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Palestine: l’impuissance des grandes puissances

Muriel Lefevre

Après l’admission à l’ONU de la Palestine en tant qu’État observateur et l’annonce de la construction de nouveaux logements dans les colonies de Cisjordanie, la communauté internationale semble impuissante à réagir. Pourtant le temps presse…

Soixante-cinq ans après le plan de partage de la Palestine en 1947 qui prévoyait la création de deux États, l’un juif et l’autre arabe, l’admission à l’ONU de la Palestine en tant qu’État observateur a représenté un succès diplomatique pour les Palestiniens et la marque d’un isolement diplomatique croissant pour Israël: sur 193 pays membres, seuls 8 pays ont voté contre.

L’État hébreu a réagi dès le lendemain en annonçant la construction de 3000 nouveaux logements dans des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Les États-Unis et plusieurs pays européens ont exhorté, lundi, Israël à revoir sa décision de construire de nouveaux logements dans des colonies, mais cette indignation n’a pas suffi à faire reculer le gouvernement de Benyamin Netanyahu. Pourquoi une telle impuissance?

L’Europe divisée…

L’Union européenne, l’un des principaux bailleurs de fonds de la Palestine, est incapable de parler d’une seule voix sur la question israélo-palestinienne. Lors du vote pour l’admission de la Palestine à l’ONU, seuls 13 pays de l’UE sur 27 ont voté « pour », après beaucoup d’hésitations. Treize se sont abstenus et la République tchèque est le seul pays à avoir voté contre. Ce qui lui vaut d’ailleurs une visite de remerciement ce mercredi de la part de Benyamin Netanyahu.
« C’est par atlantisme que la Grande-Bretagne, les Pays-Bas ou la République tchèque suivent d’une façon générale la position américaine de soutien inconditionnel à Israël, tandis que l’Allemagne s’efforce de ne pas s’opposer aux décisions de l’État juif pour des raisons historiques », explique Denis Bauchard, ancien diplomate et conseiller à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Le gouvernement allemand s’est toutefois limité à s’abstenir de voter pour la Palestine à l’ONU, la semaine dernière alors qu’il avait voté contre l’admission à l’Unesco il y a un an, et accusé Tel Aviv de « sape(r) la confiance dans sa volonté de négociations » avec l’annonce de nouveaux logements dans les colonies.

… ne fait pas entendre sa voix

L’Union européenne réaffirme régulièrement son soutien à une solution négociée, basée sur la création de deux États. Bruxelles condamne aussi régulièrement l’occupation et demande l’arrêt de la colonisation, contraires aux conventions de Genève. Pourtant, l’UE importe quinze fois plus de marchandises provenant des colonies israéliennes que des Territoires palestiniens, comme l’a montré un récent rapport de la FIDH.

En 2009, plusieurs personnalités européennes (dont Mary Robinson, Chris Patten, Hervé de Charette et Javier Solana) ont lancé un appel très ferme demandant notamment la suspension de la colonisation, la reprise des négociations, la levée du bouclage de la bande de Gaza, et l’étiquetage des marchandises en provenance des colonies.
Les signataires demandaient également « qu’il n’y ait ni renforcement ni rehaussement de l’accord d’association UE-Israël ainsi que des autres accords et programmes bilatéraux tant que la colonisation ne sera pas gelée ». A ce jour, aucune de ces recommandations n’ont été suivies.

Etats-Unis: l’espoir Obama

Aux États-Unis, l’élection de Barack Obama avait suscité l’espoir dans le camp de la Paix, avec le discours du Caire qui invitait à un « nouveau départ » entre l’Amérique et le monde arabo-musulman. Mais le président américain a échoué à faire avancer les négociations. Pire, il a dû encaisser plusieurs camouflets de la part de Netanyahu, dont le refus du gel de la colonisation à l’automne 2010. « Benyamin Netanyahu a su développer des relais puissants aux États-Unis », explique Denis Bauchard, qui rappelle qu’Israël y exerce une influence de plus en plus forte: Les présidents Carter et Bush avaient réussi à imposer des concessions aux différents partenaires, alors qu’aujourd’hui, élus républicains et démocrates soutiennent de façon quasi inconditionnelle le gouvernement israélien, aussi droitières que soient ses positions. Le Premier ministre israélien est si populaire à Washington qu’à l’occasion d’un discours devant le congrès et le sénat réunis, en mai 2011, il a été ovationné à 29 reprises, avait remarqué la presse américaine.

… surenchère pro-israélienne entre démocrates et républicains

La compétition entre Obama et le candidat républicain Mitt Romney pour savoir qui était le meilleur ami de l’État hébreu, pendant la campagne électorale, a même mis le président en porte à faux avec une partie des militants démocrates. Ainsi, lors de la convention de Charlotte en aout dernier, le candidat démocrate est intervenu personnellement pour faire remettre la référence à Jérusalem comme « capitale d’Israël » (pour la communauté internationale, le statut final de Jérusalem doit être décidé dans des négociations entre les deux parties) qui ne figurait pas dans le programme du parti.

Un électorat moins rigide qu’il n’y parait

On explique souvent les hésitations des politiques américains sur cette question par l’influence du lobby pro-israélien et de l’électorat juif américain. Pourtant, un récent sondage commandé par le groupe libéral JStreet montre que l’électorat juif a voté à 69% pour Obama, et que 82% des personnes interrogées se disaient en faveur d’une solution à deux États avec un État palestinien recouvrant la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza, dès lors que les Pays arabes établiraient des relations diplomatiques avec Tel Aviv. Le sondage montre également que les personnes interrogées souhaitent un rôle plus actif des États-Unis pour parvenir à la paix.

Une inaction dangereuse à terme

Les hésitations « dont font preuve l’Europe et l’Amérique du Nord face à la demande palestinienne risquent de relancer une opinion publique arabe déjà fortement antiaméricaine, et surtout, de rendre peu cohérentes les politiques élaborées à l’égard du monde arabe depuis Paris, Londres ou Washington », souligne le politologue Bertrand Badie.

« Plus le temps passe, plus la création d’un État palestinien devient difficile », ajoute David Chemla, secrétaire européen de JCall. L’annonce, dimanche, de la volonté israélienne de coloniser la zone E1, près de Jérusalem, est « particulièrement dangereuse », ajoute-t-il. « C’est un obstacle à la viabilité d’un État palestinien puisque cela interromprait la continuité territoriale entre le nord et le sud de la Cisjordanie, et entre celle-ci et Jérusalem-Est, qui doit devenir la capitale de l’État palestinien ».

« Empêcher la création d’un État palestinien met en danger l’avenir de l’État d’Israël » ajoute David Chemla. « Il n’y aura pas de solution militaire, mais seulement une solution politique à la question israélo-palestinienne ». Le rabbin américain Michael Lerner, qui s’est félicité de l’admission de la Palestine à l’ONU dans une tribune sur CNN va dans le même sens: « la paix ne sera garantie à Israël que lorsque ses voisins réaliseront que l’État juif n’opprime plus les Palestiniens mais vit en paix et en harmonie avec eux ». Mais pour cela, « il faut une forte pression des États-Unis et de l’Union européenne sur les deux parties », complète David Chemla qui reprend les termes de l’écrivain israélien Amos Oz: « Aidez-nous à divorcer! ».

Par Catherine Gouëset, L’Express

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