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Philippe Hensmans : « La peine de mort devient de l’expérimentation sur des êtres humains »

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Le calvaire de plus de 40 minutes enduré par un condamné à mort dans l’état d’Oklahoma, mardi soir, soulève de nombreuses questions sur le plan des droits humains. Pour Philippe Hensmans, directeur d’Amnesty International en Belgique francophone, il est urgent d’en tirer la seule leçon qui s’impose : abolir pour de bon la peine de mort.

Le Vif/L’Express : L’exécution du détenu Clayton Lockett, dans l’Oklahoma, a été réalisée à partir d’un mélange de produits jamais utilisé auparavant. Quels enseignements doit-on tirer de cette mise à mort chaotique ?

Philippe Hensmans : Les leçons, ce sont les états pratiquant encore la peine de mort qui doivent les tirer au plus vite. Aux États-Unis, la peine de mort est en train de devenir de l’expérimentation sur des êtres humains. Face à ce grave problème, il n’y a qu’une seule solution : c’est l’abolition de la peine de mort. D’autant plus que d’autres arguments viennent s’ajouter en ce sens. Le coût de la peine de mort est trois fois plus élevé que la détention à perpétuité. On parle d’un million de dollars contre trois millions pour une condamnation à mort. Un deuxième élément, c’est que l’on estime que plus de 4% des condamnés à mort sont innocents. Enfin, la peine de mort est principalement d’application dans des états où la violence est beaucoup plus élevée. Or, ce n’est pas une solution à la violence. Certaines analyses tendent même à démontrer que cela entretiendrait la violence.

Les états concernés semblent entretenir le flou quant aux procédures mises en place, mais aussi vis-à-vis des produits utilisés pour les injections et leur provenance. Comment est-ce possible ?

Le problème, c’est que chaque état décide de la manière avec laquelle il va procéder pour pratiquer la peine de mort. Aux États-Unis, il n’y a pratiquement pas de peine de mort décrétée au niveau fédéral. La plupart des exécutions ont lieu dans les états du sud, dont 41% au Texas pour l’année 2013. Vu l’absence de produits garantissant une exécution rapide et sans douleur, plusieurs états ont décidé de suspendre les exécutions. Mais d’autres continuent, et achètent dès lors des produits pourris auprès de préparateurs en pharmacie amateure.

Dans le cas présent, l’état d’Oklahoma a refusé de citer le nom du fournisseur des produits. Cette opacité pose question…

Tout à fait. Plusieurs enquêtes ont déjà été menées à ce sujet. On a découvert qu’il s’agissait parfois de sociétés extrêmement suspectes. L’une d’entre elles avait notamment provoqué une vague de méningite, par exemple. Les entreprises homologuées, elles, deviennent logiquement la cible des abolitionnistes. C’est ce qui est arrivé à une firme danoise, dont l’un des actionnaires a revendu 300.000 actions. Aujourd’hui, des réflexions ont donc également lieu en interne dans les entreprises, qui décident spontanément d’arrêter la vente de tels produits.

Si ces états maintiennent malgré tout la peine de mort, pourquoi ne pas utiliser des produits similaires à ceux auxquels on a recours en Belgique pour pratiquer une euthanasie sans douleur ?

C’est effectivement une question qui se pose, il est difficile d’y répondre. Probablement est-ce une question de brevet propre au secteur médical. N’oublions pas que, contrairement à l’euthanasie, les personnes condamnées à mort ne veulent pas mourir.

Que révèle le maintien de la peine de mort dans ces conditions sur le plan des mentalités aux États-Unis ?

Cela révèle beaucoup de choses, car il ne faut pas oublier que la peine de mort revêt un caractère discriminatoire. Dans la société américaine, elle frappe beaucoup plus les personnes d’origine africaine et les Latinos que les blancs. On se retrouve dans des états confrontés à un racisme bien plus important. Et puis, on reste dans cette logique d’oeil pour oeil, dent pour dent. En 2013, 55% des Américains étaient encore favorables à la peine de mort, contre 75% en 1996. Il y a donc heureusement une évolution des mentalités, même si ce n’est pas suffisant.

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