes villes, des incendies de forêts de l’an dernier ou encore de la crise économique, sa popularité a toujours été supérieure à 66 %.

« En Russie, son image d’homme fort, macho et viril, correspond à l’attente du public », constate Igor Mintousov, patron de la plus grande agence russe de com’, Niccolo M., ainsi baptisée en hommage à… Nicolas Machiavel. « En 1999, quand il s’est fait photographier dans le cockpit d’un avion de chasse, l’image a impressionné tout le monde. C’était d’une grande modernité. Avant lui, aucun président ne s’était montré sous ce jour. »

Au tournant du siècle, la stratégie de Poutine consistait surtout à différencier son image de celle de Boris Eltsine, un leader en fin de règne et imbibé d’alcool. Ceinture noire de judo, le nouveau venu démontrait sa force en kimono, sur un tatami. Depuis, son image a évolué. « Ces dernières années, il joue davantage sur le glamour, pointe le politologue indépendant Dmitri Oreschkine. Dans un pays où l’opinion est d’abord forgée par les femmes, c’est un bon calcul de sa part. » Chose inimaginable voilà dix ans, Poutine n’hésite plus à afficher des signes extérieurs de richesse : montre Patek Philippe, Harley-Davidson bling-bling et loisirs de riches, comme le ski et la plongée sous-marine. Le sommet du glamour a été atteint en décembre dernier, à Saint-Pétersbourg. A l’occasion d’un gala de charité pour enfants cancéreux, l’ancien colonel du KGB, très cool, est monté sur scène pour interpréter Blueberry Hill, grand standard américain, en s’accompagnant au piano. Si le parterre de stars – Sharon Stone, Kevin Costner, Vincent Cassel, Monica Bellucci, Gérard Depardieu, Alain Delon – était aux anges, Fats Domino, l’interprète, a dû se retourner dans sa tombe. Quant aux mères des malades, elles se sont plaintes de n’avoir pas vu la couleur de l’argent.

La com’ de Poutine ne doit rien à la spontanéité, mais répond à des mises en scène proposées par deux conseillers de son cabinet, ou qu’il imagine lui-même. Depuis que l’ancien chef de l’Etat a cédé sa place à Dmitri Medvedev, en 2008, la Constitution russe interdisant plus de deux mandats consécutifs, les apparitions de Vladimir Batman sont plus nombreuses que jamais, afin, sans doute, de ne pas laisser trop d’oxygène médiatique à Robin Medvedev. « Ces derniers mois, il était si présent que nous autres, analystes politiques, y avons vu le signe de son retour certain à la présidence », explique la kremlinologue Macha Lipman, du Centre Carnegie. Un pressentiment confirmé le 24 septembre, lors du congrès de Russie unie, le parti au pouvoir. Dans une version soft mais humiliante de l’autocritique stalinienne, Dmitri Medvedev a annoncé aux 10 000 militants, qu’un autre que lui endosserait mieux le rôle de Premier ministre.

Sortie de route

Si le story telling de Super-Poutine est réglé au millimètre, il arrive toutefois qu’il frôle la sortie de route. Exemple, à l’été 2010 : le Premier ministre part à l’aventure sur la route transsibérienne, un peu à la manière de Michel Strogoff, mais au volant d’une Lada Kalina jaune tout juste sortie d’usine, dont aurait sans doute rêvé le héros de Jules Verne. Une semaine durant, il accomplit « en solitaire » un raid de 1 900 kilomètres, de Tchita à Khabarovsk. Sa mission : prouver la robustesse des automobiles russes et présenter l’image d’un homme ordinaire, au volant d’une voiture pour la classe moyenne. « Au journal de 20 heures, sur les grandes chaînes, on voyait Poutine, esseulé, faire le plein dans des stations-service désertes, raconte, franchement amusé, Mikhaïl Zigar, rédacteur en chef de Pluie TV, une chaîne de télévision diffusée sur Internet. Mais il se trouve que des autochtones ont filmé le passage de Poutine dans leur région avec des téléphones portables… » Postées sur la Toile, les images révélaient l’envers du décor : l’homme à l’allure de voyageur de commerce solitaire était accompagné d’une caravane digne du Tour de France, comprenant des dizaines de véhicules, des cars de journalistes, des membres des forces de sécurité et deux Lada jaunes de rechange, dont l’une a servi après 350 kilomètres. On en rigole encore dans les datchas.

« Un côté homosexuel latent ou actif »

Plus récente, la propension du Premier ministre à poser torse nu, en bandant muscles et pectoraux, est un autre sujet inépuisable de conversations amusées… C’est en août 2009, dans le décor grandiose et romantique de la région de l’Altaï, voisine de la Mongolie, que Poutine, pour la première foisà enlève le haut. Le voici, très fleur bleue, qui marche au bord de la rivière. L’instant d’après, coutelas à la ceinture, il enfourche un cheval. En août dernier, nouveau « strip-tease », mais chez le médecin, à l’occasion d’un check-up télévisé, sans doute destiné à monter qu’à 59 ans (ce 7 octobre), il est encore en mesure de présider aux destinées de la grande Russie.

Quoi qu’il en soit, dans les milieux gays européens, le buzz est lancé : et si Poutine préférait les hommes ? A Moscou, les avis divergent. « On observe assurément un exhibitionnisme qui indique un côté homosexuel latent ou actif », ose, à Moscou, le très sérieux mais iconoclaste politologue Stanislav Belkovsky, qui se flatte d’avoir été le premier à évoquer l’intérêt de Poutine pour le Botox et la chirurgie esthétique. Porte-parole de l’association radicale Gay Russia, Nicolaï Baiev réfute l’hypothèse : « Poutine, homo ? C’est une fable inventée par un journaliste gay italien, ami de Berlusconi. Pour nous, il s’agit d’élucubrations. D’ailleurs, dites-moi en quoi Poutine est sexy. »

Difficile d’en apprendre plus auprès de Ludmila, sa femme, qui lui a donné deux enfants. La séparation du couple est, depuis des années, un secret de Polichinelle. De surcroît, l’habile Poutine se garde de commettre la même erreur que Mikhaïl Gorbatchev : le dernier président de l’Union soviétique donnait aux Russes l’impression d’être sous l’influence de Raïssa, son épouse, dont les manières suscitaient l’agacement général.

Calculé dans les moindres détails, l’art de la com’ du Superman russe n’est pas artificiel pour autant. « A ce jour, il est le seul animal politique à descendre dans la rue et à parler à des gens du peuple en se mettant à leur niveau », souligne Macha Lipman du centre Carnegie. Loin de le trouver glacial, les Russes – intelligentsia mise à part – le jugent abordable.

A Moscou, nombre de ceux qui l’ont rencontré affirment qu’il sait écouter, convaincre, charmer. Artiste peintre et homme de théâtre, le flamboyant Pavel Kaplevitch n’oubliera jamais sa rencontre avec celui qu’il n’hésite pas à appeler le « mâle alpha de la Russie ». C’était en 2003. « Il m’a été présenté dans la coulisse d’un théâtre, en présence de la troupe. Quand je l’ai approché, j’ai soudain ressenti l’apesanteur, j’étais comme placé sur orbite. Je lui appartenais à 100 %. J’étais heureux. Il me semble que, oui, nous, les Russes, avons encore besoin de lui. » Qu’il se rassure : Vladimir « Batman » Poutine est déjà en route.

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL AXEL GYLDEN, AVEC ALLA CHEVELKINA

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