Koert Debeuf

Pourquoi le printemps tunisien a été couronné de succès

Koert Debeuf Directeur du Tahrir Institute for Middle East Police Europe  

Dimanche, la Tunisie élira un nouveau président. Ce sont les premières élections présidentielles directes depuis que Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu il y a quatre ans et a déclenché une révolution dans tout le monde arabe. Comme il semble qu’une bonne nouvelle ne soit pas une nouvelle, la Tunisie n’a pas bénéficié de beaucoup d’attention. C’est déplorable, car ce pays illustre idéalement comment une dictature peut évoluer vers une démocratie.

Un pays est une démocratie lorsque les détenteurs du pouvoir acceptent que leur position soit transférée à un autre parti par le biais d’élections. C’est exactement ce qu’il s’est passé lors des élections parlementaires en Tunisie le 26 octobre 2014. Le parti islamique Ennahda a perdu les élections et s’est résigné à la défaite. Aussi, le leader d’Ennahda, Rachid Ghannouchi, est fier de se qualifier lui-même de démocrate musulman.

D’après Annemie Neyts (Open VLD), chef de la mission d’observation électorale de l’Union européenne en Tunisie, les élections parlementaires étaient « transparentes et crédibles ». Lorsque j’ai téléphoné à quelques amis tunisiens pendant la campagne, ils se sont même plaints que la campagne électorale était trop sévèrement réglementée. Tous deux candidats au parlement, ils devaient indiquer au comité électoral central où et avec qui ils tiendraient un meeting. Par conséquent, changer d’endroit au dernier moment était impossible. Les campagnes ont été menées scrupuleusement et les procédures, sévèrement contrôlées, ont été suivies à la lettre.

Comment se fait-il que la Tunisie réussisse là où d’autres pays du printemps arabe tels que l’Égypte, la Libye, le Yémen ou la Syrie ont échoué ? La différence entre les dictatures tombées joue un rôle primordial.

Comparée aux autres pays arabes, la Tunisie a toujours été nettement plus progressive. Contrairement à la Libye ou la Syrie, il y a par exemple toujours eu un syndicat fort. Contrairement à l’Égypte, la Tunisie a toujours investi en un bon enseignement. Les fondements de l’économie étaient également plus forts en Tunisie que dans les autres pays, ce qui a facilité la transition pour la population.

Cependant, il existe également des raisons purement politiques au déroulement impeccable des élections. Contrairement aux Frères musulmans en Égypte, les islamistes en Tunisie ne forment pas de majorité au parlement. Avec 31% des sièges, Ennahda était obligé de former une coalition avec deux autres partis (séculiers). Moncef Marzouki, le leader d’un de ces partis (CPR), a reçu la présidence de la Tunisie en récompense. Mustapha Ben Jafaar, le leader de l’autre parti de coalition (Ettakatol), s’est vu attribuer la présidence du parlement.

Pourtant, Ennahda pesait lourdement sur la politique tunisienne. Contrairement à ce qu’il avait promis dans son programme, le parti n’a pas appliqué de réformes économiques. En outre, il a ralenti le processus constitutionnel. L’assassinat de deux leaders de l’opposition a généré beaucoup de tensions, mais Ennahda ne s’est pas montré très ouvert au dialogue. Tout cela a changé au cours de l’été 2013. Ennahda s’est retiré du gouvernement pour laisser la place au cabinet technocrate. La constitution a été accélérée et approuvée il y a quelques mois. La raison était claire : Ennahda a vu la chute du président Mohamed Morsi le 3 juillet 2013 et a décidé d’éviter un scénario analogue en Tunisie.

La Tunisie illustre idéalement comment une dictature peut évoluer vers une démocratie.

Quelles que soient les raisons, la capacité d’Ennahda à tirer les bonnes leçons, de changer de cap en cas de nécessité, et finalement de permettre l’épanouissement de la démocratie en Tunisie, plaide en sa faveur. Le parti a terminé deuxième aux dernières élections, après Nida Tounes, le parti de l’ancien premier ministre Béji Caïd Essebsi, qui est également favori pour les élections présidentielles de dimanche. Moncef Marzouki, le président intérim sortant, est soutenu tacitement par Ennahda qui ne propose pas de candidat.

Cependant, qui sommes-nous pour critiquer la Tunisie? La Belgique compte le plus de djihadistes en Syrie en dehors du monde arabe, le président italien Giorgio Napolitano a 89 ans et la Hongrie, qui fait partie de l’UE, ne constitue pas non plus le meilleur exemple en matière de démocratie et de droits de l’Homme.

Bref, la Tunisie sert d’exemple à tous les niveaux. Elle montre qu’une constitution libérale est possible dans un pays musulman, que le printemps arabe peut réussir et que l’islam, les droits de l’homme et la démocratie sont conciliables. La raison pour laquelle il échoue dans d’autres pays a trait aux décombres plus importants laissés par les dictateurs. Tout comme la Roumanie et la Bulgarie après la chute du Mur, ces pays arabes auront besoin de beaucoup de temps pour suivre le modèle tunisien.

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