Vladimir Poutine © REUTERS

« Nous surestimons l’importance de Poutine »

Le journaliste néerlandais Olaf Koens quitte son poste de correspondant en Russie. Dans son livre d’adieu intitulé « Oorlog en Kermis » (Guerre et Foire), il donne le parole au peuple russe qui se prépare « au pire en permanence ».

En Occident, nous avons l’illusion de pouvoir comprendre la Russie en comprenant Poutine, mais ce n’est pas comme ça que les choses fonctionnent. On a écrit des bibliothèques pleines d’absurdités sur Poutine : quels livres il lit, ce qu’il mange à son petit-déjeuner, quels vêtements il porte. En fait, je trouve totalement inintéressant. La Russie est un château de cartes gigantesque avec Poutine placé au sommet. Je trouve qu’il est beaucoup plus intéressant de décrire le bas de ce château de cartes ».

Et donc le nom de Vladimir Poutine n’est mentionné nulle part dans le livre de Koens. C’est un road movie trépidant, qui emmène le lecteur dans des cloîtres désolés, des villages criblés de balles et des camps de travail du permafrost. Ces huit dernières années, Koens a suivi l’actualité de très près, notamment pour la VRT. Il a couvert les guerres en Ukraine et dans le Caucase, le procès du groupe de punk Pussy Riot et le meurtre du leader de l’opposition Boris Nemtsov.

Il a été un des premiers journalistes à atteindre les débris du MH17, l’avion de la Malaysia Airlines abattu l’année passée au-dessus de l’est de l’Ukraine. Il a été le premier journaliste néerlandais à contempler les ravages.

Koens estime que la guerre en Ukraine de l’Est est totalement aberrante. « C’est une guerre entièrement préparée où personne n’a rien à gagner. C’est une guerre où des chrétiens orthodoxes blancs se battent contre des chrétiens orthodoxes blancs. Il ne s’agit pas de territoire, car l’Ukraine ne veut pas du tout récupérer la Crimée et la Russie ne veut pas du tout conquérir l’Ukraine. Il n’existe pas de peuples aussi liés culturellement que les Russes et les Ukrainiens. Ils n’ont aucune raison de se battre et le font quand même ».

Koens s’étonne du fatalisme russe. « Quand une météorite a frappé Tcheliabinsk, aucun Russe n’avait l’air impressionné. « Je pensais que c’était la fin du monde, mais c’était une météorite » m’a raconté un habitant. « C’est magnifique non ? Pour moi, c’est la différence principale entre un Russe et un Occidental moyen. Nous pensons que nous faisons notre vie nous-mêmes, mais les Russes partent du principe qu’on fait leur vie pour eux. Et même quand tout va bien, ils réalisent qu’ils peuvent très vite tout perdre. Parce que la banque qui abrite leur argent disparait, ou parce que quelqu’un prend leur entreprise. L’Union soviétique a créé un homme qui se prépare au pire en permanence ».

Selon Koens, ce passé soviétique explique en grande partie le rapport problématique avec l’Occident. « Fondamentalement je ne comprends pas comment la Russie gère son passé. Sous Staline, il y a eu des millions de morts, mais aujourd’hui on n’en trouve plus de trace. Une stèle commémorative à Moscou et un musée vétuste à Perm, c’est à peu près tout. Les manuels scolaires ne soufflent pas un mot du goulag. Toute remarque à propos des atrocités de Staline est contrée par l’argument que la Russie a gagné la Seconde Guerre mondiale.

« La plupart des Russes n’ont jamais fait leurs adieux à l’Union soviétique » estime Koens. « Si en Allemagne vous travailliez pour les Stasi sous le communisme, vous ne trouvez même pas de boulot dans une crèche. Si vous travailliez pour le KGB à l’époque de l’Union soviétique, vous pouvez devenir président. On le voit à la façon dont se déroule le combat en Ukraine de l’Est. Les Russes et les Ukrainiens mènent toujours leur guerre comme ils le faisaient pendant la Seconde Guerre mondiale : viser au petit bonheur et tirer. Ils se moquent que ces grenades se retrouvent sur des quartiers d’habitations. Aucun des deux côtés ne s’en occupe ».

Après huit ans de correspondance, la Russie a fondamentalement changé. « L’atmosphère s’est dégradée et certainement à l’encontre des étrangers » soupire Koens. « Quand je suis arrivé, tout était de la faute des années nonante. Les Russes étaient persuadés que tout irait mieux. Aujourd’hui, tout est de la faute de l’étranger, jusqu’à la folie. Quand il y a un trou dans la route d’un village de Sibérie, c’est de la faute de Barack Obama ».

À l’école des espions

Koens avait de plus en plus de mal à faire son boulot. « Jusqu’à il n’y a pas longtemps, il n’était jamais difficile d’interviewer les Russes. Aujourd’hui, tout le monde est extrêmement méfiant. Les gens trouvent suspect que je parle russe. Ils s’imaginent que je l’ai appris à l’école des espions. L’année passée, les habitants des villages appelaient la police en me voyant ».

Aujourd’hui la famille Koens a quitté Moscou, comme beaucoup de jeunes Russes hautement qualifiés. Le basculement s’est produit l’année passée, quand une loi est passée pour obliger les Russes de double nationalité à s’identifier. « Tout à coup, j’ai dû me rendre en toute hâte aux services de la ville avec ma fille, parce qu’elle a la nationalité néerlandaise et russe. À ce moment-là, elle n’avait pas six mois, mais aux yeux des autorités, elle était une traitre à la patrie. C’est le moment où j’ai réalisé que je n’avais plus rien à faire en Russie. J’ai déguerpi ».

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